Le regain d’intérêt des États-Unis pour l’Arctique

Le regain d’intérêt des États-Unis pour l’Arctique

Peut-on parler d’un regain d’intérêt des États-Unis pour l’Arctique ?

L’océan Arctique, qui occupe toute la partie centrale du nord du globe, couvre environ quatorze millions de km², soit plus de cinq fois la mer Méditerranée. Cet espace gigantesque, riche de ressources, reste cependant encore difficilement accessible et relativement méconnu. Mais le réchauffement climatique, plus rapide encore aux pôles que dans le reste du monde [1], bouscule l’échiquier géopolitique et permet aux puissances riveraines d’investir progressivement la région.

Plusieurs définitions de l’Arctique, parfois contradictoires, coexistent. Un océanographe insistera sur l’absence de terre ferme dans cet espace, à l’inverse de l’Antarctique ; un géographe prendra la limite constituée par le cercle polaire à 66°33’… L’Arctique politique reflète également cette diversité. Outre la douzaine de peuples autochtones (sans compter la kyrielle de petits groupes ethniques), et dont les degrés de pouvoir et de représentation sont variables, on compte plusieurs organisations internationales ou groupes intergouvernementaux informels, comme l’Arctic 5 qui rassemble les cinq États bordés par l’océan Arctique (États-Unis via l’Alaska, Canada, Danemark via le Groenland, Norvège et Russie), ou encore le plus célèbre d’entre eux, le Conseil de l’Arctique qui compte les huit pays qui ont des terres au-dessus du cercle boréal : les cinq précités plus la Suède, la Finlande et l’Islande. Le Conseil de l’Arctique offre également une représentation aux Inuits et compte treize États observateurs (dont la France, l’Inde, la Chine, Singapour, l’Allemagne), auxquels il faut ajouter l’UE, le CICR et le WWF.

Parmi tous ces acteurs, les États-Unis occupent une place tout à fait particulière. Si, pendant la guerre froide, la proximité de l’URSS, de l’autre côté du détroit de Béring, faisait craindre une attaque soviétique terrestre en Alaska et mettait donc l’Arctique au cœur des préoccupations géopolitiques nationales, Washington s’est progressivement désengagé de la région à partir de la chute du bloc de l’Est. Toutefois, depuis plusieurs années, une série d’événements et de signaux faibles laissent à penser que, dans la « course à l’Arctique » [2] qui se dessine, les États-Unis tentent progressivement de s’imposer de nouveau, après une période de relative indifférence.

L’« hibernation » [3] américaine en Arctique après la guerre froide

Pourquoi un tel désintérêt ?

Les raisons de l’indifférence des États-Unis pour les sujets arctiques dans les années 1990 et au début des années 2000 sont multiples. Elles sont d’abord conjoncturelles puisque la chute de l’URSS a fait disparaître la menace latente qui faisait du pôle Nord – espace de confrontation entre les deux blocs – une priorité, et a propulsé les États-Unis au rang d’hyperpuissance. L’espace nordique est alors apparu comme un espace dépolitisé, vierge ou presque de tout enjeu, ce qui a permis l’émergence d’une coopération entre les puissances riveraines, sauf pour Washington, qui, soucieux de tirer les dividendes de la paix, a préféré un désengagement massif.

À ces explications de contexte il faut ajouter des motifs plus profonds, des causes structurelles. D’abord, les États-Unis ne sont pas un pays arctique. Contrairement à des nations comme la Russie, l’Islande ou la Norvège, le Grand Nord et le froid sont des notions qui ne sont pas constitutives de l’identité américaine. Alors que les problématiques arctiques sont nationales pour des pays comme la Suède ou le Canada, elles sont vues par Washington comme marginales puisqu’elles ne concernent que la périphérie du pays. L’Alaska, acheté en 1867 à la Russie, n’a rejoint l’Union qu’en 1959 et n’est même pas relié territorialement à la métropole. Son surnom, The Last Frontier, témoigne d’ailleurs de cette position périphérique. Cet éloignement, qui n’est pas tant géographique que mental, a largement contribué à ce désintérêt du pouvoir central pour les problématiques qui étaient celles du 49e État.

