Extractivisme et militantisme écologique en Amérique Latine

Extractivisme et militantisme écologique en Amérique Latine

Selon l’ONG Global Witness, au moins 200 militants écologistes ont été assassinés dans le monde en 2016, battant le record de 2015 de 185 morts. En 2017, 98 morts seraient déjà répertoriés. Avec 60% des meurtres, l’Amérique Latine est la région la plus dangereuse pour ces militants, qui souvent ne se définissent pas comme écologistes mais comme défenseurs de leur terre, forêt ou rivière, face à des projets d’exploitation minière ou pétrolière.

Avec 49 morts, dont 34 indigènes, c’est le Brésil qui domine ce triste classement, suivi de la Colombie en deuxième position, puis du Honduras et du Nicaragua, qui compte le plus de tués par habitants. Les indigènes, dont les terres sont accaparées et exploitées sans leur consentement, apparaissent comme vulnérables, représentants 40% des victimes recensées par Global Witness. On peut citer le cas médiatisé de Bertha Zúñiga Cáceres, la fille de l’écologiste Berta Cáceres, assassinée en mars 2016, qui a échappé à une attaque dirigée vers le Conseil civique des organisations populaires et indigènes du Honduras (COPINH), qui lutte contre le projet de barrage d’Agua Zarca. Les auteurs de ces meurtres peuvent être des agents de sécurité privée des entreprises, mais aussi des groupes paramilitaires ou des membres de l’armée ou de la police, qui restent impunis. Ce phénomène témoigne de l’importance des conflits socio-environnementaux en Amérique Latine, face à un modèle de développement de plus en plus contesté. En effet, on observe que l’exportation des matières premières constitue un modèle de développement, utilisé par certains états pour favoriser une forme de justice sociale, aux dépens de la protection de l’environnement. Cet extractivisme est un système de surexploitation des ressources naturelles et de déplacement des frontières de territoires alors considérés improductifs. Il concerne le secteur minier et pétrolier mais également la monoculture agricole, la construction d’autoroutes et de barrages hydroélectriques. C’est à un tel modèle économique que des communautés indigènes, paysannes ou écologistes s’opposent, tentant parfois de concilier mouvements de gauche et protection de l’environnement. Existerait-t-il une lutte écologique spécifique en Amérique Latine, qui s’articulerait avec un modèle extractiviste dominant ? 

Un modèle de développement destructeur soutenu par une gauche ambivalente

Qu’est- ce que l’extractivisme ?

La spécialisation de l’Amérique Latine dans l’exploitation de matières premières telles que les minerais et les produits agricoles est d’abord un héritage colonial. L’histoire latino- américaine est ainsi rythmée par les cycles de son commerce avec l’Occident, que ce soit le café, le coton, le caoutchouc, le pétrole ou le gaz.  Cette exploitation à grande échelle est d’abord mise en place après les indépendances, mais c’est surtout la crise de la dette des années 1980-1990 et sa gestion qui mènent à la primarisation des économies de la région, c’est-à-dire l’exportation de matières premières comme modèle de développement. C’est ainsi qu’on accorde une place centrale à la protection des investissements des entreprises étrangères et à la sécurité des approvisionnements en matières premières, notamment dans le cadre de traités bilatéraux avec les Etats-Unis ou l’Union Européenne.

