Kigali, ville verte : stratégie nationale d’urbanisation pour une ville durable

Kigali, ville verte : stratégie nationale d’urbanisation pour une ville durable

La Vision 2020 pour le Rwanda résulte de réflexions menées entre 1997 et 2000, et vise, selon les mots du président rwandais Paul Kagamé, à transformer le pays « en un pays à revenu intermédiaire où les Rwandais jouissent d’une meilleure santé, sont plus éduqués et plus prospères de façon générale ». Six piliers sont identifiés pour atteindre cet objectif : la bonne gouvernance et la gestion efficiente des affaires publiques, un capital humain qualifié, un secteur privé dynamique, des infrastructures de qualité, ainsi qu’une agriculture et un modèle d’élevage modernes. L’urbanisation du pays et le développement de la ville de Kigali s’inscrivent au cœur de ce plan directeur ambitieux. Le développement de la capitale rwandaise, en plus de répondre au besoin de croissance économique du pays, sert aussi un objectif politique et social d’unité nationale après le génocide de 1994.

Au lendemain du drame, Kigali connaît un afflux de population important. En effet, un grand nombre de Rwandais reviennent d’exil, et la ville attire car offre de meilleures opportunités de formation, d’emploi et de commerce qu’ailleurs dans le pays. En 1994, la ville était peuplée d’environ 50 000 habitants (235 000 en 1991) ; elle en compte aujourd’hui plus d’un million. L’augmentation de la population est allée de pair avec la croissance de la superficie de la ville, due à la multiplication anarchique de logements et de quartiers dits spontanés.

Depuis la fin des années 2000, la ville de Kigali a entrepris sa mutation et présente désormais une image résolument tournée vers la modernité. Un ensemble de plans quinquennaux doivent tirer le développement de la ville jusqu’en 2050. En 2013, le Kigali Conceptual Master Plan, le plan directeur du développement de la ville, a été officiellement adopté. Selon le site officiel de la ville de Kigali, ce plan « tient compte de la protection des coteaux, des forêts et des zones humides de sorte que les générations à venir puissent en profiter. Il s’aide des cycles naturels pour fournir une infrastructure efficace pour l’eau, l’évacuation, l’épuration, la production de biogaz à partir des déchets et du recyclage ». La croissance durable et respectueuse de l’environnement, combinant écologie, équité et économie, est ainsi au centre du plan. Il doit également permettre d’accompagner la ville vers la réalisation de quatre autres objectifs : le renforcement du sentiment d’appartenance, de la coopération et de l’optimisme au sein de la communauté, l’établissement d’un cadre juridique pour la gestion et l’utilisation des terres, la création de normes de développement pour assurer la sécurité des résidents, et, enfin, l’essor d’une vitalité économique dont l’ensemble des citoyens bénéficieront.

Une des priorités du 2013-2018 est le développement du quartier d’affaires, la zone la plus attrayante en termes d’activités commerciales. L’atteinte de cet objectif doit générer des revenus et des investissements pour le pays qui pourront ensuite alimenter le développement d’autres secteurs, explique Alphonse Nkurunziza, ingénieur municipal chargé de la coordination entre les services de l’urbanisme et de la construction, du développement de l’infrastructure et de l’examen du plan directeur, dans un entretien donné à Afrique Renouveau.

Réalisation et financements

L’application de ce plan se traduit par la construction et la réhabilitation de nombreuses infrastructures, qui s’inscrivent dans des objectifs de développement durable.

L’intégration de tous les habitants à la ville est une des priorités du gouvernement rwandais, dans sa volonté de renforcer l’union nationale. Cela se traduit par des réalisations effectuées dans les domaines du logement et du transport notamment. Concernant le logement, l’accent est mis sur l’importance d’agir contre les zones d’habitation sauvage. Dans ce cadre, une politique est menée afin de rendre les nouvelles zones d’habitation accessibles à tous. Différents standings de logement existent, correspondant à différentes fourchettes de prix, le but étant que chacun puisse bénéficier d’une offre de logement abordable. Concernant le transport routier, les nouvelles routes sont larges pour fluidifier au maximum le trafic des véhicules, et les anciennes sont progressivement goudronnées, afin de relier les quartiers périphériques au coeur de la ville et de créer un espace urbain où les différents quartiers communiquent facilement. Le nouveau plan de circulation de la ville intègre le réseau de transports en commun et, pour améliorer la qualité de vie des habitants, le centre ville est désormais une zone piétonne. Les installations sanitaires et l’approvisionnement en eau sont repensés et améliorés, et participent également de cette volonté d’intégration des quartiers défavorisés à la ville, en les reliant progressivement aux réseaux d’électricité et d’eau courante.