Trois grands facteurs supplémentaires peuvent expliquer l’immobilisme des Américains. D’abord, la position ambivalente du pays sur le droit de la mer constitue un frein non négligeable à l’implication des États-Unis dans la région. En effet, ils font partie de la poignée de pays dans le monde, et sont les seuls parmi les puissances arctiques, à n’avoir pas ratifié la Convention de Montego Bay de 1982 [4], ce qui les empêche de revendiquer une extension de leur ZEE [5] ou de résoudre des différends de frontières maritimes, et ce, même s’ils confèrent à ces accords une valeur coutumière et la respectent. Ensuite, les États-Unis préfèrent jouer la carte du statu quo sur les différends qui les opposent à la Russie et au Canada quant à la liberté de naviguer. Washington considère que le passage du Nord-Ouest (PNO) qui longe la côte canadienne ainsi que la route maritime du Nord (RMN) qui suit les côtes russes relèvent des eaux internationales dans lesquelles s’appliquent la liberté de naviguer. Au contraire, Ottawa et Moscou considèrent ces voies comme traversant leurs eaux intérieures et qu’elles peuvent donc y appliquer des droits de passage voire fermer ces routes.

Carte de la Route maritime du nord le long des côtes russes et du Passage du nord-ouest le long des côtes canadiennes

Cependant, les différentes administrations ont toujours préféré le statu quo par peur de la confrontation, notamment avec la Russie, se limitant à de simples protestations diplomatiques. Enfin, dernière cause du désintérêt des Américains pour l’Arctique, leur refus de toute gouvernance politisée de la région. Les États-Unis se sont ainsi toujours opposés à la création d’une organisation ou d’un traité international. Ils ont ainsi fait pression lors de la fondation du Conseil de l’Arctique en 1996 pour que les questions politiques et sécuritaires soient explicitement évacuées des prérogatives de la nouvelle instance, cantonnée aux domaines de la coopération scientifique et de l’environnement. Ce sont également eux qui ont refusé que les décisions du Conseil de l’Arctique aient une valeur contraignante plutôt que de soft law, alors même que les années 1990 ont été l’occasion, pour les autres puissances riveraines, d’inaugurer une collaboration renforcée dans de multiples domaines. Ce refus explicite d’implication a ainsi largement contribué à l’isolement des États-Unis sur les questions arctiques.

Les modalités d’expression du désengagement américain

Ce désintérêt américain s’est traduit par un désengagement concret et protéiforme, d’abord par le refus de s’impliquer dans une gouvernance arctique. Si les États-Unis sont signataires de l’Artic Environmental Protection Strategy de 1991, puis de la déclaration d’Ottawa qui fonde le Conseil de l’Arctique ; jusqu’en 2011, aucun secrétaire d’État ne s’était jamais rendu aux réunions interministérielles biannuelles de l’organisation.

Le désamour étatsunien pour l’Arctique transparaît également dans son rapport avec les peuples autochtones. Ainsi, les Indiens gwich’ins, les Inupiats, les Yupits et les Aléoutes, tous indigènes alaskains, sont les peuples arctiques les moins bien représentés auprès de leur administration centrale, assez peu attentive à leurs revendications. Soucieuses d’éviter l’émergence d’une opposition locale, les autorités centrales ont adopté dès 1971 l’Alaska Native Claims Settlement Act qui donne aux Indiens 10% de leur territoire ancestral et une indemnisation financière au titre de l’abandon de leurs droits sur le reste de leurs terres, dont le gouvernement pouvait désormais disposer librement. Cependant, une grande partie de ces espaces a finalement été sanctuarisée comme zone protégée, notamment avec l’Alaska National Interest Land Conservation Act en 1980, qui crée un parc national de 42 millions d’hectares, sur les 152 que comptent l’État, ce qui représente 28% de sa superficie.

Le désintérêt est encore plus frappant sur les questions sécuritaires. Ainsi, les États-Unis, pourtant responsables depuis 1951 de la défense islandaise, puisque cet État insulaire ne dispose pas d’armée, ont décidé en 2006 de fermer leur base aérienne de Keflavik, en Islande, et de transférer leurs prérogatives concernant la défense de l’île à l’OTAN. En septembre 2011, la désactivation de la Deuxième Flotte des États-Unis qui avait en charge l’Atlantique nord-est et l’océan Arctique répond à la même logique. Enfin, l’exemple des brise-glaces est révélateur du désengagement américain. La première puissance mondiale arrive ainsi à la cinquième place des pays en possédant le plus. Alors qu’elle en compte six, la Suède et la Finlande en possèdent neuf, le Canada onze et a lancé la construction de six autres, et enfin la Russie, éternelle rivale, est la propriétaire d’une flotte de cinquante-cinq brise-glaces, auxquels il faut ajouter treize autres navires dont la construction est en cours. Washington connaît ainsi une réelle difficulté à trouver des financements pour développer une flotte conséquente de brise-glaces, ce qui est à la fois une cause et un symptôme de l’effacement américain dans cette zone.

