Les Etats-Unis du Mexique élisaient dimanche 1er juillet leur nouveau président ainsi que neuf des gouverneurs de ses États – dont le nombre total s’élève à 32. Andrés Manuel Lopez Obrador, issu de la coalition de gauche formée par Morena (Mouvement de régénération nationale), le Parti des travailleurs et par le Parti Rencontre sociale de mouvance évangélique, a remporté la présidence de l’Etat fédéral avec 53,6 % des voix. Au terme d’une campagne mouvementée, cinq des neuf postes de gouverneurs en jeu sont également revenus à Morena (Mexico, Veracruz, Morelos, Chiapas, ainsi que Tabasco).
Une campagne marquée par des débordements violents
Selon le cabinet d’analyses Etellekt, entre septembre 2017 et fin juin 2018, 416 agressions de responsables politiques et 132 homicides, dont 48 candidats ou pré-candidats aux élections à l’échelle locale, ont eu lieu. Ces agressions et meurtres ont principalement touché le parti du président sortant, Parti révolutionnaire institutionnel, reflétant l’intense mécontentement de la part de la population mexicaine.
Un symbole de changement
Andrés Manuel Lopez Obrador – surnommé AMLO – s’est positionné pendant la campagne comme le candidat antisystème. Cette stratégie a payé au-delà de ses attentes grâce à l’exaspération généralisée envers le président sortant, et sa victoire signe la fin de la domination de soixante-dix-sept ans de la Présidence par le parti de centre droit, le Parti révolutionnaire institutionnel. Il n’est donc pas surprenant que les premières annonces du nouveau président se veuillent le reflet et le symbole d’une réelle transformation en marche pour le Mexique.
A titre d’exemple, AMLO a promis de continuer à vivre dans son appartement de Mexico et de transformer en centre culturel la résidence présidentielle de Los Pinos, symbole selon lui de la corruption des précédents présidents. Un fort signal de la part d’un homme de gauche, donc.
Les défis du mandat
Un mandat de six ans attend désormais AMLO, si aucune embûche ne se présente. Le programme est très chargé pour ce président du changement.
Sa première priorité devrait être la lutte contre la corruption. Cette problématique était déjà l’un de ses chevaux de bataille en 2000, lorsqu’il était maire de Mexico. Il promet également de diminuer les salaires des hauts-fonctionnaires – et le sien – de 50 %. Cela constitue un geste fort à l’égard des électeurs exaspérés par le mandat de son prédécesseur, Enrique Pena Nieto. L’un des points les plus délicats sera de tenter de stopper l’infiltration des narcotrafiquants dans la classe politique : cette année comme précédemment, des membres de réseaux de trafic de drogue se sont présentés à des postes dans les localités stratégiques, sur la route vers les Etats-Unis.
AMLO veut aussi combattre le crime et l’impunité. C’est un sujet primordial pour le Mexique puisqu’en 2017, plus de 25 300 homicides ont été décomptés par les autorités. Claudia Sheinbaum, première femme à être élue à Mexico et membre de la coalition de gauche, partage cet objectif. A cet égard, les cartels de drogue et le narcotrafic sont un enjeu de taille : d’un côté, légaliser ou dépénaliser la consommation de drogue pourrait briser cette criminalité, de l’autre, cela aurait aussi pour risque de relancer d’autres activités de trafic – par exemple le kidnapping contre rançon. Cette solution est de plus rendue inenvisageable par le dogme religieux, dans un pays où la population se déclare à plus de 82 % catholique. Le Mexique est le deuxième pays catholique au monde, juste derrière le Brésil, qui compte le plus de fidèles, or l’Eglise refuse catégoriquement toute dépénalisation de la consommation de drogue. En effet, selon la religion catholique, aucun esclavage ne doit être admis. De ce fait, la consommation drogue de par l’addiction qu’elle entraîne, devrait rester prohibée. Cela explique que la majorité des mexicains ne considèrent pas une telle mesure comme une solution.
Combattre le crime est urgent dans le cas particulier des journalistes, très touchés par les homicides. Depuis janvier 2017, 18 journalistes dénonciateurs de la corruption et l’intrication entre narcotrafic et pouvoir politique ont été tués au Mexique. Ces meurtres sont caractérisés par une impunité : selon les mots des rapporteurs de la Commission interaméricaine des droits de l’homme, “l’impunité pour ces délits est la règle générale dans les cas d’assassinat et de disparition de journalistes. »
Enfin, concernant les relations avec les Etats-Unis, tendues depuis l’élection de Donald Trump du fait de sa politique commerciale et migratoire, AMLO a déclaré vouloir une relation d’amitié avec son voisin. Il aura également à faire avec le Canada, puisque la renégociation du traité de libre-échange qui unit ces trois Etats aura lieu durant son mandat.
Les enjeux et les défis qui se posent au nouveau président mexicain et aux nouveaux responsables locaux de gauche sont à l’image de leur victoire : immenses. L’ambition de Andrés Manuel Lopez Obrador semble de taille face à ces défis. Cependant, comme tout Etat fédéral, certaines décisions ne peuvent s’imposer aux Etats fédérés. Il faudra donc beaucoup de courage au nouveau président pour surmonter les difficultés qu’il risque de rencontrer chez les gouverneurs des Etats de l’opposition.
Marie Mognard
Bibliographie
Karl Laske, “La sanglante année de plomb des journalistes mexicains”, Mediapart, 29/05/2018 (consulté le 02/07/2018) https://www-mediapart-fr.ezproxy.univ-paris1.fr/journal/international/290518/la-sanglante-annee-de-plomb-des-journalistes-mexicains
RFI, “Mexique : pour Lopez Obrador, le plus dur reste à venir”, RFI News, 02/07/2018 (consulté le 02/07/2018)
http://www.rfi.fr/ameriques/20180702-mexique-lopez-obrador-le-plus-dur-reste-venir
Le Monde avec AFP, “Large victoire du candidat de gauche « AMLO » à la présidentielle”, le Monde, 01/07/2018 (consulté le 02/07/2018)
Le Monde, “Sept choses à savoir sur le nouveau président mexicain, Andrés Manuel López Obrador”, Le Monde, 02/07/2018 (consulté le 02/07/2018)
Audrey Delaporte, “Une campagne électorale ensanglantée”, Le Monde, 01/07/2018 (consulté le 02/07/2018)
Mister Geopolitix, “Les Mexicains sont-ils complices du narcotrafic”, hébergé sur Youtube, 24/06/2018 [contenu vidéo]
https://www.youtube.com/watch?v=rKEdri5JYm4
No Comment