La République centrafricaine a connu depuis 2004 trois guerres civiles : de 2004 à 2007 suite à la rébellion de l’Union des forces démocratiques pour le rassemblement et le coup d’Etat de François Bozizé de 2003 ; de décembre 2012 à mars 2013, période pendant laquelle la Seleka se soulève contre le gouvernement centrafricain ; de septembre 2013 à août 2013, quand la guerre oppose la Seleka et les anti-balaka. Aujourd’hui, la situation en Centrafrique reste très complexe, malgré les interventions françaises et onusiennes. La fin de l’opération Sangaris le 31 octobre intervient alors que de nouveaux affrontements émergent dans le pays.
Rappels des faits en Centrafrique
La Seleka, qui signifie « Coalition » en sango (langue véhiculaire en République centrafricaine) est une organisation à majorité musulmane formée en août 2012 en Centrafrique. L’organisation et d’autres mouvements similaires entament une avancée vers la capitale Banghi. Le 15 mars 2003, Michel Djotodia, militaire centrafricain de l’Union des forces démocratiques pour le rassemblement, membre de la Seleka, gagne face à François Bozizé, président de la République centrafricaine après le coup d’Etat du 15 mars 2013. Le pays plonge dans une période d’insécurité et d’instabilité politique. Les combats entre les Seleka et les anti-balaka (milices d’autodéfense) à majorité chrétienne (comme 95% de la population de Centrafrique) se développent dès octobre 2013 dans tous les pays.
C’est dans ce contexte de tensions, alors que les combats s’intensifient, et que les conflits entre populations chrétiennes et musulmanes se font de plus en plus violents, que la France va lancer son intervention, la Mission Sangaris, le 5 décembre 2013. L’opération fait suite à la résolution 2127 du Conseil de Sécurité des Nations Unies qui autorise la Mission Internationale de Soutien à la Centrafrique sous conduite africaine (MISCA). Elle permet à l’armée française déployée sur le terrain de prendre « toutes les mesures nécessaires ». Le but de la mission était de « frapper et transférer » : d’éviter une guerre de grande ampleur et le « risque de génocide » selon les termes de Laurent Fabius alors ministre des Affaires étrangères ; ensuite, transférer la sécurisation de la zone à l’ONU. Ce second moment de l’opération débute le 10 avril 2014 par l’opération de maintien de la paix, la Mission multidimensionnelle intégrée des Nations Unies pour la stabilisation en Centrafrique (MINUSCA)
Pour approfondir la situation en Centrafrique fin 2013 : documentaire « Centrafrique : au cœur du chaos », Spécial Investigation (Canal +)
Bilan de la Mission Sangaris
Le ministre de la défense français Jean-Yves Le Drian a annoncé, le 19 octobre 2016, que « cette opération a été un succès ». Selon lui, l’action française a permis le bon accomplissement des trois missions de Sangaris : la fin du chaos dans le pays, l’accompagnement des forces internationales et la réalisation des élections. « Nous avons évité des massacres de masses […], permis un processus de réconciliation intercommunautaire, la reconstitution de l’Etat centrafricain, une élection présidentielle. » Il nuance tout de même en rappelant que « la stabilité n’[est] pas totalement revenue. »
En effet, les tensions, qui avaient diminué à partir du printemps 2014, renaissent ces derniers mois. Depuis septembre, les violences ont repris, causant la mort de centaines de centrafricains. Le 12 octobre, les sicaires du général Al-Khatim ont vengé la tentative de vol d’un groupe électrogène par un groupe de l’ex-Seleka, tuant quarante-cinq personnes dans le camp déplacées à Kaga-Bandoro.
L’armée française et les Casques bleus sous mandat de l’ONU sont encore aujourd’hui incapables de protéger les populations civiles, face aux attaques meurtrières des anti-balaka comme des anciens membres de la Seleka (dont certains se regroupent aujourd’hui dans le Front populaire pour la renaissance de la Centrafrique). Les tensions sont vives entre une partie de la population civile et les Casques bleus : le 24 octobre, quatre personnes sont mortes lors de la journée « ville morte » lancée par un collectif de la société civile souhaitant le retrait des Casques bleus. Jeudi 27 et vendredi 28, les affrontements à Bambari et ses environs ont causé la mort de vingt-cing personnes au moins, dont six gendarmes.
Aujourd’hui, la République centrafricaine est partagée : à l’Est, les ex-Seleka dominent (et ils possèdent plus de la moitié du territoire selon Bernard Lugan) et demandent la protection de la communauté musulmane ainsi que leur implication dans les futures institutions du pays. Les anti-balaka ont quant à eux la mainmise sur l’Ouest du pays, mais subissent les attaques de milices peules. Le président Faustin-Archange Touadéra semble n’avoir une influence que sur la capital Bangui, et n’a pas les moyens financiers et humains suffisants pour agir dans ce contexte de conflits internes. Le député centrafricain Anicet Georges Dologuélé pense ainsi que Sangaris s’achève « beaucoup trop tôt », au moment où les Casques bleus se voient « débordés dans leur rôle de pompiers », et que les forces de sécurité nationales ne sont pas encore capable d’endosser le rôle qu’occupait l’armée française. L’éditorial du journal congolais Les Dépêches de Brazzaville s’inquiète : « Aujourd’hui donc débute pour notre voisine et notre sœur la République centrafricaine une nouvelle période d’incertitude ».
