Covid-19 et relations internationales

Covid-19 et relations internationales

 Il n’est pas exagéré de dire que la crise sanitaire que le monde traverse depuis début 2020 est la plus importante de ces trois dernières générations. Si elle a d’ores et déjà des répercussions flagrantes sur le quotidien des populations, il est également très probable qu’elle en ait sur les moyens et longs termes. Dans une période durant laquelle on pourrait s’attendre à plus de coopération entre les pays, finalement, ce sont souvent les rivalités qui continuent de prendre le dessus. Le début de l’année 2020 est donc particulièrement riche en données permettant l’analyse et la prospection en matière de relations internationales. Par ailleurs, cette pandémie se prête particulièrement bien à l’étude des effets politiques d’un facteur géographique, un virus dans le cas présent, autrement dit à l’analyse géopolitique.

Aussi, à l’heure où tous les économistes, sociologues, psychologues et politologues réfléchissent sur « le monde d’après », il paraît pertinent d’y ajouter une approche des relations internationales. Quelles vont être les relations entre les pays de demain ? Cette pandémie va-t-elle provoquer de très importants changements ou au contraire confirmer des tendances déjà présentes ?

Ainsi, la pandémie de SARS-Cov2 affecte les États et leurs relations à différents niveaux, une difficulté qui s’ajoute aux enjeux économiques, aux rivalités et aux perspectives écologiques.

Notons enfin que, tout au long de l’article, nous parlerons de SARS-Cov2 (nom du virus) plutôt que de Covid-19 (maladie provoquée par le virus) ou de coronavirus (nom de la famille du virus).

Les pays mènent une course aux quantités

Les plans de sauvetage économique comme indicateurs de puissance 

Début avril 2020 : la moitié de l’humanité est confinée. Cette situation engendre inévitablement une diminution des activités professionnelles, des productions, des services. S’il est encore trop tôt pour estimer de façon précise les pertes économiques liées à la pandémie, quelques chiffres peuvent toutefois en donner un aperçu. Ainsi, l’Institut Montaigne estime de 10 à 15 % la diminution du PIB chinois au premier trimestre 2020 par rapport à l’année dernière. Concernant la France, cette diminution du PIB au second trimestre 2020 par rapport à l’année dernière est estimée à 12 %.

Pour pallier cette situation complexe, de nombreux États et organisations internationales ont mis en place des plans de sauvetage. Les deux principaux sont ceux des États-Unis et de l’Union Européenne. Ainsi, le 25 mars 2020, le trésor étasunien a débloqué 2 000 milliards de dollars pour venir en aide aux particuliers, aux entreprises, et tenter de compenser une hausse temporaire de 3,3 millions de chômeurs. Quant à l’Union, le 18 mars 2020, la Banque Centrale Européenne a annoncé un plan de sauvetage à hauteur de 870 milliards d’euros (toutes mesures confondues) tandis que la Commission européenne a présenté un plan d’emprunt commun le 27 mai 2020.1

L’intérêt de ces plans de sauvetage est double. Premièrement, il s’agit bien sûr de sauvegarder le plus possible l’économie d’un pays en vue d’une reprise des activités dans un futur proche. Ici, cette sauvegarde permet aux États de s’assurer d’une ressource, voire d’une arme économique efficace pour l’après-crise. C’est en effet dans les mois et les quelques années suivant la pandémie que s’esquissera le nouveau visage de l’ordre économique global. Dans un second temps, mettre en place des plans de sauvetage de valeurs très importantes est synonyme de puissance économique et, par conséquent, de consolidation d’une place de meneur de rang mondial en ces temps de crise. Il s’agit ici d’un jeu du paraître, de diffusion de son pouvoir économique entre les différentes puissances, toutes plus ou moins rivales en matière commerciale.

Aussi, ces plans de sauvetage représentent la pierre angulaire des stratégies d’intelligence économique étatique durant cette période de trêve contrainte et forcée de la guerre économique, en laissant présager une résurgence exacerbée dès la sortie de crise.

Les masques : outils à posséder à tout prix

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L’aspect le plus matériel dans cette guerre des quantités réside sans doute dans la course à l’achat de masques. Si la doctrine d’utilisation de ces masques n’est pas totalement arrêtée courant avril 2020, notamment en ce qui concerne la population civile, la majorité des médecins s’accorde sur le fait que la gestion des stocks de masques est une problématique dont la résolution est vitale.