On pourrait définir l’extractivisme actuel comme un modèle d’accumulation fondé sur la surexploitation de ressources naturelles, généralement non renouvelables, et sur la réévaluation de territoires jugés jusqu’alors « improductifs ». Toutefois, ce modèle ne se limite pas à l’extraction dans le secteur minier ou pétrolier. Il comprend également toute activité qui renforce un système monoproductiviste, comme l’agrobusiness par exemple. Enfin, il englobe également des projets de construction de ports, de barrages hydroélectriques ou de voies de communication censées désenclaver certaines régions. On peut citer entre autres l’Iniciativa para la Integración de la Infraestructura Regional Suramericana (IIRSA, Initiative pour l’Intégration de l’infrastructure régionale en Amérique du Sud). Il faut également relever que ce modèle a su se renouveler, s’adaptant aux nouvelles technologies et à l’émergence de nouvelles puissances. Ainsi, des cultures telles que le maïs transgénique se développent, mais également l’extraction de nouveaux minerais comme le lithium. En effet, utilisé comme énergie de substitution dans les voitures électriques, le lithium est soudain devenu très convoité, redéfinissant des territoires alors jugés « improductifs ».  S’inscrivant dans le projet d’intégration régionale Mesoamérica (lancé en 2008 à l’initiative du Mexique), qui prétend lutter contre les inégalités par la libéralisation des échanges permise par le développement des infrastructures régionales, de nombreux projets hydroélectriques se développent en Amérique centrale : une trentaine au Nicaragua, une cinquantaine au Guatemala et au Mexique…  On pourrait penser, au vu de cette exploitation d’énergies renouvelables, que le modèle extractiviste a su se réinventer au fil des années, mais cela soulève en réalité la complexité de l’impact de ce modèle économique. En effet, se prévalant d’une supposée contribution à la lutte contre le réchauffement climatique, ces programmes d’exploitation semblent devenir inattaquables, alors que leur impact environnemental reste réel : les barrages hydroélectriques, pour ne citer qu’eux, accélèrent ainsi l’érosion, noient les terres arables, modifient la répartition des eaux et tout l’équilibre de l’écosystème. Cette diversification extractiviste demeure donc ancrée dans un système économique polluant et source de conflits sociaux importants.

Un modèle qui s’essouffle 

Si ce modèle est resté dominant en Amérique Latine, c’est parce qu’il était entouré d’une « illusion développementaliste » et qu’il s’est révélé immédiatement prospère. Seulement, celui-ci tend à s’essouffler, au vu de la baisse du cours de certaines matières premières, engendrant des dégâts économiques importants sur ces économies spécialisées et reprimarisées.

Au moment de l’essor de ce modèle, encouragé par la hausse du cours des matières premières dans les années 2000, le Chili a spécialisé son économie dans le cuivre, devenant le premier producteur mondial, tandis que 15% du territoire national du Pérou était utilisé pour l’exploitation minière. La Colombie, qui ne produisait presque pas de charbon jusque dans les années 1980, possède désormais l’une des plus grandes mines à ciel ouvert du monde, El Cerrejón. De même, la culture du soja, quasi inexistante dans les années 1970, occupe en 2010 59% des terres cultivées en Argentine, 36% au Brésil et jusqu’à 66% au Paraguay. Ce phénomène est accentué par la crise de 2008, au cours de laquelle les investisseurs privilégient des valeurs considérées plus sûres, comme la terre, la production agricole et minière. Seulement, ce modèle s’effrite, notamment en raison de la baisse des cours du minerai de fer et du soja : en 2014, la balance commerciale du Brésil affiche un déficit de 3930 millions de dollar, son premier solde négatif depuis 14 ans. Le Brésil continue d’exporter bien plus qu’il n’importe mais il vend à des prix peu élevés. Le Pérou enregistre quant à lui l’un des plus grands déficits commerciaux de son histoire en 2014 (2555 millions de dollars, pour 40 millions de dollars en 2013), en raison de la chute des cours des métaux, qui constituent 60% de ses exportations.

Au vu de l’affaiblissement d’un extractivisme pilier de l’économie de nombreux pays d’Amérique latine, on pourrait penser qu’il se trouverait remis en cause. Celui-ci se trouve toutefois paradoxalement maintenu, malgré les déconvenues économiques : présenté comme le remède à la misère, il représente toujours la principale source de revenus des états et fonde l’essentiel de leurs discours politique. En effet, constituant la base de la politique redistributive, il est indissociable de l’idée de justice sociale et de prospérité. Cependant, bien que cette manne a pu contribuer à diminuer le niveau de pauvreté, l’exclusivité d’une économie rentière demeure une impasse économique et sociale. Ainsi, la non diversification de ces économies les rend dépendantes des cours des matières premières, accentuant les inégalités sociales et territoriales.

Comment expliquer alors que ce modèle subsiste, malgré le virage à gauche de nombreux pays d’Amérique Latine ? En effet, il semble, par exemple en France, que les idéologies de gauche soient désormais liées à des préoccupation écologiques. Cette compatibilité latino-américaine semble pouvoir s’expliquer si l’on envisage ce système comme un extractivisme d’intérêt public et au service de la nation.

