La politique du Vatican en Amérique latine et l’action du Pape François
Le mois dernier, le Pape François se rendait à Panama pour célébrer aux côtés de nombreux jeunes les Journées Mondiales de la Jeunesse (JMJ) (1). Un événement qui permet de s’intéresser à l’influence du Vatican sur le continent latino-américain et notamment au rôle qu’y joue le Pape. L’Amérique latine est considérée comme le continent le plus catholique au monde, mais depuis plusieurs années l’influence de l’Église catholique traverse une crise durable dans cette région, notamment auprès des populations. Depuis l’arrivée des colons en 1492, l’Église a toujours eu une place très importante sur le continent, notamment au travers de nombreuses missions d’évangélisation. En revanche, depuis plusieurs décennies le monopole de la religion catholique est remis en question par l’émergence de nouveaux courants religieux, en particulier les évangélistes qui rassemblent de plus en plus de fidèles. Face aussi à un processus de sécularisation de la société et à des faits sociaux de plus en plus répandus, sur lesquels l’Église est parfois jugée trop conservatrice, on remarque un réel recul de la foi catholique dans la région. En 2013, l’élection du premier Pape latino-américain, le Pape François, a initié un nouvel élan pour la politique du Vatican en Amérique latine et a offert de nouvelles perspectives pour le rôle de l’Église dans la région.
Un pouvoir historique de plus en plus contesté
Le Vatican joue un rôle en Amérique latine depuis le temps des grandes découvertes. C’est le Pape Alexandre VI qui divisa le sous-continent entre influences espagnole et portugaise, et dès lors les premières missions d’évangélisation s’établirent pour mettre fin aux croyances des indigènes. Entre 1502 et 1568, les franciscains, les dominicains, les augustins et les jésuites arrivèrent successivement. L’évangélisation ne fut pas une tâche facile, au contraire, de nombreuses violences et des abus de la part du clergé ont rendu difficile la conversion des peuples amérindiens. Il n’en demeure pas moins qu’aujourd’hui l’Amérique latine représente 35% de la population catholique mondiale.
Cependant, cette hégémonie est remise en cause depuis les années 1960 par la montée de courants religieux alternatifs, notamment des communautés venues d’Amérique du Nord : les Mormons, les témoins de Jéhovah, l’Église de la scientologie, mais aussi des cultes afro-américains. Aussi, l’importance des courants évangélistes a entraîné une perte d’influence pour l’Église catholique jugée souvent trop stricte ou trop conservatrice. Ainsi, comme en Europe, s’est produit un phénomène de sécularisation de la société, avec une diminution des pratiques religieuses dans la vie quotidienne et l’apparition de nouvelles pratiques sociales comme le divorce, l’avortement ou encore l’homosexualité. Finalement, la religion relève de plus en plus de pratiques privées, avec l’idée d’une modernité religieuse qui permet de « creer sin pertenecer » (2).
Certains mouvements de contestation de l’Église catholique ont d’ailleurs pris de l’importance. La théologie de la Libération, apparue dans les années 1960, s’élevait contre l’Église en tenant un discours visant à rendre leur dignité aux pauvres. En effet, le courant se plaçait à l’opposé du discours de l’Église, déclarant que Dieu ne souhaite pas que ses fidèles vivent dans la pauvreté. Ce courant a connu une grande popularité dans les années 1980 avant de disparaître progressivement. Ce type de contestations servent aussi à réveiller l’Église catholique et l’obligent à changer de cap lorsque cela s’impose : ce fut le cas lors du concile Vatican II (1962 – 1965) qui a permis d’utiliser les langues vernaculaires pendant les messes.
Le Vatican, un intermédiaire diplomatique
L’action du Vatican en Amérique latine se divise entre une action directe qui passe par l’intervention du Pape ou des évêques et une action plus indirecte que réalisent les prêtres au niveau local. Le premier Pape à se rendre en Amérique latine fut Paul VI en 1968 en Colombie, puis Jean-Paul II en 1988. Avec l’élection du Pape actuel, premier pape latino-américain, le sous-continent retrouve une place centrale dans la politique du Vatican.
De plus, le Pape a souvent joué un rôle de médiation lors des conflits sur le continent, un rôle dont l’importance s’est accrue avec le temps. Ainsi dans la dernière décennie, le Pape Benoît XVI a aidé au rétablissement des relations entre Cuba et les États-Unis continuant le travail de Jean Paul II qui avait déjà demandé que « Cuba s’ouvre au monde et que le monde s’ouvre à Cuba ». En 2014 le Pape François a envoyé un message aux dirigeants des deux pays, Raul Castro et Barack Obama, pour engager le processus de réconciliation.
Le Pape François a aussi participé au processus de paix au Nicaragua, en incitant les parties en conflits au dialogue. Bien que critiqué par le gouvernement de Daniel Ortega et désigné comme ennemi du pays, le Pontife a eu à la fois un rôle de médiateur entre le gouvernement et les manifestants et un rôle plus symbolique. En effet, il fédère les peuples autour de l’idée de pardon et de réconciliation. Ce rôle est caractérisé comme un « pouvoir blanc », à la fois une voix neutre et emprunte de sagesse. L’action symbolique du Pape tient aussi au soutien qu’il manifeste aux victimes des conflits comme ce fut le cas en Colombie. Le Pape François est d’ailleurs connu pour être relativement proche des fidèles qu’il a rencontré à de nombreuses reprises lors de ses visites. Ses actes l’imposent comme un acteur majeur des relations diplomatiques en Amérique latine : les multiples voyages effectués et les discours tenus véhiculent des messages de concorde et des valeurs pour rétablir la paix. Cette action diplomatique est aussi un moyen pour l’Eglise de conserver une influence dans la région.
