2020. L’année qui a bouleversé les États-Unis – Épisode 2 : La crise du coronavirus, une épreuve nationale qui divise plus qu’elle ne rassemble.
En novembre 2019, une maladie infectieuse, appelée Covid-19, se répand en Chine. Alors qu’elle semble se cantonner dans un premier temps en Asie, elle finit par se propager au mois de janvier dans le monde entier, affectant d’abord l’Europe, puis les États-Unis et l’Amérique latine. Le 11 mars 2020, l’Organisation mondiale de la santé (OMS) qualifie l’épidémie de coronavirus de pandémie, recommandant vivement à la communauté internationale de prendre des mesures de protection conséquentes pour prévenir la saturation des hôpitaux et freiner la propagation du virus. Moins d’une semaine plus tard, de nombreux pays dans le monde, notamment en Europe, annoncent un confinement général entraînant la fermeture des frontières, des liaisons aériennes et mettant la vie économique et sociale à l’arrêt.
Aux États-Unis, c’est avec une certaine indifférence que l’on regarde la situation se détériorer en Europe, alors principal foyer épidémique dans le monde. L’administration Trump ne juge pas nécessaire de mettre rapidement en place des mesures de prévention au niveau national, balayant les recommandations des autorités sanitaires américaines, dont le renommé Center for Disease Control (CDC), qui exhortent les gouvernements locaux, les entreprises et les établissements publics à élaborer des plans pour prémunir la population et empêcher les risques de contamination. Le président américain fait d’ailleurs publiquement part de son scepticisme vis-à-vis de la dangerosité du virus lors d’un meeting dans le New Hampshire, début février : « En avril, dès que les températures auront un peu remonté, ce virus disparaîtra. Comme par miracle ». Des propos qui seront démentis par la réalité. Et pourtant, malgré ses innombrables sorties de route, tantôt dénuées de sens, tantôt dangereuses, l’actuel locataire de la Maison-Blanche parvient à conserver une base électorale solide, à quelques jours de l’élection présidentielle. Une obédience assumée, toujours un peu plus revendiquée, à l’égard du milliardaire qui questionne la puissance idéologique du « trumpisme », à l’heure où la démocratie américaine connaît une de ses périodes les plus sombres. Retour sur l’épreuve de la crise de la Covid-19 aux États-Unis et sur ce qu’elle a permis de mettre en lumière sur l’état actuel de la société américaine.
- Les États-Unis, pays le plus touché dans le monde
Au mois de mars, alors que l’épidémie est particulièrement virulente en Europe où l’on dénombre des milliers de morts, les États-Unis sont encore peu affectés par le virus. Selon les chiffres de l’Université Johns-Hopkins, le 1er mars, une quarantaine de cas est confirmée sur le sol américain et on recense 2 décès. Dix jours plus tard, on dénombre plus de 1 000 cas et 32 morts. À titre de comparaison, le 11 mars, date du confinement en Italie, le pays compte plus de 800 morts et 12 000 cas. Cependant, les données américaines sont largement sous-estimées en raison du peu de tests réalisés sur les personnes symptomatiques. C’est à ce moment-là que le gouvernement américain, par la voix de son président, prend la mesure, toute relative par ailleurs, du risque qu’implique cet agent pathogène. Donald Trump annonce d’abord que les Européens de l’espace Schengen sont interdits d’entrée sur le territoire américain, avant de déclarer le 13 mars l’état d’urgence sanitaire nationale, une mesure qui permet de débloquer des fonds fédéraux supplémentaires. Le Stafford Act de 1938 est une loi qui permet d’aider en urgence les États fédérés pour faire face à des situations extraordinaires. Le recours à cette loi pour des raisons sanitaires est rarissime. Il faut remonter à l’année 2000 pour trouver un précédent. À l’époque, le président Bill Clinton y avait eu recours pour combattre le virus du Nil occidental.
