Entre discrimination et tolérance, être LGBT en 2019

Entre discrimination et tolérance, être LGBT en 2019

De Téhéran à Pékin, comment vit la communauté LGBT ? De Washington à Bombay, les homosexuels ont-ils les mêmes droits ?

Le 27 janvier, au terme du vote du public, le chanteur et youtubeur Bilal Hassani a remporté l’émission Destination EuroVision diffusée sur France 2, devenant ainsi le prochain représentant de la France à l’Eurovision. La victoire d’un jeune homosexuel musulman dans un tel événement est une première en France et a conduit à une vague de haine homophobe sur les réseaux sociaux, notamment sur Twitter. Dans un pays où l’homosexualité est dépénalisée depuis plus de 35 ans, et où les personnes de même sexe peuvent se marier depuis 2013, une haine latente à l’égard de la communauté LGBTQ (1) persiste. En effet, au-delà des insultes, la France n’en a pas fini avec les agressions homophobes qui sont en hausse de 15% par rapport à 2017 selon le Rapport 2018 de SOS Homophobie. Si les agressions et les comportements homophobes augmentent en France, qu’en est-il dans d’autres pays parfois moins tolérants à l’égard des homosexuels, voire même dans un déni de l’existence de l’homosexualité ? Une chose est sûre, vivre son homosexualité ne se fait pas partout de la même façon et des facteurs culturels, mais aussi juridiques sont à prendre en compte.  

 

Ces pays où « l’homosexualité n’existe pas »

Il s’agit là d’une déclaration de l’ancien président iranien Ahmadinejad prononcée en 2007. En Iran, les gays risquent encore la peine de mort, par pendaison, mais aussi paradoxal que cela puisse paraître, les transsexuels peuvent être opérés en toute légalité. Il n’en demeure pas moins que dans la République islamique d’Iran l’homosexualité demeure un tabou social durement réprimé par la police des moeurs qui veille sur les citoyens. Pourtant, n’en déplaise aux autorités iraniennes, l’homosexualité existe bel et bien en Iran et beaucoup de jeunes hommes et femmes la vivent en toute liberté dans les soirées chics animées au nord de Téhéran, ou plus secrètement dans des lieux underground. D’après le témoignage d’un iranien recueilli par Frédéric Martel, avec la séparation des hommes et des femmes imposée par le régime, il est plus facile de vivre son homosexualité que son hétérosexualité, du moment qu’on le fait avec discrétion.  

Il est toutefois difficile de savoir le nombre exact de condamnés à mort pour homosexualité. Pour une condamnation, la police doit pouvoir prouver qu’il y a bien eu un acte sexuel entre deux personnes de même sexe et recueillir trois témoignages. Souvent, les peines portent d’autres noms, « crimes sexuels » ou « sodomie », des termes qui ne désignent pas directement l’homosexualité, mais plutôt l’atteinte aux bonnes moeurs. L’homosexualité se vit dans le secret et la discrétion mais elle existe. Dans d’autres pays du Moyen-Orient comme en Arabie saoudite ou au Yémen la situation est similaire et les homosexuels risquent là aussi la peine de mort. Dans certains pays d’Afrique où l’homosexualité est toujours considérée comme un crime, les homosexuels y risquent la prison à perpétuité (Tanzanie, Ouganda), ou pendant plus ou moins 10 ans (Maroc, Algérie, Éthiopie, Libye, Soudan, etc).

 

L’Iran n’est pas le seul pays à nier l’existence des homosexuels. Depuis déjà plusieurs années en Tchétchénie le président Ramzan Kadyrov mène une politique de répression envers les gays qui selon lui n’existent pas dans sa république. Si jamais il s’avère que les homosexuels existent, il recommande aux familles de les tuer pour laver leur honneur et ordonne à la police d’arrêter les survivants. Ces derniers sont alors déportés dans des camps où ils sont humiliés et torturés. C’est un régime de la peur où le président a les mains libres et agit en toute impunité. Bien que la situation soit connue au niveau international et que des rassemblements LGBT aient eu lieu dans les grandes capitales, celle-ci n’est toujours pas réglée. Depuis le début de 2019, trois victimes sont à déplorer au cours de nouvelles arrestations. L’ONG Amnesty International appelle encore à une mobilisation qui peine à se mettre en place face à Ramzan Kadyrov qui n’est prêt à écouter que Vladimir Poutine. Pour ce dernier, l’homosexualité ne semble pas être un sujet primordial dans sa politique intérieure. Dans le reste de la Russie aucune répression organisée par les autorités n’a lieu, mais les homosexuels doivent faire face à une homophobie importante.