Compatibilité du virage à gauche et du modèle extractiviste

Au vu des récentes campagnes électorales de pays européens, on peut penser qu’un virage à gauche implique une protection de l’environnement (ou du moins une prétendue volonté) et le respect des droits de populations dites marginalisées, comme les populations indigènes. Cependant, il faut ici tenir compte d’un contexte et d’un imaginaire différents. Selon Maristella Svampa, qui a étudié la question de l’écologie dans l’imaginaire latino-américain (voir bibliographie), la gauche latino-américaine s’est historiquement peu préoccupée de la question environnementale et reste happée par la volonté de renforcer les capacités de production. En effet, le mythe d’une certaine abondance des ressources naturelles permettant de sortir de la pauvreté est fortement ancré en Amérique Latine, selon M. Svampa. La non exploitation de ces ressources équivaudrait à laisser les puissances étrangères se les accaparer.

On peut évoquer, comme illustration de cette articulation idéologique, les cas de la Bolivie et du Chili. En Bolivie, c’est le cas du parc national et territoire indigène Isoboro Sécure (TIPNIS) qui peut être parlant. Réserve protégée et habitée par plus de 10 000 indigènes boliviens, elle fit l’objet de mesures controversées prises par le président Evo Morales à sa prise de fonction en 2005. En effet, après avoir fait reconnaître les droits de la « Terre mère » (« ley de derechos de la madre tierra ») qui comprennent le droit à être exempté de pollution, de ne pas être affecté par des projets d’infrastructures, le nouveau président engage la firme brésilienne OAS pour la construction d’une autoroute de 300 km traversant le TIPNIS. Malgré l’opposition manifeste des mouvements indigènes, le tracé est approuvé. Ces populations se sont trouvées acculées : en effet, durant le prétendu processus de consultation, les autorités leur ont laissé le choix entre le maintien du projet ou, en cas d’annulation du projet, la déclaration de la zone comme « zone économique intangible », interdisant ainsi les activités sources de revenus nécessaires à ces populations, telles que l’écotourisme. Cerise sur le gâteau, les opposants à ce projet ont également été accusés d’agir sous influence étasunienne et de freiner des projets amenant prospérité au pays.

Dans le cas du Chili, c’est le territoire Mapuche, au sud de la rivière Bio Bio (sud du Chili), qui a cristallisé les conflits socio-environnementaux. Afin de récupérer leurs terres, les Mapuches ont eu recours à diverses méthodes, du sabotage d’équipement d’entreprises, à l’occupation de terres. Avec la présidence d’une politicienne de centre gauche détenue sous la dictature Pinochet, comme Michelle Bachelet, on aurait pu espérer une solution apaisée à ce conflit. C’est plutôt l’inverse qui se produisit puisque M. Bachelet a utilisé une loi antiterroriste datant de la dictature de Pinochet pour réprimer les Mapuches. Ce dispositif juridique va comprendre dans le qualificatif de terrorisme les atteintes à la propriété, autorisant ainsi des activistes civils à être jugés par des tribunaux militaires.

De manière plus générale, les gouvernements de gauche décrédibilisent toute initiative de protection de l’environnement, en accusant les populations indigènes d’être à la botte de multinationales étrangères. L’extractivisme est devenu le fer de lance de gouvernements dits progressistes, qui soutient la remontée d’un certain interventionnisme de l’Etat. Ce lien qui peut apparaître comme une contradiction est parfaitement illustré dans un article d’André Maltais du site Midi Insoumis, datant de 2012. A cette époque-là, il semblerait que les ancêtres de France Insoumise n’aient pas encore opéré l’association de l’écologie des valeurs qu’ils considèrent de gauche, la course électorale française étant encore lointaine. Ainsi l’article énonce les avantages de l’extractivisme, tempérant que « tout dépend du pouvoir politique qui utilise ce moyen technique », tout en citant Linera : « l’extractivisme ne condamne pas au capitalisme pas plus que le non extractivisme ne mène au socialisme ». Le combat premier de la gauche latino-américaine est l’appropriation des ressources issues de la terre, dans une optique de redistribution, l’extractivisme comme laisser-passer vers une politique égalitaire dans laquelle la population se sentirait puissante et force décisionnelle dans son contrôle des ressources. L’article poursuit, en dénonçant des peuples indigènes qui seraient sous influence de pouvoirs étrangers, comme des instituts de recherche, des ONGs financées par des pays du Nord, qui utiliseraient la protection de régions comme l’Amazonie pour opérer un contrôle extraterritorial. L’étendard de l’anti-impérialisme comme ultime outil de décrédibilisation des luttes environnementales. L’article achève son envolée en affirmant que l’approbation en 2007 par l’ONU de la Déclaration des droits des peuples indigènes serait, en réalité, dans l’intérêt des banques et des firmes pétrolières. Les chiffres de cet article étant difficiles à vérifier; notons qu’il serait judicieux d’apprécier avec recul et prudence l’énoncé de cet article, néanmoins très utile pour éclairer l’articulation et la complémentarité existant entre idéologie de gauche, extractivisme, et lutte environnementale.