Le Pape s’impose aussi comme un modèle de moralité et s’implique au niveau social à travers des discours sur l’écologie, la pauvreté et la société. Ces discours dénoncent en particulier les abus des gouvernants sur les populations. Le Vatican semble disposer d’un soft power (3) suffisant pour que les paroles du pontife aient une audience internationale. Ainsi en Amérique latine, le Pape se tient aux côtés des pauvres et des migrants et a dénoncé par exemple les mauvais traitements qu’ils ont subis aux États-Unis suite à la crise au Venezuela. Le Pape François a appelé les gouvernants à la « protection et à l’intégration » des migrants et des réfugiés. Concernant la pauvreté, qui concerne environ 175 millions de personnes sur le continent latino-américain, il a appelé à l’entraide et au soutien des catholiques. Lors de sa visite au Chili en 2018, il a notamment déclaré croire à « une Église pauvre, pour les pauvres ». Il s’engage aussi contre la corruption et l’injustice qui ont fait l’objet de l’un de ses discours lors des JMJ (4).
Cet engagement est toutefois compromis par les difficultés que rencontre l’Église sur le continent mais il permet de conforter l’image de l’Église comme un acteur international à part entière.
Une Église qui se modernise ?
En effet le Pape François semble rompre avec ses prédécesseurs concernant la question de l’adaptation de l’Église face à une société nouvelle et en changement permanent. Conscient de la perte d’importance et d’attractivité de l’Église depuis déjà de nombreuses années, le Pape s’engage sur de nouveaux sujets comme l’écologie. Toutefois, l’Église demeure bien conservatrice sur de nombreux points comme la place des femmes dans la société. Bien que la Commission Pontificale pour l’Amérique latine se soit penchée sur les problèmes de violences et de discrimination dans la région, la question de l’avortement demeure toujours problématique pour l’Église qui continue de condamner la pratique. Seuls trois pays d’Amérique latine permettent aux femmes d’avorter sans restriction : l’Uruguay, l’État de Mexico au Mexique et Cuba, l’Argentine ayant quant à elle rejeté le projet de loi en août 2018 après de vifs débats entre groupes féministes et militants anti-IVG rassemblés par l’Église. Dans la plupart des pays l’avortement est thérapeutique et n’est possible qu’en cas de viol. Dans d’autres, comme au Nicaragua, au Honduras, au Salvador ou en République Dominicaine, il est catégoriquement interdit.
Enfin, l’Église demeure réfractaire sur la question de l’homosexualité et du mariage homosexuel. Même si le Pape au début de son élection avait éludé la question, ses derniers propos désignant l’homosexualité comme un problème nécessitant la psychiatrie ont réaffirmé le conservatisme du Vatican. Bien que l’homosexualité soit plutôt répandue et acceptée en Amérique latine, l’Église continue d’avoir un discours en marge de cette acceptation, malgré les dernières révélations du quotidien Le Monde (5).
Ainsi sur le continent latino-américain, il serait vain de penser que l’Église a perdu son influence. Au contraire, malgré un recul observable dans toutes les régions du monde, c’est peut-être en Amérique latine que le Vatican a gardé le plus d’influence. Le rôle diplomatique et la figure morale du Pape l’imposent comme un acteur essentiel des relations internationales. La société latino-américaine est encore sous l’influence de l’Église en matière d’éthique et de faits sociaux, ce qui empêche parfois certaines réformes. Néanmoins, le Pape François montre sa volonté d’être proche de ses fidèles, de les rencontrer et de les écouter. Sa parole est très médiatisée, ce qui décuple l’ampleur de son action au-delà des frontières.
Quentin Defaut
(1) Page officielle des JMJ : https://eglise.catholique.fr/actualites/dossiers/jmj-panama/
(2) “Croire sans appartenir (à un courant religieux défini)”, en italique dans l’article de Rodolfo De Roux.
(3) Défini par Joseph Nye et désigne le fait d’influencer indirectement le comportement d’un autre acteur à travers des moyens non coercitifs.
(4) Lien vers le discours prononcé par le Pape à l’ouverture des JMJ à Panama : https://eglise.catholique.fr/actualites/dossiers/jmj-panama/actualite-jmj/472465-discours-pape-francois-louverture-jmj-de-panama/
(5) Lien vers l’article du Monde sur l’homosexualité au sein de l’Église catholique : https://www.lemonde.fr/international/article/2019/02/14/un-livre-revele-le-systeme-gay-du-vatican_5423411_3210.html
Sources :
- Sur la place de l’Église en Amérique latine :
http://www.americalatina.va/content/americalatina/es.html
– Rodolfo de Roux, « La Iglesia católica en América Latina a la hora del papa Francisco », Caravelle [En ligne], 108 | 2017, mis en ligne le 01 juin 2017. https://journals.openedition.org/caravelle/2244
https://www.cairn.info/revue-archives-de-sciences-sociales-des-religions-2016-3-page-341.htm
- Sur le courant de la théologie
Exposé sur la politique du Vatican en Amérique latine réalisé en collaboration avec Chloé LAURENT.
Exposé sur l’action de l’Église dans le cadre du conflit au Nicaragua réalisé par Léa ROBERT et Marine PAGNON.
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