Le 20 mars, une semaine après la proclamation de l’état d’urgence sanitaire, on recense à travers tout le pays plus de 17 000 cas et 229 morts. Certains États, comme la Californie, commencent alors à se confiner. Au 31 mars, les chiffres explosent. Près de 188 000 personnes sont testées positives et 3 861 américains succombent au virus. Pour se rendre compte de la vitesse de propagation, le nombre de contaminés franchit la barre des 500 000 en moins de deux semaines. Et là encore, ces données sont loin de refléter la réalité, faute de tests. À New York, le système hospitalier est au bord de la rupture. Des patients sont installés dans les couloirs et les cafétérias. D’autres renoncent aux soins et attendent d’être très malade pour se rendre à l’hôpital, mais il est souvent trop tard. Le personnel soignant, quant à lui, fait avec les moyens du bord, parfois rudimentaires, alors que le corps médical n’est pas épargné par les contaminations. Un hôpital de campagne est même construit dans Central Park pour traiter uniquement les malades de la Covid-19 et tenter ainsi d’alléger la pression dans les principaux centres de soin de la ville. L’image marquante de cette période, qui résume à elle seule l’impuissance des services hospitaliers et l’impréparation des autorités, restera sans nul doute celle de cette fosse commune sur Hart Island [1], près de New York, où des centaines de cercueils sommaires faits de simples planches de bois sont alignés les uns à côtés des autres.
Nous pourrions consacrer plusieurs dizaines de pages aux conditions dans lesquelles les services de secours ont travaillé, à analyser les chiffres, les courbes et les discours des spécialistes et des politiques, à décrire les conditions souvent inhumaines dans lesquelles des milliers de familles ont dû faire leur deuil sans pouvoir dire au revoir aux leurs mais nous nous perdrions dans une analyse macabre qui ne nous apprendrait rien de plus que : le virus tue. L’essentiel est de retenir que les autorités centrales n’ont pas retenu la leçon de ces événements. En effet, l’évolution des chiffres de contamination et de décès est restée constante jusqu’à aujourd’hui. La barre symbolique du million de cas est franchie fin avril et celle des 100 000 morts le mois suivant. Donald Trump pensait pourtant que cette « grippe saisonnière », comme il aimait si bien la qualifier, partirait avec l’été. Le pic d’avril de 60 000 hospitalisations a été atteint au mois de juillet et dépassé au mois d’août. Aujourd’hui, les États-Unis restent le pays le plus touché au monde par la pandémie, avec des records de contaminations battus quasi-quotidiennement depuis la rentrée de septembre. Au total, plus de 7,5 millions d’Américains ont été contaminés par le coronavirus et près de 215 000 ont perdu la vie. Pour les experts, le pays n’a jamais surmonté la première vague.
- Une gestion disparate dans un système fédéral
Les États-Unis sont certainement le seul pays, avec le Brésil, à avoir fait passer l’économie avant la santé. Pas très étonnant pour deux nations dirigées par deux hommes dont les valeurs sont sensiblement identiques et qui fondent leur idéologie sur un rejet systématique de la science et une contestation permanente de la réalité qui viendrait les contredire. Donald Trump s’est largement reposé sur les gouverneurs des États dans la gestion de cette crise. Une alternative assez habile politiquement qui lui permet de se dédouaner aisément de toute responsabilité dans le cas où la gestion aurait été jugée insuffisante. Mais avec le recul, cette tactique s’est avérée être un mauvais calcul, du moins jusqu’à présent, puisque le reproche adressé aujourd’hui à Donald Trump est justement son manque d’implication et l’indifférence avec laquelle il a géré la situation. Les cinquante États ont donc assumé la réponse sanitaire dans leur coin, avec les moyens du bord, déplorant l’absence de coordination de l’État fédéral qui les a conduits à se disputer le matériel disponible. « On se bat les uns contre les autres », résumait le gouverneur de l’État de New York Andrew Cuomo, le 31 mars, dans un de ses points de presse quotidiens. « Des entreprises nous disent littéralement par téléphone : “Désolé, la Californie a remporté l’enchère.” C’est comme si cinquante États enchérissaient sur eBay pour obtenir un aspirateur. »