Néanmoins, on peut observer la spécificité d’une lutte pour la protection de l’environnement qui tente de s’opposer à ce modèle extractiviste dominant.

Spécificité et convergence des mouvements socio environnementaux

Emergence d’une « écologie des pauvres » commune

L’une des spécificités du mouvement écologiste latino-américain réside dans le fait qu’il n’y a justement pas de mouvement écologiste à proprement parler. En effet, un mouvement suppose que les militants se reconnaissent eux-mêmes comme appartenant à un mouvement qui regroupe des luttes et valeurs communes. Or il n’y a pas de mouvement constitué. Les initiatives qui pourraient s’apparenter à des actions écologiques militantes demeurent des initiatives isolées, indépendantes et ancrées au niveau local, elles ne répondent pas à une idéologie définie et commune. Il faut ainsi garder en tête la spécificité et la localité de ces luttes, qui convergent de manière contingente. Cependant, si l’on ne peut pas parler de mouvement idéologique régional ou transnational, il est pertinent de s’attarder sur l’idée d’écoterritorialité. Ce concept auquel beaucoup d’actions locales font référence, s’apparente davantage à une idée de réappropriation des terres que de préservation de l’environnement comme on peut le penser dans notre prisme politique français. Ainsi, la lutte environnementale se caractérise par des luttes spécifiques, comme  des groupes de femmes militantes, des communautés rurales, des communautés indigènes, qui ne se reconnaissent pas nécessairement comme mouvement en tant que tel. Néanmoins, ces luttes convergent dans ce que des universitaires appellent le tournant écoterritorial, comme une lutte intrinsèquement liée à la terre et à la propriété.

On peut toutefois noter un paradoxe, qu’il pourrait être intéressant pour le lecteur d’approfondir séparément, à l’aide d’articles spécialisés. Ce paradoxe résiderait dans la lutte des indigènes pour la protection de leurs terres. En effet, ceux-ci luttent pour la protection de leur terre, affirmant par le biais d’ONGs que celle-ci ne doit pas faire l’objet d’une notion de propriété, qu’il s’agit d’un bien commun. Néanmoins, bien qu’il faille la considérer comme un bien commun, ce serait les populations indigènes qui devraient continuer de disposer de cette terre, comme s’ils en étaient propriétaires, au sens que notre civilisation donne à la propriété. Ainsi, ces populations semblent prisonnières de nos conceptions juridiques, et leur lutte ne se cantonne plus à la protection de l’environnement.

Parallèlement à cette « écologie des pauvres », de mouvements isolés et directement concernés par les conséquences de l’extractivisme, des mouvements écologistes se créent, répondant davantage à la définition que l’on peut avoir d’un mouvement politique, constitués par des jeunes étudiants urbains.

Des initiatives davantage organisées et régionales peuvent également être mentionnées, comme la Confédération nationale des communautés affectées par l’industrie minière (Confederación Nacional de Comunidades Afectadas por la Minería, CONACAMI) créée en 1999 au Pérou, l’Union des assemblées citoyennes (Unión de Asambleas Ciudadanas, UAC) née en 2006 en Argentine, l’Assemblée nationale des victimes de préjudices environnementaux (Asamblea Nacional de Afectados Ambientales, ANAA) créée au Mexique en 2008. Parmi les réseaux transnationaux, on peut citer la Coordination andine des organisations indigènes (Coordinadora Andina de Organizaciones Indígenas, CAOI) qui regroupe depuis 2006 des organisations du Pérou, de Bolivie, de Colombie, du Chili et d’Argentine.