 

Ces pays où les homosexuels sont acceptés mais invisibles

En Asie l’homosexualité est répandue et vécue librement à partir du moment où il n’y a ni manifestations, ni revendications auprès du gouvernement. La norme demeure l’hétérosexualité, mais dans les différents bars gays de Chine ou du Japon, gays et lesbiennes peuvent se retrouver et avoir une vie sociale normale. Toutefois, dans les pays asiatiques, l’amour est une chose qui se vit davantage dans le cadre privé, et cela est particulièrement vrai pour l’homosexualité. Les traditions et la philosophie confucéenne (2) restent encore très présentes dans la vie quotidienne. De plus, des inégalités demeurent entre les grandes villes qui reçoivent des occidentaux, et les campagnes où les mariages arrangés sont toujours d’actualité. Enfin il existe des différences entre certaines régions, Taïwan et Hong-Kong par exemple sont plus ouvertes et gay-friendly que Singapour ou que le reste de la Chine continentale où la censure est très courante au cinéma et à la télévision. Il existe une manière particulière d’être homosexuel en Asie : ce sont des pratiques plus discrètes et privées, qui s’éloignent des pratiques occidentales plus revendicatrices et publiques. Ainsi, la vie homosexuelle en Chine et au Japon est plutôt marquée par une invisibilité dans l’espace public, mais une grande diversité dans le privé, notamment avec une ouverture des médias et une littérature homosexuelle en développement dans les manga japonais.

En Inde, l’homosexualité est encore au coeur de débats politiques. Dépénalisée en 2016 mais re-pénalisée la même année, les homosexuels pouvaient être condamnés jusqu’à 10 années de prison. C’est en septembre 2018 que l’homosexualité a été dépénalisée à nouveau. Si Bollywood et les médias essayent de mettre en avant la diversité et la tolérance à l’écran, l’homophobie reste très répandue en Inde. Les traditions familiales et l’importance du mariage rendent difficile l’acceptation de l’homosexualité. Le sujet reste controversé, comme l’a montré la polémique concernant Joseph Lelyved, qui parlait de l’éventuelle bisexualité de Gandhi dans la biographie qu’il en faisait en 2011. Rien n’est encore acquis même si une politique venant du gouvernement permettrait d’améliorer les conditions de vie des homosexuels.

Ainsi sans être mis à l’écart officiellement, dans de nombreux pays les homosexuels sont des citoyens de seconde zone, n’ayant ni les mêmes droits, ni les mêmes modes de vie que les personnes hétérosexuelles. Obligés de se cacher ou de mentir à leurs proches, beaucoup d’hommes et de femmes se marient contre leur gré. Cette invisibilité des gays et des lesbiennes dans l’espace public augmente les problèmes d’intégration.

 

Ces pays où les homosexuels continuent de se battre pour l’égalité des droits

Le 12 juin 2016 avait lieu le massacre de 27 homosexuels dans le club gay le Pulse à Orlando. Les Etats-Unis ont été les pionniers dans le combat pour les droits des homosexuels et du chemin a été fait depuis les manifestations de Stonewall (3) en 1969, mais le sujet est encore controversé et l’homophobie toujours présente. Le combat pour le mariage entre personnes de même sexe a été fortement animé entre, d’une part les associations pro-LGBT, et d’autre part les associations défendant les valeurs familiales “traditionnelles” accompagnées de certaines communautés religieuses comme les évangélistes. Si le combat s’est terminé par une victoire des homosexuels en 2015, les discriminations à l’égard de la communauté LGBTQ n’en sont pas terminées pour autant. L’année 2017 aux Etats-Unis a été marquée par les manifestations en faveur ou contre le droit des transsexuels d’intégrer l’armée américaine. En effet le Président Donald Trump s’est attaqué à ce que Barack Obama avait mis en place pour protéger les transsexuels dans les écoles et à l’armée, en interdisant leur adhésion. Les slogans « trans are not burden » ou « resist » se sont opposés à la théorie de Trump selon laquelle le suivi médical des transsexuels était un coût que l’armée américaine ne pouvait se permettre. C’était un coup dur porté à la communauté LGBT. Bien que non ouvertement homophobe, l’administration Trump se démarque de celle d’Obama dans la mesure où elle ne promeut pas la tolérance et la diversité dans un pays où les minorités sont souvent l’objet d’attaques verbales et physiques.

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Zone de commémoration après l’attaque du Pulse, club gay d’Orlando

Au sud du continent américain, au Brésil, c’est un autre combat que mènent les homosexuels. Suite à l’élection de Jair Bolsonaro, ouvertement homophobe et soutenu par les églises évangélistes ultra-conservatrices, beaucoup ont peur d’une augmentation de l’homophobie dans le pays. En janvier déjà, peu après l’élection du président, Jean Wyllys un député gay défendant les droits des personnes LGBT, annonçait sa démission et son exil suite à des menaces de mort. Avec cette élection et les valeurs conservatrices défendues par le président, on peut s’attendre à un recul des droits des personnes homosexuelles au Brésil, déjà dénoncées dans le nouveau système éducatif mis en vigueur. Dans ce pays, le statut et les droits des LGBT a toujours été paradoxal. Ainsi après 2013 les mariages entre personnes de même sexe étaient autorisés, mais en 2017 le gouvernement fédéral autorisait la mise en place de « thérapies de conversion ».

Ainsi les États-Unis et le Brésil nous rappellent que même si la situation de la communauté LGBT s’est améliorée avec le temps, rien n’est jamais acquis pour de bon et que des combats pour l’égalité des droits et la non-discrimination doivent toujours être menés.