Contrairement à l’ensemble des pays touchés par la pandémie, qui confinent leurs habitants, l’État fédéral n’a pas donné cette consigne. Depuis toujours, le système fédéral américain reconnaît aux États fédérés compétence pour protéger l’ordre public sur leurs territoires. Il revient donc au gouverneur de chaque État d’affirmer l’existence d’une situation d’urgence, de prendre les mesures appropriées, et ce, indépendamment de la proclamation par le président américain de l’état d’urgence sanitaire nationale. Le 19 mars, la Californie est le premier État à décréter un confinement général sur tout son territoire. Mais à système complexe, gestion de crise complexe. Aucun des cinquante États n’a appliqué les mêmes mesures sanitaires. Certains ont tardé à mettre en place le confinement, comme le Texas, où il a été d’abord rendu partiel dans une cinquantaine de comtés fin mars, puis intégral début avril. D’autres – ils sont cinq au total, tous dirigés par des républicains acquis à la cause de Donald Trump – n’ont même jamais instauré de confinement, à l’instar du Dakota du Sud et de l’Arkansas. Cette confusion va encore plus loin car, parfois, ce sont les maires, comme celui de Philadelphie, qui ont ordonné à la population de leur ville de rester chez eux. Ajouter à cela une communication présidentielle chaotique et une partie de la population, là aussi adepte du « trumpisme », farouchement opposée à l’idée qu’on puisse les priver de liberté, et vous vous retrouvez avec une situation ingérable sur l’ensemble du pays qui n’en finit pas de s’aggraver.
Début mai, les États-Unis se déconfinent comme ils se sont confinés : progressivement et de manière disparate. Un paradoxe résume la situation. Le Texas a rouvert le 1er mai ses restaurants et centres commerciaux au lendemain de ce qui fût à ce moment-là la journée la plus meurtrière dans l’État. Trente-cinq États commencent à assouplir leurs mesures en rouvrant dans un premier temps les commerces non-essentiels pour tenter d’amortir le choc économique. Si les principaux foyers de contamination, tels que New York et le New Jersey, voient les contaminations baisser, ce n’est pas le cas de l’Illinois, du Texas ou encore de la région de Washington DC qui connaissent une recrudescence de l’épidémie. Compte-tenu de la gravité de la situation dans le pays, un déconfinement précipité aurait eu des conséquences désastreuses. L’institut de statistiques de l’Université de Washington avaient d’ailleurs alerté sur le fait que le nombre de morts pourraient grimper à plus de 135 000 en août si les décisions d’alléger les mesures de restrictions étaient prises trop rapidement. Avec le recul, ces experts avaient vu juste. Au moment du déconfinement, les États-Unis comptaient environ 70 000 morts. À la fin du mois d’août, ils étaient plus de 180 000, un calcul qui correspond peu ou prou aux chiffres avancés par l’Université de Washington. Cependant, à dire vrai, imputer ces chiffres uniquement aux politiques de déconfinement serait occulter deux pans essentiels dans la gestion de cette crise : la posture de Donald Trump et la réaction d’une frange de la population.
- Une communication présidentielle à contre-courant
Pour comprendre la posture de Donald Trump tout au long de cette crise, il est nécessaire de comprendre le personnage. Mary Trump, sa nièce, a récemment publié un livre au vitriol sur son oncle, intitulé Trop et jamais assez – Comment ma famille a fabriqué l’homme le plus dangereux du monde. Cette psychologue de profession y dépeint un homme égoïste, narcissique et égocentrique, qui se sait « en train de couler et […] entraîne le pays avec lui ». Cette personnalité, il la tient, selon elle, de son père, Fred Trump Sr., qu’elle décrit comme un « père dominateur » dont l’emprise psychologique a fortement déteint sur Donald, qui a ainsi appris « à mentir pour se mettre en valeur ». Ses nombreux tweets dans lesquels il signe « votre président préféré » atteste de ce sentiment inconscient de vulnérabilité affective. Plus la détestation à son égard est forte et médiatisée, plus cela exacerbe ce sentiment chez lui et plus il rentre dans la confrontation et l’invective. L’enfance de Donald Trump explique donc pour beaucoup son comportement d’aujourd’hui. Sauf que, problème, il est président de la première puissance mondiale.