Notons qu’il est, courant avril 2020, très difficile d’estimer le nombre de masques que chaque pays possède. En effet, les chiffres varient en fonction des types de masques, et les données des États sont brouillées par la fabrication de masques par des entreprises privées. Il existe néanmoins de nombreux signes de tension autour des masques (réquisition d’entreprises par les États, entreprises privées hors secteur de santé fabriquant des masques, appels à projets des ministères de la santé et des armées), l’exemple le plus significatif de cette tension au niveau international reste le vol de masques. Ainsi, depuis fin mars, les États-Unis sont accusés par l’Europe de racheter les masques lui étant destinée aux fournisseurs chinois à des prix pouvant parfois aller jusqu’au double de ce que l’Europe avait mis sur la table. Notons également que les fournisseurs chinois, entreprises privées et premiers fabricants et exportateurs mondiaux de masques, ont fortement augmenté leurs prix. En effet, les masques chirurgicaux qui coûtaient l’équivalent de 3 à 4 centimes d’euros en 2019 peuvent en valoir en 2020 jusqu’à l’équivalent de 60 centimes d’euros, soit un tarif multiplié par 15 à 20.

Ainsi, les masques sont devenus un bien non seulement stratégique avec un rôle central dans la réponse apportée à la situation sanitaire exceptionnelle, mais également un bien rare. En l’absence de traitement efficace et de vaccin, l’acquisition de masques représente un enjeu majeur, devenue une véritable compétition pour l’accès à une ressource rare.

L’affrontement des chiffres

Dernier élément de cette bataille des quantités : l’enjeu lié aux chiffres communiqués sur le nombre de victimes du SARS-Cov2. En période de tensions, de rivalités, de compétition entre États, le contrôle de l’information et la manière de communiquer sont une partie clé de la guerre informationnelle. Nous ne parlons bien évidemment pas des difficultés d’obtenir des chiffres précis liées à l’absence de test d’une grande partie des populations, ainsi qu’à des décès survenus à domicile, par nature difficiles à suivre. Notons aussi qu’il n’est ici pas question de théorie du complot, mais d’appréhender les nuances statistiques que les États mettent à leur profit. Il faut en effet garder à l’esprit que ces données sont souvent différemment interprétables, par exemple le « nombre de morts sur une journée » peut ne comptabiliser que les victimes décédées dans les hôpitaux, ou y ajouter les victimes dans les établissements pour seniors.

Si de nombreux gouvernements semblent se servir, mais aussi être victimes de ces biais statistiques, le cas du traitement des données par la Chine est le plus édifiant. Ainsi, selon le gouvernement chinois, la maladie aurait causé la mort de 3 311 personnes, dont 2 547 à Wuhan. En revanche, selon France TV Info, fondant son analyse sur l’exploitation de photographies et vidéographies mises en ligne par des Chinois et montrant des crématoriums tourner à un régime plus que nécessaire pour la gestion de 3 311 décès, le nombre de victimes se rapprocherait plus de 48 000 (selon une moyenne haute). S’il est très difficile d’avoir accès aux statistiques du pays et que le nombre total de victimes d’une situation aussi complexe ne saurait être calculé en ne se basant que sur l’exploitation de photographies et vidéographies, il est néanmoins très vraisemblable que le gouvernement chinois a volontairement diminué le nombre de morts dans ses statistiques officielles.

Cela prouve l’importance pour un gouvernement de montrer, non seulement à son peuple, mais aussi sur la scène internationale, qu’il est en mesure d’endiguer et de lutter efficacement contre la pandémie. Ici, c’est une question de crédibilité internationale qui se joue, une grande puissance comme la Chine ne peut se permettre de laisser penser au reste du monde que la première puissance économique mondiale peine à déployer des moyens suffisants face au SARS-Cov2.

Tous les éléments présentés ci-dessus sont des exemples de rivalités entre États. Il en existe bien évidemment de nombreux autres, ceux-ci sont, début juin 2020, les plus significatifs et fiables. Ils sont des signes d’une continuité des compétitions internationales, en particulier économiques, malgré la crise sanitaire, et probablement des prémices d’une forte reprise de ces affrontements en post-crise.