En parallèle de ces réalisations, de nombreuses initiatives en vue de protéger l’environnement sont menées. Le déboisement des collines a été interdit et les plans d’urbanisation empêchent désormais d’y construire de nouveaux bâtiments. Ces mesures s’accompagnent du développement d’une conscience urbaine chez les habitants, fortement encouragée par le gouvernement. Une fois par mois, les citoyens de plus de 16 ans doivent par exemple participer au nettoyage des rues et des canalisations de Kigali. Ils sont aussi invités à planter des arbres, notamment pour reboiser les collines, et à creuser des trous pour recueillir l’eau de pluie. La ville de Kigali se montre également intransigeante quant à la gestion des déchets. Le système de collecte des ordures a été repensé, et un centre de tri et des incinérateurs ont été installés.

On observe à Kigali le développement rapide de grands centres commerciaux, de buildings, et de nouvelles zones résidentielles, qui ont donné à la ville un visage moderne en un temps relativement court. Les projets de construction fleurissent de façon ordonnée ; les zones constructibles sont identifiées et la préservation de la nature figure parmi les priorités du plan d’urbanisation.

La ville dépend beaucoup de l’Etat car son développement, en plus d’être l’élément moteur de la croissance économique du pays, sert aussi un objectif politique et social d’unité nationale. La question sociale est de ce fait très importante pour les pouvoirs publics ; nous l’avons montré, le développement des routes et des circuits d’approvisionnement en eau ont par exemple pour objectif l’intégration à la ville des quartiers défavorisés.

L’Etat n’est cependant pas la source de financement la plus importante du plan de développement de la capitale rwandaise. Le site officiel de la ville présente les contributeurs suivants : la ville de Kigali, à travers ses propres taxes et revenus (dont 30 % proviennent des trois districts qui la composent, à savoir Gasabo, Kicukiro et Nyarugenge), des donateurs tels que la Banque Mondiale, le gouvernement chinois ou l’agence de développement belge, la Belgium Technical Cooperation, l’Office rwandais de sécurité sociale (RSSB en anglais) et enfin des sources privées comme Shelter-Afrique, « la seule institution panafricaine de financement appuyant exclusivement la promotion de l’habitat et du secteur immobilier en Afrique » selon sa propre définition ou la Banque rwandaise de développement (BRD). L’Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO) accompagne et subventionne aussi la culture de fruits et légumes au sein de la ville, afin de renforcer la sécurité alimentaire et d’agir comme complément de revenus pour les agriculteurs.

Selon les informations données sur le site de la ville de Kigali, le coût devant permettre la réalisation des priorités ciblées par le plan de développement de la ville sur les années 2013-2018 s’élève aux alentours de 880 milliards de Francs rwandais, soit environ 871 millions d’euros.  Sur ce montant, les fonds versés par le gouvernement s’élèvent à environ 21 milliards de francs rwandais (RWF) (20,8 millions d’euros), la ville de Kigali prend en charge 56 milliards de RWF (55,4 millions d’euros), les « sources privées » apportent quant à elles 757 milliards de RWF (749 millions d’euros). Pour le moment, le développement de la ville repose en grande partie sur les apports privés ou étrangers.

Un développement visible qui ne doit pas masquer de nombreux enjeux à relever

La transformation de Kigali, désormais modèle de ville durable, propre, organisée, semble porter ses fruits. La capitale du Rwanda est devenue un pôle d’affaires et d’investissements de premier ordre en Afrique de l’Est, et la qualité des nouvelles infrastructures motive l’installation d’entreprises qui font de la ville l’un des centres majeurs de technologie de l’information en Afrique.

Elle a reçu en 2008 le Prix d’Honneur de l’ONU-Habitat et fut ainsi reconnue « meilleure capitale mondiale » pour récompenser son dynamisme innovant en termes d’urbanisation durable. Plus récemment, en 2015, Kigali a été choisie pour prendre part à l’initiative  « 100 villes résilientes » de la Fondation Rockefeller. Cette initiative aide les villes participantes à faire face aux défis posés par l’urbanisation, la mondialisation et le changement climatique en les accompagnant dans le développement d’infrastructures capables de relever le défi de la croissance démographique, notamment dans les secteurs de l’approvisionnement en eau,  de l’assainissement et de la santé publique.

Le nouveau visage de Kigali permet le développement du tourisme et notamment du tourisme d’affaires. En 2015, l’Association internationale des congrès et conférences pour le tourisme d’affaires classait la ville en cinquième position à l’échelle africaine pour l’accueil de réunions d’affaires et de sommets internationaux. En effet, la ville est aujourd’hui très prisée des organisateurs de conférences internationales. Le tourisme d’affaires a généré pour le Rwanda un revenu de 37 millions de dollars en 2015, de 47 millions en 2016 et les recettes de 2017 sont estimées à environ 64 millions de dollars. L’enjeu est désormais le maintien d’une demande suffisante pour que les investissements dans ce domaine soient rentables à long terme.