Depuis son arrivée au bureau ovale, le milliardaire se démarque par ses prises de position très controversées et sa personnalité peu empathique et anti-establishment – ce d’ailleurs pour quoi il a été élu. Adepte des fake news, il aurait relayé, selon le Washington Post, plus de 20 000 informations fausses ou trompeuses entre janvier 2016 et juillet 2020, soit environ treize par jour. Si ses mensonges préférés portent sur l’économie et le fameux mur entre les États-Unis et le Mexique, l’épidémie de coronavirus a été l’occasion pour le 45e président américain de découvrir un nouveau terrain de jeu. Dès le début de la pandémie, et encore aujourd’hui, il parle de « virus chinois », exacerbant encore un peu plus les tensions diplomatiques entre les États-Unis et la Chine et nourrissant les thèses complotistes. À plusieurs reprises, Twitter et Facebook ont épinglé Donald Trump pour avoir, entre autres, affirmé que les États-Unis avaient le taux de mortalité dû à la Covid-19 le plus bas du monde et que les enfants étaient presque totalement immunisés en raison de leur âge. Il a également soutenu les manifestants anti-masques et anti-confinement et appelé à la libération des États confinés comme le Michigan ou le Minnesota. Et quand ce n’est pas sur les réseaux sociaux, c’est derrière son pupitre de la salle de presse de la Maison-Blanche que Donald Trump détonne le plus. En avril 2020 par exemple, il a suggéré aux Américains de s’injecter de la javel dans le corps et de faire une cure d’ultraviolets pour guérir du coronavirus.
Plus récemment, ironie du sort, Donald Trump est testé positif à la Covid-19 et hospitalisé pendant plusieurs jours. Les médias s’emballent. La communication autour de son état de santé est contradictoire. La question d’invoquer le 25e amendement [2] est même à un moment soulevé lorsqu’on apprend qu’il était dans un état inquiétant et sous oxygène. Finalement, le président américain reviendra à la Maison-Blanche quelques jours plus tard. Mais force est de constater qu’avoir été malade ne l’a pas poussé à changer de perception. Dans une déclaration publiée sur les réseaux sociaux, il a exhorté ses concitoyens à ne pas avoir peur du virus tout en retirant son masque, dont il a longtemps été un pourfendeur avant de changer de stratégie et de voir le port du masque comme un geste « patriotique ».
Cette communication à contre-courant est déjà problématique quand elle est portée par le président des États-Unis mais elle le devient encore plus quand elle est omniprésente. Donald Trump fait naître de faux espoirs, réécrit l’histoire et réinvente la science. Il déblatère sur son héroïsme supposé, gémit de son martyr autoproclamé et s’acharne sur quiconque aurait l’audace de remettre en question son infaillible jugement. En lieu et place d’un véritable chef, les Américains ont un démagogue. Au lieu d’empathie, les Américains ont droit à de l’agitation. Et comme tout bon démagogue, les fidèles y restent attachés. En l’occurrence, non seulement les supporters de Trump continuent de l’aduler mais, en prime, ils reproduisent fièrement les erreurs de leur chef. Même si certains électeurs républicains modérés ont décidé de voter Joe Biden à l’élection présidentielle de novembre, et que d’autres – et ils sont nombreux – continuent de soutenir Donald Trump uniquement parce qu’il a apporté, selon eux, une réponse aux problèmes structurels du pays, en occultant avec facilité de leur champ de vision la gestion de la crise sanitaire, une grande partie de son électorat continue de le soutenir contre vents et marées, peu importe les mensonges, scandales et autres contrevérités. C’est là toute la force du « trumpisme ». Cette idéologie multiforme, qui prend sa source essentiellement dans le complotisme, la religion chrétienne et le libertarisme, est aujourd’hui personnifiée mais elle existait déjà avant l’arrivée de Donald Trump. Sa base électorale reste solide car lui seul a su incarner et faire vivre ces idées partagées depuis longtemps par une frange importante de la population américaine. Si celle-ci ne l’a pas abandonné durant la crise du coronavirus, c’est notamment parce qu’il a su entretenir la flamme avec ses supporters en se montrant hostile au port du masque et au confinement, qui allaient à l’encontre des idées libertariennes d’une partie de son électorat ; de même qu’il a su jouer avec les théories complotistes en déclarant par exemple que la Covid-19 était un virus créé par les chinois.