La pandémie se révèle être un exutoire des concurrences étatiques

La course à la sortie de crise

Comme vu précédemment, la capacité d’un pays à gérer la pandémie est un enjeu international. Chaque pays souhaite en effet non seulement sortir de cette crise le moins affaibli possible, mais également se positionner comme figure de proue de la lutte contre le virus. 

Cette course à la sortie de crise est particulièrement illustrée par les gestions des systèmes hospitaliers. En ce sens, la Chine a réalisé l’exploit logistique de construire un hôpital « en dur » à Wuhan, ville apparemment originelle du virus, du 24 janvier au 2 février 2020, soit en dix jours. Ce dernier fait 25 000 mètres carrés, a une capacité de 1 000 lits (tous types confondus) et a nécessité 4 000 ouvriers jour et nuit. Par ailleurs, la Chine a spécialement construit un second hôpital, mis en service le 6 février 2020 à Wuhan, d’une capacité avoisinant les 1 500 lits. Les deux hôpitaux auraient coûté l’équivalent de 39 millions d’euros au gouvernement. Soulignons aussi la construction d’un hôpital en préfabriqué à environ 60 kilomètres au sud-ouest de Moscou, d’une capacité prévue de 500 lits, avec une mise en service programmée pour fin avril 2020, pour un coût estimé par le Kremlin à l’équivalent de 105 millions d’euros. Cette construction intervient alors même que la Russie n’enregistrait « que » 130 décès pour 2 186 cas confirmés au 12 avril 2020. Pour finir, la construction d’hôpitaux en urgence n’est pas un phénomène nouveau, la Chine l’ayant déjà expérimentée lors de la pandémie de SRAS (2002-2003).

Ces exemples sont, là encore, en plus d’avoir un premier but sanitaire pour la population nationale, des symboles de puissance. La construction d’un hôpital d’une taille conséquente en un temps record est un luxe ostentatoire que seules certaines puissances peuvent se permettre. Nous pouvons également retrouver ici des signes des rivalités économiques et géopolitiques sino-russes. En effet, il s’agit des deux seuls pays à avoir construit, ou être en train de construire, des hôpitaux dédiés à la prise en charge des victimes du SARS-Cov2. Si la construction de l’hôpital russe survient après celle des deux hôpitaux chinois en raison du décalage de vague pandémique lié au temps de propagation du virus, elle intervient tout de même dans une période où la Russie a beaucoup moins de cas confirmés à prendre en charge.

Ici encore il est question de compétitivité internationale en matière de système de santé. Quel gouvernement sera à même d’investir les plus grosses sommes dans la gestion de la crise ? Quel pays aura démontré sa capacité d’adaptation face au virus ? Et, finalement, quel pays pourra se targuer d’avoir le système de santé le plus efficace du monde, tout du moins en temps d’épidémie ?

Le recours à l’armée en période de crise

Une autre façon de montrer sa puissance, autre qu’économique, reste de compter sur un recours à l’armée. La manière de gérer son armée en temps de crise est révélatrice de sa capacité opérationnelle.

Dans la crise du SARS-Cov2, l’armée est en grande partie mobilisée pour l’installation et la mise en œuvre d’hôpitaux de campagne, pouvant être déployés à peu près n’importe où.

Ici, ces hôpitaux sont de deux types : terrestres ou navals. Par exemple, le USNS Comfort, navire-hôpital de l’armée étasunienne a accosté dans le port de New York le 30 mars 2020. Il présente une capacité de 1 000 lits, 12 salles d’opération et 1 200 soignants à son bord. En somme, il équivaut à la majorité des hôpitaux civils. Autre exemple : le montage d’un hôpital militaire à Mulhouse (France), opérationnel depuis le 24 mars 2020 et pouvant accueillir jusqu’à trente patients en réanimation et armé par une centaine de soignants. Notons également que de nombreux ponts aériens s’effectuent pour transférer des malades au niveau national voire international, en particulier en Europe, entre la France et l’Allemagne.