Néanmoins, le développement de la ville Kigali n’a pas que des externalités positives. Benjamin Michelon, dans son ouvrage intitulé Douala et Kigali. Villes modernes et citadins précaires en Afrique (Karthala, 2016), montre que cette dynamique de modernisation de la ville entraine spéculation et libéralisation du marché foncier conduisant à l’éviction des plus pauvres, victimes d’expropriation. L’auteur explique également que la mutation de la ville s’accompagne d’une transformation des commerces et le déplacement des zones dans lesquels ils se trouvent. Les centres commerciaux, qui attirent une clientèle rwandaise ou étrangère aisée, prennent ainsi la place de marchés « traditionnels » où les produits s’échangeaient à un prix accessible pour les moins aisés. Benjamin Michelon met en garde contre le développement d’une ville duale, ville formelle pour la partie vitrine, ville informelle pour les populations plus pauvres qui s’en trouvent lésées, ville qui, finalement, fragmente au lieu d’unir.

Avec le développement de la réglementation en termes de construction urbaine et la hausse des prix du logement, des quartiers spontanés se créent en périphérie de la ville, ou dans les districts alentours, qui contrastent fortement avec le reste moderne de la ville. La périurbanisation devient lors un nouvel enjeu pour les autorités de Kigali, qui voient le problème se déplacer sur fond de modernité.  Le risque est de voir se développer une ville riche aux infrastructures de pointe cerclée de bidonvilles. C’est pourquoi le développement du réseau urbain par l’extension du système d’approvisionnement en eau et en électricité et le prolongement des routes est central. Il permet de relier les quartiers périphériques à la ville, intégrant ainsi les populations défavorisées aux espaces en développement et leur offrant un accès aux lieux où l’emploi se développe, et à de meilleures conditions de vie.

Le développement de Kigali est suffisamment récent pour que cet enjeu de périurbanisation soit pris en compte avant que le problème ne s’ancre dans le territoire, et pour pouvoir faire bénéficier l’ensemble de la population du projet de développement.

 

Jeanne INGLEBERT et Séphora SAADI

 

SOURCES

 

RAPPORTS :

Banque Africaine de Développement, Villes durables et infrastructures urbaines en Afrique, 2017, Abidjan

Banque Africaine de Développement, OCDE, PNUD, Perspectives économiques en Afrique, Villes durables et transformation structurelle en Afrique, 2016, Paris

Banque Mondiale, Greening Africa’s Cities: Enhancing the relationship between urbanization, environmental assets and ecosystem services, 2017, Washington DC

Vincent Manirakiz, « Processus d’urbanisation de la ville de Kigali, Rwanda : relation entre la dynamique spatiale et démographique », Communication pour la chaire Quetelet 2011 «Urbanisation, migrations internes et comportements démographiques »

City Development Plan 2013-2018, Juin 2013, Ville de Kigali
http://www.kigalicity.gov.rw/fileadmin/Template/Documents/budget/CDP%202013-2018%20%28City%20development%20Plan%29.pdf

Document présentant la Vision 2020 pour le Rwanda,
http://www.ambarwanda-paris.fr/pdf/Vision-2020-fr.pdf

 

Et sa vision révisée de 2012, Rwanda Vision 2020 – Revised 2012
http://www.minecofin.gov.rw/fileadmin/templates/documents/NDPR/Vision_2020_.pdf

 

PRESSE :

 

Busani Bafana, « Kigali scintille sur les collines », publié en avril 2016, Afrique Renouveau http://www.un.org/africarenewal/fr/magazine/avril-2016/kigali-scintille-sur-les-collines
Consulté le 3 décembre 2017

Virginie Nantchop, « Douala & Kigali », publié le 4 août 2017, Politique Etrangère (n°2/2017) http://politique-etrangere.com/2017/08/04/douala-kigali/ à propos de l’ouvrage de Benjamin Michelon, Douala & Kigali. Villes modernes et citadins précaires en Afrique (Karthala, 2016, 320 pages)
Consulté le 1er décembre 2017

Emmanuel Atcha, « Rwanda : meilleure performance dans la réalisation des Objectifs de développement durable », publié le 12 juillet 2017, La Tribune Afrique https://afrique.latribune.fr/economie/strategies/2017-07-12/rwanda-meilleure-performance-dans-la-realisation-des-objectifs-de-developpement-durable-743771.html
Consulté le 1er décembre 2017
Janet Akinyové, «Tourisme d’affaires : le Rwanda bat des records », publié le 28 juillet 2017, Le Point Afrique, http://afrique.lepoint.fr/economie/tourisme-d-affaires-le-rwanda-bat-des-records-28-07-2017-2146582_2258.php
Consulté le 1er décembre 2017

 

SITES INSTITUTIONNELS :

Site de la ville de Kigali, http://www.kigalicity.gov.rw/index.php?id=5
Consulté le 29 novembre 2017

 

Site de la BTC-Belgian Development Agency, https://www.btcctb.org/content/btc-rwanda Consulté le 29 novembre 2017

 

Site de Shelter Afrique, http://www.shelterafrique.org/index.php/about-us/who-we-are/?lang=fr
Consulté le 29 novembre 2017

 

ClasseInternationale

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