- Une crise qui met en exergue la polarisation idéologique du pays et les fractures sociales de la société américaine
Le « trumpisme » interroge justement la conflictualité des idées aux États-Unis au regard de la crise sanitaire. Le bipartisme politique ancestral des États-Unis dessine souvent les contours d’un bipartisme sociétal. La dichotomie entre les progressistes et les conservateurs pendant cette crise est intéressante à étudier. En juillet, un sondage estimait que 97% des démocrates assuraient porter un masque contre 70% des républicains. Pourquoi ? La raison est simple. Imposer le masque à tous ou exiger à la population de rester chez elle, c’est aller à l’encontre des libertés individuelles que défendent notamment les libertariens de la droite américaine qui sont, dans la quasi intégralité des cas, républicains et partisans de Donald Trump. Les pro et les anti-masque, comme les pro et les anti-confinement sont à l’image de la société américaine : scindée en permanence en deux. D’un point de vue spatial, on retrouve les défenseurs dans les États côtiers majoritairement démocrates et les pourfendeurs dans les États ruraux de l’intérieur majoritairement républicains. Si on pousse plus loin cette dichotomie, en se fondant sur la multiplication des différents événements qui ont ébranlé le paysage états-unien depuis début 2020, les Américains en faveur du port du masque sont les mêmes que l’on retrouve dans les manifestations Black Lives Matter et les combats pour l’avortement. À l’inverse, les anti-masques sont les mêmes qui luttent contre l’avortement et affichent fièrement leur goût pour les armes à feu.
Ce bipartisme met aussi en lumière les fractures sociales de la société américaine. Aux États-Unis, le système est le meilleur allié de la Covid-19. Selon des données scientifiques, ce virus tue quatre fois plus les Noirs que les Blancs, une réalité qui révèle les inégalités systémiques du pays. La pauvreté, les inégalités en matière de santé ou d’accès aux soins, la ségrégation résidentielle, les infrastructures de transports ou de santé défaillantes dans nombre de quartiers habités en majorité par les Noirs sont autant de facteurs aggravants de l’épidémie et qui expliquent la surreprésentation des Afro-Américains parmi les victimes. Le taux de pauvreté des Noirs s’élève ainsi à 22 %, ce qui a de nombreuses conséquences sur leur santé, et en particulier le risque d’être exposé à l’épidémie. En effet, les pauvres sont contraints de vivre dans des quartiers plus éloignés de leurs emplois et moins bien desservis par les transports en commun. Ils les empruntent sur des trajets plus longs et plus bondés. De plus, les Noirs occupent généralement des emplois qui les mettent plus souvent en première ligne face à l’épidémie. Le coronavirus est aussi plus mortel pour les Noirs car ils souffrent plus souvent de maladies chroniques et de facteurs de comorbidité. Cela s’explique notamment par la ségrégation résidentielle qui les contraint à vivre dans des quartiers plus pollués, où les maladies respiratoires comme l’asthme sont plus fréquentes. Enfin, même si la liste des facteurs expliquant les inégalités raciales aux États-Unis est longue, les Afro-Américains sont également moins bien assurés. En 2018, 11 % de la population noire, hors personnes âgées, n’avait pas d’assurance-maladie. Et seulement 55,4 % avaient une assurance privée, contre 74,8 % des Blancs.