Ces initiatives se sont aussi constituées autour de la naissance d’un langage commun : ainsi le terme de « biens communs » se diffuse sur les réseaux sociaux et fait référence à l’idée que des ressources soient exclues du marché puisqu’elles constitueraient un patrimoine naturel, social et culturel, également lié au droit à l’autodétermination des indigènes de la Convention 169 de l’Organisation Internationale du Travail. La « justice environnementale » renvoie quant à elle aux inégalités territoriales découlant de projets de construction. Des organismes se consacrant à cette question se sont d’ailleurs développés : l’Observatoire latino-américain des conflits environnementaux, Observatorio Latinoamericano de Conflictos Ambientales, OLCA au Chili et le Réseau pour une justice environnementale, Rede de Justicia Ambiental, au Brésil. On peut enfin relever la notion de « buen vivir » qui caractérise la vision du monde partagée par de nombreuses communautés indigènes et le droit de la Terre Mère, qui apparaît dans les dispositifs juridiques équatoriens et boliviens, faisant de la nature un sujet de droit.

Ainsi, bien qu’on ne puisse pas identifier de mouvement unifié et institutionnalisé, les luttes environnementales semblent converger autour de l’émergence d’un lexique commun et d’initiative transnationales. Ce vocabulaire nous permet de nous apercevoir de l’importance des communautés indigènes dans la spécificité de l’écologie latino-américaine.

Importance des communautés indigènes dans la protection de l’environnement

On définit généralement les communautés indigènes comme des personnes originaires d’un lieu avant sa colonisation, ayant le sentiment d’appartenir à un groupe qui partage une culture, une langue. Ces communautés se trouvent directement affectées par le système extractiviste, les obligeant à mener un combat contre celui-ci. En effet, les entreprises exploitantes causent des dégâts considérables par leur infrastructures, leurs bulldozers, entraînant une pollution de l’air, de l’eau, et une pollution sonore. Cette pollution met en danger les populations locales qui se trouvent exposées à de nombreuses maladies, tandis que la faune locale est sensiblement modifiée. N’ayant plus de ressources naturelles, leur écosystème détruit et souvent expulsées, ces populations seront souvent déportées ou amenées à partir vers les villes, où elles seront livrées à la mendicité ou l’alcoolisme.

Pourtant, ces peuples disposent d’un droit « à la consultation, et au consentement préalable, libre et éclairé », qui figure dans la déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones et dans la convention 169 de l’OIT, ratifiées par de nombreux Etats sud-américains. Seulement, lorsque ces lois sont appliquées, ce qui n’est pas systématique, elles se résument à des formalités administratives parfois sujettes à pressions et non contrôcolées.  Les populations sont le plus souvent exclues du processus et on attend d’elles qu’elles approuvent, sans toujours saisir la portée intégrale de ce jargon technique.

Certains moments encourageants ont pu être commentés, comme la Conférence mondiale des peuples sur le changement climatique convoquée par Evo Morales en avril 2010, à Cochabamba en Bolivie, à laquelle les populations indigènes furent assez largement représentées. La résolution eut une portée considérée comme symboliquement forte.

Pour finir sur l’approche indigène de la protection de l’environnement, il est nécessaire d’évoquer la notion de « buen vivir ». Il s’agit de la conception du monde des Quechua des Andes. De nombreuses communautés s’en sont inspirées, comme les Aymara de Bolivie, les Quichua d’Equateur et les Mapuches du Chili. Il s’agirait plus de vivre bien que de vivre mieux, pour renvoyer à une vie harmonieuse et équilibrée, et non une forme de compétition. L’article  d’Oliver Balch, “Buen vivir: the social philosophy inspiring movements in South America” du Guardian, détaille assez précisément cette conception. Il affirme que cette conception est tout autant l’héritière de conceptions indigènes que de critiques occidentales du capitalisme de ces trente dernières années, notamment sur les thématiques féministes et environnementales. Cette conception fait l’éloge de l’échelle locale qui protège les populations, préserve la culture et l’environnement, s’opposant à l’agriculture industrielle. Cette notion sera même adoptée dans leurs lois, comme mentionné précédemment, par l’Equateur et la Bolivie. C’est ainsi qu’en Equateur, le gouvernement a proposé, entre 2009 et 2013, un « Plan del buen vivir ». Celui-ci était censé s’inscrire dans la continuité de l’initiative de mai 2007 de renoncer à exploiter le pétrole du parc national Yasuní. Le gouvernement équatorien a par la suite utilisé l’argument environnemental comme levier pour demander à la communauté internationale de compenser financièrement cette non-exploitation par la création d’un fonds qui serait administré par l’ONU. Cet accord n’aboutissant pas, le président R. Correa a décidé l’exploitation du parc en 2016, dont le gouvernement prévoit une production de 300 000 barils par jour, par des sociétés comme Petroamazonas.