Cette nécessité sanitaire et de démonstration de force s’accompagne inévitablement de mouvements des forces armées. En effet, pour combler un manque dans les systèmes de santé, les gouvernements font le choix de revoir à la baisse leurs volontés géopolitiques, en diminuant les efforts stratégiques mis en place jusqu’au début de la crise, et surtout en les employant sur des tâches nouvelles. Aussi, le 25 mars 2020, l’état-major de l’armée française annonce le retrait d’une partie de ses troupes d’Irak. Ces dernières participaient à des actions de formation auprès des forces armées irakiennes, en vue de rétablir un retour à l’ordre dans le pays, suite à l’affaiblissement de l’État islamique. Ces troupes font partie de la coalition internationale anti-organisation État islamique. Cette dernière comporte des forces provenant en particulier des États-Unis, de la France et du Royaume-Uni. La France a ainsi retiré la totalité des troupes de l’opération Chammal (opération en Irak), soit environ 200 militaires. Par ailleurs, l’armée irakienne a également stoppé toute session d’entraînement afin d’éviter la propagation du virus, preuve que ce risque dans les armées reste élevé. Évidemment, ces opérations de formation devraient reprendre après la fin de la pandémie. D’autre part, de nombreuses troupes françaises restent encore engagées au Sahel dans l’opération Barkhane (5 200 militaires environ).

Nous voyons ici qu’en avril 2020 seules les opérations d’entraînement étaient suspendues, mais que les autres opérations militaires restaient maintenues. La situation dans la région Afrique du Nord Moyen-Orient resterait donc probablement stable. Le seul point d’ombre reste la possibilité d’une résurgence, ou tout du moins d’un regain de puissance de la part de l’État islamique, qui pourrait sans doute profiter du retrait d’une grande partie des troupes occidentales en Irak.

Les différentes réponses et la problématique de l’efficacité des régimes autoritaires

Il est intéressant de comparer les différences de gestion de la crise en fonction des régimes politiques. Dans les pays les plus touchés début avril 2020, nous pouvons classer ces régimes en trois catégories : les régimes autoritaires, les démocraties occidentales et les démocraties dites numériques (orientales).

Premièrement, les régimes autoritaires, en prenant l’exemple de la Chine, se sont démarqués dans la gestion de cette crise par des mesures fortes prises relativement rapidement (confinement de plusieurs dizaines de millions de personnes, constructions d’hôpitaux). Ces mesures ont eu des effets positifs sur la lutte contre la propagation du virus et ont été permises par la grande fermeté du gouvernement. Le confinement en Europe, lorsqu’il a été mis en place, est ainsi moins stricte et privatif qu’il ne l’est en Chine.

Deuxièmement, cette crise est également révélatrice des faiblesses des démocraties occidentales. En effet, il n’existe que peu de coopération européenne, tout au plus quelques transferts de malades et on observe une grande disparité de la réponse des pays européens face au virus. Certains confinent, d’autres testent massivement, certains ne ferment pas les écoles, d’autres comptent sur l’autodiscipline de leur population. Enfin, les États-Unis ont connu, après des démonstrations de force du président Donald Trump à l’oral, un retard certain dans la mise en place des mesures anti-propagation du virus. À titre d’exemple, le système fédéral ne permet pas une réponse homogène du pays, certains États sont confinés, leurs voisins non. C’est en partie pour cette raison que le pays est, début juin 2020, un des pays les plus touchés par la pandémie.

Troisièmement, les démocraties dites numériques (Corée du Sud, Japon, Singapour) ont présenté rapidement des mesures relativement efficaces, mais sous une forme différente que le confinement. En effet, la Corée du Sud a misé sur l’utilisation des données numériques personnelles, notamment la géolocalisation, pour tracer les déplacements des malades et mettre en quarantaine leur entourage, ce qui leur a permis de prendre une avance sur la propagation du virus avec, en plus, une stratégie massive de test.

Le fait de voir cette situation endiguée plus rapidement dans certains régimes autoritaires, ou dans des démocraties numériques, qu’au sein des démocraties occidentales pourrait rebattre les cartes quant au dogme politique occidental. Dans une certaine mesure, nous voyons leur système de santé, réputé pour faire partie des plus avancés au monde, être en très grande difficulté lorsqu’il s’agit de gérer une crise. Les questions sont de savoir si cela va consolider la place des régimes autoritaires sur la scène internationale ; aboutir à la remise en cause du système occidental, de ce que le Kremlin nomme « l’Europe décadente » ; constituer une opportunité pour les régimes autoritaires de conforter leur système politique auprès de la part dissidente de leur population.