 

Ces pays où les actes homophobes ne sont pas terminés

Ainsi même si dans beaucoup de pays des avancées considérables concernant les droits des homosexuels sont visibles avec par exemple la dépénalisation de l’homosexualité, ou son retrait de la liste des maladies mentale, les agressions homophobes et les mentalités réfractaires subsistent. En France, alors que le débat autour du Mariage pour Tous avait fait s’élever l’extrême droite et la communauté catholique, on avait pu noter une baisse des actes homophobes entre 2013 et 2015. En revanche, depuis 2016, les agressions sont en hausse. Si certains parlent d’un climat de banalisation de l’homophobie, d’autres mettent en avant les actions du gouvernement et notamment le rôle de Marlène Schiappa pour sensibiliser les citoyens. Les municipalités lancent des campagnes pour encourager l’acceptation de l’homosexualité. La ville de Paris a même rendu permanents les passages piétons arc-en-ciel dessinés dans le Marais à l’occasion de la Marche des Fiertés 2018 suite à des actes de vandalisme visant à les recouvrir par le slogan « LGBT hors de France ». La ville recevait même en été 2018 les Gay Games. Ces jeux créés en 1982 sont destinés aux athlètes LGBT mais restent ouverts à tous les sportifs souhaitant y participer.

Comme le montrent les propos haineux dont Bilal Hassani a été victime, l’homophobie est toujours très présente en France. Depuis plus de 10 ans une agression homophobe a lieu tous les trois jours. L’homophobie va de l’insulte jusqu’aux agressions physiques qui se multiplient elles aussi. Face à cette montée de l’intolérance à l’égard des homosexuels, de nombreuses personnalités Françaises ont participé à une vidéo d’Urgence Homophobie, dans laquelle elle prennent la parole en faveur de l’homosexualité (4). Ce sont les actes publics et les prises de parole qui viendront à terme de l’intolérance à l’égard de la communauté LGBT comme le rappellent chaque année les gay prides organisées partout dans le monde.

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Photographie de la Manif pour Tous en 2013

 

Ainsi l’homosexualité n’est pas vécue partout de la même façon. Encore condamnée dans de nombreux pays où les homosexuels risquent leur vie ou leur liberté, d’autres pays plus tolérants sont encore minés par l’homophobie. Ces situations qui varient d’un pays à l’autre ont créé différentes façons de vivre son homosexualité allant de la discrétion en Asie jusqu’au coming out massif induit par l’American gay way of life. La situation continue de changer et de s’améliorer mais des combats restent à mener pour l’intégration complète des homosexuels dans les sociétés. Au niveau international et dans les pays qui commencent à s’ouvrir à l’homosexualité, une révolution gay est en marche. Il est aujourd’hui plus difficile d’être ouvertement homophobe que d’affirmer son homosexualité. Malgré ce changement dans les opinions, il ne faut pas oublier que dans 7 pays les homosexuels encourent toujours la peine de mort, et que dans plus de 40 pays, l’homosexualité est passible de prison (5). Des progrès oui, mais encore beaucoup de chemin à faire.

Quentin Defaut

 

(1)  LGBTQ étant l’acronyme officiel de la communauté lesbienne, gay, transsexuelle et queer. On trouve parfois un « + » ajouté à la fin qui correspond à toutes les autres identités sexuels. On trouve aussi LGBTI, où le « I » correspond à intersexe.

(2) Philosophie asiatique qui se base sur la complémentarité des objets pour la vie dans le cosmos. Notamment le Yin et le Yang qui forment ensemble l’harmonie. Au niveau social cela se traduit par l’idée que seule une relation hétérosexuelle est possible pour atteindre l’harmonie et que les relations homosexuels ne peuvent mener à rien.

(3) Les émeutes de Stonewall à New York en 1969 sont considérées comme les premières manifestations en faveur de la cause LGBT. Il s’agit de l’apparition du militantisme gay après une descente de police dans le quartier Stonewall Inn à l’intérieur de Greenwich Village.

(4) Lien de la vidéo disponible sur Youtube : https://www.youtube.com/watch?v=J-i5SUsCUKM

(5) Voir carte sur : https://mariagedapparence.wordpress.com/2014/03/09/mariage-homosexuel-oui-je-le-veux/carte-situtation-juridique-de-l-homosexualite-a-travers-le-monde/ 

Sources :

Livres :

Global Gay, la longue marche des homosexuels, Frédéric MARTEL, Flammarion 2013

Articles :

Rapport 2018 de SOS Homophobie

https://www.sos-homophobie.org/sites/default/files/rapport_annuel_2018.pdf

http://www.lefigaro.fr/international/2018/09/06/01003-20180906ARTFIG00203-quels-sont-les-pays-o-l-homosexualite-est-encore-un-crime.php

https://www.amnesty.fr/discriminations/actualites/les-gays-de-tchetchenie-doivent-etre-proteges-de-toute-urgence?

https://vivreparis.fr/paris-les-passages-pietons-arc-en-ciel-seront-permanents/

 

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