Enfin, pour insister sur les fractures de la société américaine, il est intéressant d’analyser le profil des anti-masque évoqués précédemment. Ce sont bien souvent des hommes blancs, pro-Trump, dont certains sont membres de groupuscules d’extrême droite. Fin avril, une partie d’entre eux ont pénétré, lourdement armés, dans le Capitole du Michigan, pour manifester leur mécontentement face au choix de l’État d’instaurer un confinement général. Cet exemple atteste de la radicalisation d’une partie de la société américaine que Donald Trump nourrit lui-même. Il n’en est pas le seul acteur, évidemment. Cependant, le fait que le président des États-Unis ne condamne ni les mouvements suprémacistes blancs, ni le racisme et encore moins les violences policières, conforte celles et ceux qui pensent de la même façon dans leurs agissements, avec l’idée qu’ils peuvent maintenant agir en toute impunité car protégés par la parole présidentielle. Depuis quelques mois, entre la crise sanitaire, les manifestations Black Lives Matter et l’élection présidentielle qui électrise l’échiquier politique, certains analystes comme André Kaspi évoquent la possibilité qu’une guerre civile éclate aux États-Unis. Selon eux, les conditions sont remplies pour que l’opposition devienne violente entre les partisans de la loi et l’ordre – le fameux « Law and Order » régulièrement scandé par Trump sur Twitter – et ceux, sans doute récupérés par l’extrême gauche, qui luttent contre le racisme. Ce n’est pas nouveau. Depuis la guerre de sécession, on assiste de temps à autre à une résurgence des tensions et de la violence qui met aux prises deux visages de l’Amérique. Pourtant, le fait est que depuis 2016, et particulièrement ces derniers mois, ces tensions se sont cristallisées. Pour preuve, le FBI a inculpé début octobre six miliciens d’extrême-droite qui voulaient enlever la gouverneure démocrate du Michigan, qui avait mis en place des restrictions drastiques, pour la juger pour trahison. Ces derniers étaient en relation avec d’autres activistes pour déclencher une guerre civile.
- La crise sanitaire, sujet numéro un de la campagne présidentielle
Dans un pareil contexte, il est évident que la campagne présidentielle a dû s’adapter. Si Joe Biden a vécu reclus dans sa maison du Delaware, dont il a été sénateur pendant 36 ans, en faisant campagne depuis sa cave où un studio a été aménagé, Donald Trump, lui, a repris dès le mois de juin sa campagne sur le terrain en tenant de nombreux meetings. Un en particulier a retenu l’attention. Celui de Tulsa, dans l’Oklahoma, qui s’est tenu le 20 juin. Plusieurs milliers de partisans du président américain y avaient assisté. Ce rassemblement avait suscité une vive polémique car beaucoup s’inquiétaient des conséquences sanitaires d’une telle foule, sans respect des distanciations physiques et notoirement rétive au port du masque, à l’image de Donald Trump lui-même. Deux semaines plus tard, le département de la Santé de Tulsa a fait état de plus de 200 nouvelles contaminations chaque jour alors qu’entre le 28 juin et le 4 juillet, le nombre de contaminations avait chuté de 20 %. Le responsable local des services de santé a estimé qu’il était plus que probable qu’elle soit liée à ce meeting en particulier. Cet événement est un des nombreux exemples qui attestent de l’irresponsabilité de l’équipe de campagne de Donald Trump tout au long de cette course à la présience. Pour les démocrates, c’est du pain béni car ils se servent des erreurs de leur adversaire pour construire leur stratégie électorale. Cependant, dans les faits, cela ne change pas grand-chose. En effet, chaque camp parle pour son propre électorat. Il est vain de penser que les deux candidats parviendraient à convaincre des électeurs du camp adverse.