Finalement, la question centrale concerne les libertés individuelles et leur place, d’abord dans la gestion d’une crise de cette ampleur, mais aussi et surtout en temps normal. Le challenge futur des démocraties occidentales, pour garder leur place sur la scène internationale, sera de trouver l’équilibre dans cette gestion des libertés individuelles, qui passent par le biais du numérique.

Ce que nous pouvons dire de cette crise en terme d’enjeu portant sur les relations internationales, c’est donc que, loin d’encourager l’entraide et la résilience, elle favorise les rivalités, chacun ayant un objectif de puissance en vue de la sortie de crise.

La pandémie modifie notre rapport à l’environnement

Pandémie et mondialisation : une approche historique

La cause de la propagation aussi rapide du virus est sans aucun doute le niveau de mondialisation que nous connaissons. Cette dernière, pour s’exercer, nécessite des axes de fréquentation, de passage. Le principal axe routier est le Belt and Road Initiative (Les nouvelles routes de la soie). Il s’agit de plusieurs passages routiers et ferrés, de corridors, traversant l’Asie centrale, zone de transit et véritable dorsale terrestre du commerce international. S’il est vrai d’affirmer qu’il est quasiment impossible de stopper la propagation d’un virus à forte contagiosité, il est en revanche absurde de penser que ce phénomène est nouveau. La mondialisation est certes beaucoup plus rapide en 2020, mais elle a globalement toujours été présente, sous diverses formes et lieux, se trouvant par exemple autour de la mer Méditerranée durant l’antiquité.

L’exemple le plus marquant de pandémie s’étant propagée par les flux humains transitant par la route de la soie est la peste de 1347-1352. Il s’agit ici d’une bactérie et non d’un virus, ayant causé la mort d’environ 25 millions des Européens, soit 30 à 50 % de la population du continent. De récentes études archéologiques laissent également penser que la pandémie se serait répandue dans le nord de l’Afrique. Ses conséquences géopolitiques ont été la suspension d’opérations militaires, mais également l’affaiblissement des royaumes touchés.

L’histoire connaît d’autres épisodes de pandémie ou d’épidémie, dont certains ont joué un rôle important dans le déclin d’empires. Ainsi, la peste justinienne (541-767) a contraint l’Empire byzantin à arrêter sa tentative de conquête de l’Italie (et donc de reformation de l’Empire romain de l’antiquité). Autre exemple encore plus frappant : la peste antonine (165-190) qui toucha l’Empire romain. Selon des études historiques récentes, elle serait une partie de la réponse à la chute de ce dernier.

Comme souvent, l’histoire est source de réponses quant aux interrogations présentes. Le parallèle le plus intéressant porte sur le déclin de l’Empire romain durant l’antiquité et celui de l’Europe, ou de l’Occident en général, suite à la crise de 2020.

Vers un développement plus durable : leçons d’une pandémie ?

Après avoir abordé la raison de la propagation si rapide du SARS-Cov2, quels éléments ont permis son apparition ? En d’autres termes, la question est de savoir comment ce virus, a priori initialement porté par la chauve-souris en Chine, s’est transmis à l’homme. Rappelons que ce processus n’est en rien automatique et que se sont la plupart du temps les actions humaines qui en sont à l’origine.

Dans le cas présent, deux facteurs sont à l’origine de la transmission de la maladie à l’homme. D’abord, rappelons que Wuhan est une ville de 11 millions d’habitants (en comptant sa périphérie), et fortement industrialisée. À ce titre, elle devient le quatrième centre industriel de Chine en 1981 (après Shanghai, Beijing et Tianjin), avec une économie centrée sur la sidérurgie, comme le montre la présence du groupe Wuhan Iron and Steel, toujours présent en 2020. La ville accueille également des usines d’assemblage pour le groupe PSA Peugeot-Citroën. Cette industrialisation de la région, certes amorcée depuis le début de la guerre froide, s’est faite en exploitant à outrance les ressources naturelles et détruisant l’habitat de nombreuses espèces animales par le biais de la déforestation. Ensuite, les animaux, étant devenus plus faciles d’accès, ont rapidement été de plus en plus braconnés. Le pangolin est ainsi l’animal le plus braconné du monde, comptant de 400 000 à 2 millions de spécimens tués chaque année, certaines croyances locales attribuant des vertus thérapeutiques à leurs écailles.