De cet article, on peut retenir que les économies latino-américaines semblent fondées sur une reprimarisation de l’économie, qui les rend dépendantes des cours mondiaux des matières premières et entraîne des luttes socio-environnementales, dont on peut mesurer la violence en observant les statistiques de militants tués ou disparus. Cette lutte environnementale reste relativement désorganisée, locale et diffuse. Elle comprend des communautés indigènes, paysannes, et plus récemment s’organisent en mouvement urbains. Ceux ci tendent à converger vers une vision spécifique de l’écologie, qui passe par l’appropriation des terres et l’écoterritorialité. Malgré certaines organisations qui tentent de s’institutionnaliser et la valeur légale de certains principes de protection de l’environnement, il semblerait que ces militants restent exposés à des dangers considérables et que les gouvernements, de droite, comme de gauche, se préoccupent toujours davantage de l’immédiateté des bénéfices de l’exploitation des matières premières que de ses impacts sociaux et environnementaux.

Madeleine ROY

 

Sources : 

Buen vivir: the social philosophy inspiring movements in South America, The Guardian, Oliver Balch, 4 février 2013.
(
https://www.theguardian.com/sustainable-business/blog/buen-vivir-philosophy-south-america-eduardo-gudynas)

“Lutter contre l’extractivisme- Solidarité avec les peuples et les territoires latino-américains”, Brochure France Amérique Latine, 2016 (http://www.franceameriquelatine.org/wp-content/uploads/2017/09/Brochure-FAL-Extractivisme-1.pdf)

“Les défenseurs de l’environnement de plus en plus menacés”, Libération, Coralie Schaub, BIG Infographie, 13 juillet 2017
(
http://www.franceameriquelatine.org/les-defenseurs-de-lenvironnement-de-plus-en-plus-menaces-article-de-liberation/)

“Et si l’on s’inspirait de l’Amérique latine pour lutter contre le changement climatique ?”, Global Voices, 28 décembre 2014
(
https://fr.globalvoices.org/2014/12/28/179636/)

L’Amérique du Sud à l’heure du post- extractivisme”, Mediapart, Les invités de Médiapart, Joan Martinez Alier, 20 mars 2015
(
https://blogs.mediapart.fr/edition/les-invites-de-mediapart/article/200315/lamerique-du-sud-lheure-du-post-extractivisme)

“Socialisme et écologie en Amérique Latine”, Midi Insoumis, Populaire et Citoyen, André Maltais, 4 novembre 2012
(
http://www.gauchemip.org/spip.php?article19808)

“Qui a tué Berta Cáceres ?”, Le Monde Diplomatique, Cécile Raimbeau, octobre 2016 (https://www.monde-diplomatique.fr/2016/10/RAIMBEAU/56454)

“Latin America’s left turn collides with Indigenous Movements”, In these Times, Nyki Salinas- Duda, 16 novembre 2012 (http://inthesetimes.com/uprising/entry/14202/indigenous_movements_clash_with_latin_americas_left_turn/ ) Version française : http://www.metiseurope.eu/amerique-latine-mouvements-indig-nes-contre-gauche-productiviste_en_70_art_29512.html

Bednik, Anna. « Conflits, chocs et résiliences. L’extractivisme questionne-t-il la transition ? », Mouvements, vol. 75, no. 3, 2013, pp. 44-52.

Chartier, Denis, et Michael Löwy. « L’Amérique latine, terre de luttes socioécologiques », Ecologie & politique, vol. 46, no. 1, 2013, pp. 13-20

Löwy, Michael. « Les luttes écosociales des indigènes », Ecologie & politique, vol. 46, no. 1, 2013, pp. 55-66.

Svampa, Maristella. « Mouvements sociaux, matrices sociopolitiques et nouveaux contextes en Amérique latine », Problèmes d’Amérique latine, vol. 74, no. 4, 2009, pp. 113-136.

Svampa, Maristella. « Néo-« développementisme » extractiviste, gouvernements et mouvements sociaux en Amérique latine », Problèmes d’Amérique latine, vol. 81, no. 3, 2011, pp. 101-127.

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