Dans les rangs français, un certain nombre de militaires semble satisfait de la fin de la mission Sangaris, qui fut difficile : conditions précaires sur place, faible médiatisation de leur mission, difficultés d’analyse et donc d’action face à des groupes d’assaillants rebelles difficilement identifiables, impuissance face aux massacres perpétrés dans le pays. Bernard Lugan dénonce également les hésitations du président François Hollande, qui n’aurait pas déterminé d’ennemi précis, et donc d’objectif précis. Les militaires semblaient se cantonner au désarmement des groupes, et aux questions humanitaires. L’opération devait uniquement éloigner les camps opposés, car aucune autre possibilité n’était donnée, l’ennemi n’étant pas défini et les français devant tenir un rôle neutre. Les troupes françaises opéraient par patrouilles, et non pas en quadrillant et en tenant le terrain face aux agresseurs.
En tout, deux-mille cinq cent hommes ont été déployés, et un budget supérieur à cinq cent millions d’euros a été mobilisé depuis 2013. Toutefois, la France gardera un rôle en Centrafrique, aux côtés la mission onusienne : trois-cent cinquante hommes seront encore sur le terrain en tant que « force de réserve tactique».
La mission de l’ONU continue
Le Vice-Président général des Nations Unies Jan Eliasson s’est rendu en République centrafricaine le 2 novembre 2016 pour une visite de deux jours, au lendemain de la fin de Sangaris. Il a notamment fait un discours devant l’Assemblée nationale à Bangui et rencontré le président Faustin-Archange Touadéra. L’ONU, engagée en Centrafrique avec la MINUSCA, se doit de maintenir la paix, stabiliser la situation, notamment dans les grandes agglomérations, et rétablir l’autorité de l’Etat sur l’ensemble du pays. L’opération MINUSCA compte à son maximum douze mille membres, dont onze mille deux cent soldats.
Dans son discours devant les députés à Banghi, Mr. Jan Eliasson s’est attaché à noter les évolutions positives dans le pays, « la vitalité de son peuple » selon ses mots. Il a félicité le rétablissement de l’ordre constitutionnel et les élections dans le pays.
Le Vice-Président général rappelle cependant que « le mois d’octobre a été particulièrement violent. Cela a eu pour résultat la mort tragique de nombreuses personnes et plusieurs blessés, notamment ici à Bangui, à Bambari ou à Kaga Bandoro. Nous avons tiré les leçons de ces évènements douloureux et ferons tout ce qui est en nos capacités pour prévenir de telles atrocités ». Il rappelle dans ce discours le but de la mission d’opération de maintien de la paix, et l’un de ses principes, à savoir la neutralité de l’action onusienne : « J’affirme sans ambiguïté que la Mission est là pour protéger la population centrafricaine et elle le fera en toute impartialité. Nous respectons le droit de chacun de manifester pacifiquement et protégerons ce droit si nécessaire ». La situation reste encore très compliquée en Centrafrique, et les problèmes ne sont pas résolus : « il faudra traiter les causes profondes du conflit, mettre fin à l’impunité, favoriser l’ouverture politique et lutter contre la marginalisation de certains groupes et de certaines communautés ». Enfin, il a rappelé la nécessité de parfaite tenue des Casques bleus, la condamnation totale de l’exploitation sexuelle et des abus sexuels, qui éclaboussent encore les missions de maintien de la paix de l’ONU.
Un « Plan national pour le relèvement », porté par le gouvernement centrafricain, l’ONU, l’Union Européenne et la Banque Mondiale, sera présenté à Bruxelles le 17 novembre prochain. Cependant ce plan, s’il prend forme, devra être appliqué par le président de la République centrafricaine, Faustin-Archange Touadéra, qui est loin de contrôler la totalité de son pays. Il lui sera donc difficile d’agir seul malgré ce Plan pour rétablir une paix durable dans le pays
Lisa Verriere
Sources :
Le Monde Afrique, « Fin de Sangaris : Paris veut dégager des moyens pour d’autres opérations militaires », Nathalie Guibert, le 29 octobre 2016
URL : http://www.lemonde.fr/afrique/article/2016/10/29/fin-de-sangaris-paris-veut-degager-des-moyens-pour-d-autres-operations-militaires_5022408_3212.html?xtmc=centrafrique&xtcr=5
Le Monde Afrique, « Centrafrique : la France met officiellement fin à l’opération Sangaris », le 31 octobre 2016
URL : http://www.lemonde.fr/afrique/article/2016/10/31/centrafrique-la-france-met-officiellement-fin-a-l-operation-sangaris_5023219_3212.html?xtmc=centrafrique&xtcr=6
Le Monde Afrique, « La France met un terme à « Sangaris » dans une Centrafrique toujours en crise », Cyril Bensimon, le 28 octobre 2016
URL : http://www.lemonde.fr/afrique/article/2016/10/28/la-france-met-un-terme-a-sangaris-dans-une-centrafrique-toujours-en-crise_5022190_3212.html?xtmc=centrafrique&xtcr=7
UN News Centre, « En visite en Centrafrique, Jan Eliasson rappelle que l’ONU est là pour protéger la population », le 2 novembre 2016
URL : http://www.un.org/apps/newsFr/storyF.asp?NewsID=38419#.WBxbE_nhDIU
Courrier International, « Centrafrique. Sangaris : fin d’une mission inachevée », le 31 octobre 2016
URL : http://www.courrierinternational.com/article/centrafrique-sangaris-fin-dune-mission-inachevee
France Diplomatie, Présentation de la République centrafricaine
URL : http://www.diplomatie.gouv.fr/fr/dossiers-pays/republique-centrafricaine/presentation-de-la-republique-centrafricaine/
Le Blog officiel de Bernard Lugan, « L’opération Sangaris : un échec politique qui avait été annoncé », Bernard Lugan, le 30 octobre 2016
URL : http://bernardlugan.blogspot.fr/2016/10/loperation-sangaris-un-echec-politique.html?m=1
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