La situation sanitaire la plus grave depuis environ un siècle a été en majeure partie provoquée par les actions humaines sur l’environnement. Nous assistons aussi à une prise de conscience de ce fait, de plus en plus relayée par les médias de masse. Il est alors relativement probable que cette prise de conscience nouvelle, voire que nos actions sur l’environnement peuvent provoquer le décès d’individus de manière massive et très rapide (contrairement à la pollution atmosphérique qui tue à petit feu), mène à une utilisation plus prudente des ressources. Les gouvernements des pays émergents, cherchant le développement économique, et, par conséquent, le bien-être social immédiat de leur population, au détriment de la protection de l’environnement, pourraient ainsi revoir leurs orientations, au vue de l’impact économique énorme de la crise sanitaire.

Il est donc envisageable, dans un futur relativement proche, d’observer une augmentation des prospectives plus durables et viables du développement, y compris chez les pays émergents, qui font souvent partie des plus pollueurs. Gardons toutefois à l’esprit qu’une telle transition est assez lente, coûteuse et nécessitera sans doute un transfert de technologies de la part des pays les plus avancés en la matière (Europe).

De nouvelles perspectives écologiques ?

Après avoir vu pourquoi le SARS-Cov2 est apparu et s’est répandu si rapidement, la dernière question reste celle de sa relativement forte mortalité. Qu’est-ce qui fait que ce virus est aussi létal ? Bien sûr, il y a les caractéristiques propres au virus, ses caractéristiques génétiques, mais il y a également des facteurs extérieurs qui influent sur le taux de létalité. Le premier de ces facteurs collectifs est la pollution atmosphérique. Ce virus attaque les voies respiratoires, il est donc logique que la pollution de l’air soit un facteur aggravant.

Ainsi, on observe un lien entre les régions les plus fortement touchées par le virus, et les régions les plus polluées. En France, il s’agit du Grand-Est et de l’Île-de-France. En parallèle, les agences spatiales, notamment l’Agence Spatiale Européenne (ESA) et la National and Aeronotics Space Administration (NASA) ont rapporté des baisses significatives des gaz polluants dans les régions confinées, dues à la diminution de l’activité industrielle et du nombre de véhicules circulants. L’ESA a par exemple annoncé que ces gaz diminuaient de 10 % par semaine de confinement en Lombardie (nord de l’Italie, une des régions les plus industrielles et polluées du pays).

Si les liens précis entre le SARS-Cov2 et la pollution atmosphérique n’ont pas encore fini d’être étudiés, il n’en demeure pas moins certain que cette pollution constitue un facteur de risque très important.

Il y a donc ici deux choses importantes : la pollution atmosphérique représente un risque imminent en présence d’un virus respiratoire ; nous pouvons, en adoptant des mesures certes très restrictives, fortement diminuer ce facteur de risque.

Par conséquent, il est possible, si les publications scientifiques continuent de démontrer ces liens entre coronavirus et pollution, que nous assistions à une période post-pandémie fortement teintée d’un renouveau écologique. Ce regain écologique porterait plus particulièrement sur la diminution des gaz à effet de serre. Si la reprise de l’activité économique, et notamment automobile, se fera probablement par l’achat massif de véhicules diesels et essences, il est également envisageable, à moyen et long terme, d’assister à des efforts et avancées technologiques permettant le développement plus rapide des voitures électriques et le développement de productions plus pérennes d’énergie, en passant par le nucléaire et les énergies renouvelables. Les pays les plus durement touchés ont par conséquent tout intérêt à s’engager dans cette course technologique afin de s’assurer une avance certaine et une influence dans le domaine. Autre conséquence géopolitique : si ces efforts de développement ont lieu, il faudra s’attendre à une compétition encore plus acharnée quant au contrôle des métaux rares, indispensables aux batteries des véhicules électriques. Enfin, l’importance des satellites d’observation, comme Copernicus (ESA), outils devenus incontournables dans la lutte contre la pollution atmosphérique, pourra sans doute croître rapidement, ajoutant encore un peu plus de rivalités dans un milieu déjà très compétitif.