Entre un débat présidentiel cacophonique, décrit comme le pire de l’histoire américaine, où Donald Trump n’a eu de cesse d’être dans l’invective et Joe Biden qui peinait à imposer ses idées sans se faire couper la parole, et l’hospitalisation du président américain, infecté par le coronavirus, les derniers jours de cette campagne électorale, qui prendra fin le 3 novembre prochain, connaît de nombreux rebondissements. En 2020, les questions de santé étaient pour près de 70% des électeurs états-uniens une priorité politique, juste derrière l’économie. Alors forcément, le test positif de Donald Trump à la Covid-19 accroît le sentiment que les États-Unis sont empêtrés dans une situation qui dépasse les capacités de leadership du controversé président. Pourtant, sa gouaille, cette confiance outrageuse en lui-même affichée dans ses discours et ses renvois incessants à la grandeur américaine lui valent le soutien et la loyauté absolue de sa base électorale. Face à lui, Joe Biden se pose en candidat de la raison et comme un rempart contre la folie et les tendances ego-maniaques de l’actuel président. Il adopte une posture politique somme toute assez similaire à celle d’Hillary Clinton, qui est celle de décrédibiliser Trump et l’ensemble de ses actions. Dans un dernier sondage, daté de début octobre, Joe Biden devance Donald Trump de près de dix points et aurait suffisamment de grands électeurs pour remporter l’élection. Des chiffres qu’il faut prendre avec précaution puisque, quatre ans auparavant, Hillary Clinton menait là aussi de plusieurs points au même moment de la campagne. L’issue de cette histoire est connue de tous.
Théo Quiers
Notes de bas de page
[1] Hart Island, surnommé « l’île des morts », se situe au nord de New York. Elle est considérée comme le cimetière principal de New York. Elle accueille aujourd’hui les corps de plus d’un million de personnes, qui ont succombé notamment au Sida ou la peste espagnole. Ce sont des personnes inconnues au moment de leur mort ou qui n’ont pas été réclamées par leur famille.
[2] Le 25e amendement de la Constitution américaine prévoit le remplacement du président des Etats-Unis par son vice-président en cas de vacance, décès, démission ou destitution.
Bibliographie
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“Avec plus de 7,6 millions de cas, le Covid-19 galope toujours aux États-Unis”. LCI. 9 octobre 2020. https://www.lci.fr/international/carte-avec-pres-de-7-5-millions-de-cas-9-octobre-le-covid-19-galope-toujours-aux-etats-unis-2150471.html
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“Aux Etats-Unis, le déconfinement a débuté malgré un taux de mortalité encore très élevé”. L’Express avec l’AFP. 9 mai 2020. https://www.lexpress.fr/actualite/monde/aux-etats-unis-le-deconfinement-a-debute-malgre-un-taux-de-mortalite-encore-tres-eleve_2125667.html
“Aux Etats-Unis, le déconfinement progresse, le virus aussi”. Le Point avec l’AFP. 2 mai 2020. https://www.lepoint.fr/monde/aux-etats-unis-le-deconfinement-progresse-le-virus-aussi-01-05-2020-2373765_24.php#
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“Covid-19 : Trump censuré par Facebook et Twitter après avoir diffusé une « fake news »”. Le Parisien avec l’AFP. 6 août 2020. https://www.leparisien.fr/societe/covid-19-trump-censure-par-facebook-et-twitter-apres-avoir-diffuse-une-fake-news-06-08-2020-8364195.php
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“Dans les hôpitaux américains, il y a autant de malades du Covid-19 que lors du pic d’avril”. Courrier international avec The New York Times. 23 juillet 2020. https://www.courrierinternational.com/article/le-chiffre-du-jour-dans-les-hopitaux-americains-il-y-autant-de-malades-du-covid-19-que-lors
“Des manifestants anti-confinement entrent armés dans le Capitole du Michigan”. FranceInfo avec l’AFP. 1er mai 2020. https://www.francetvinfo.fr/sante/maladie/coronavirus/etats-unis-des-manifestants-anti-confinement-entrent-armes-dans-le-capitole-du-michigan_3943365.html
“Énormément de gens renoncent aux soins : dans les hôpitaux de New York, des médecins français témoignent”. LCI. 9 avril 2020. https://www.lci.fr/international/coronavirus-covid-19-enormement-de-gens-renoncent-aux-soins-dans-les-hopitaux-de-new-york-des-medecins-francais-temoignent-2150492.html
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