Alors, les enjeux susceptibles de voir leur importance grandir en post-crise sont essentiellement écologiques, amenant à repenser la production et l’utilisation des énergies, du secteur agro-alimentaire, du développement durable et de la mondialisation. Cela passera très probablement par des avancées scientifiques et surtout technologiques. En ce sens, l’Union Européenne, qui, nous l’avons vu, connait des difficultés durant cette crise, aurait un intérêt certain à donner une plus forte impulsion encore dans ces domaines de pointe, nécessitant certes de diminuer ces ambitions militaires géopolitiques mais lui permettant alors de développer ses ambitions géopolitiques, stratégiques et d’influence (soft power) scientifiques et technologiques.

     La crise sanitaire de 2020 est d’une ampleur toute particulière en raison de grand nombre de victimes et de son aspect mondial. Aussi, il est probable qu’elle soit à l’origine de futurs changements sociétaux, économiques et géopolitiques de fond, en ce qu’elle atteint les peuples en profondeur. Rappelons aussi que pour retrouver une pandémie soutenant la comparaison avec celle du SARS-Cov2, il faut remonter à la grippe espagnole (1918-1919). Les principaux changements qui pourraient se dessiner sont de trois ordres : économiques, écologiques et politiques.

Ainsi, si l’économie mondiale est affaiblie, l’Occident sera probablement la région ayant le plus de mal à s’en remettre, confortant l’Asie comme étant la seule dorsale économique mondiale. Ensuite, un regain de la prise de conscience écologique est assez sûrement à prévoir, ouvrant de nouvelles perspectives de développement durable et d’alter-mondialisme, y compris pour les économies émergentes. Enfin, les grandes difficultés des pays occidentaux à gérer la crise, à l’exception notable de l’Allemagne, conforterait les régimes autoritaires (Chine et Russie ici) dans leurs ambitions sur la scène internationale, tandis que les États-Unis se replieraient encore un peu plus dans leur isolationnisme. D’un autre côté, l’Allemagne continuerait à garder sa place de leader politique et économique de l’Union, tandis que l’on peut prévoir un possible recul des libertés individuelles dans les démocraties, suivant le modèle sud-coréen.

Finalement, cette crise n’est que révélatrice des tensions et rapports de force internationaux, confirmant les grandes tendances déjà anticipées par les géopolitologues. En ce sens, elle questionne la posture de l’Europe, tiraillée entre aspirations géopolitiques et manque de ressources pour y parvenir, devant sans doute plus s’inscrire comme la puissance technologique et scientifique mondiale et diminuer ces efforts en matière de hard power.

Pierre Bouchilloux

Bibliographie

– A. Fisné, « Vu de l’étranger. La pénurie de masques en France symbolise le délabrement du système de santé », Courrier International, 20 mars 2020

« Coronavirus : le nombre de morts en Chine remis en cause », France Info, 31 mars 2020

« Contre le coronavirus, la Chine construit un hôpital en dix jours », Le Point, 03 février 2020

B. Collet, « Coronavirus : un navire-hôpital militaire de 1.000 lits a accosté à New York », RTL, 30 mars 2020

« Un premier malade y a été admis : pourquoi l’hôpital militaire de Mulhouse est hors norme », LCI, 24 mars 2020

AFP, « Coronavirus : la France retire ses troupes d’Irak sur fond de crise sanitaire », Le Monde, 25 mars 2020

S. Schweisguth, « Les Nouvelles routes de la soie et l’émergence d’un nouveau monde », Hérodote, 29 janvier 2020

RP. Droit, « Comment l’empire romain s’est effondré, de Kyle Harper : la chronique « histoire » de Roger-Pol Droit », Le Monde, 05 janvier 2019

« Le rôle de la déforestation et de la pollution dans l’épidémie de Covid-19 », France Info, 23 mars 2020

M. Gozlan, « Les chauves-souris chinoises, réservoirs de coronavirus émergents », Le Monde, 10 février 2020

S. Mandard, « Coronavirus : la pollution de l’air est un « facteur aggravant », alertent médecins et chercheurs », Le Monde, 31 mars 2020

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