Le contre-exemple sécuritaire

Cela étant, les États-Unis en Arctique dans les années 1990 ne sont pas qu’une puissance en retrait. Le domaine de la défense constitue ainsi un réel contre-exemple à « l’hibernation » américaine puisque Washington a maintenu un certain nombre de ses structures de sécurité en Arctique. Ainsi, ils ont conservé nombre de leurs bases militaires, comme c’est le cas de Clear, base aérienne au centre de l’Alaska, ou celles installées au Groenland dans le sillage de la Seconde Guerre mondiale, comme Camp Century ou Thulé. La fin de la guerre froide a cependant été l’occasion pour Washington d’une profonde refonte de son système de défense le long du cercle arctique. Ainsi, certaines stations radars ont été démantelées et d’autres renouvelées. Cette refonte du système de défense nord-américain a donc vu une modernisation des infrastructures, mais a également permis aux Américains de se retirer des stations de radars canadiennes pour se concentrer sur les leurs. Les missions du NORAD [6] ont également été élargies, comprenant désormais la lutte contre les petits avions transportant de la drogue, mais s’il reste le cœur de la coopération militaire américano-canadienne en ce qui concerne l’Arctique.

On voit donc que le désintérêt des États-Unis pour la région est réel au cours des années 1990 et perdure au début du XXIe siècle, sauf en ce qui concerne la défense. Cependant, cette « hibernation » des États-Unis en Arctique a permis aux autres puissances nordiques, et notamment à la Russie, de s’affirmer dans la région.

Le retour des États-Unis en Arctique

La prise de conscience de ce retard américain sur les autres pays polaires qui a poussé les présidents américains à sortir progressivement de l’immobilisme sur les questions arctiques. Ce réveil n’est cependant pas linéaire et connaît deux phases distinctes : d’abord un retour prudent, puis une affirmation plus franche, voire agressive, menée par l’administration Trump.

Un retour d’abord prudent

Ce retour est davantage une réaction à plusieurs événements concomitants qu’une volonté claire et structurée des États-Unis. En effet, une succession de faits conduit Washington à repenser sa politique arctique à partir du milieu des années 2000. Ainsi l’été 2007 a vu pour la première fois l’intégralité du PNO fondre, permettant pour quelques semaines une libre navigation le long des côtes canadiennes et alaskaines. La même année, l’expédition russe Arktika 2007 s’est conclue par le planté d’un drapeau russe exactement au pôle Nord par un sous-marin, à 4 200 mètres sous la calotte glaciaire, ce qui a été perçu comme la concrétisation symbolique des ambitions russes dans la zone et comme une atteinte au droit maritime. S’ajoute l’année suivante la déclaration d’Ilulissat par l’Arctic 5, qui a fait craindre une fermeture de la région au profit des cinq États côtiers. Or, les États-Unis sont particulièrement isolés au sein de ce club, seuls à n’avoir pas ratifié la convention de Montego Bay et seuls à défendre la liberté de navigation face aux positions très souverainistes de la Russie et du Canada. C’est bien cette succession rapide d’événements, combinée à des dynamiques plus profondes de long terme comme le réchauffement climatique, le progrès technique et la raréfaction des ressources fossiles accessibles à des latitudes plus clémentes, qui a poussé les États-Unis à repenser leur stratégie arctique et à réinvestir la zone, dans le but de rattraper ce retard.

Dès le milieu des années 2000, les États-Unis ont donc multiplié les signaux faibles trahissant un regain d’intérêt discret mais réel pour les problématiques polaires. Dès 2005, le sous-marin USS Charlotte atteignait le pôle Nord sans aucune autorisation du Canada pour traverser ce qu’Ottawa considère pourtant comme ses eaux intérieures, ce qui montre que Washington a fait le choix de rappeler plus fermement sa position à ce sujet. Ainsi, de fin 2007 à mi-2008, l’administration Bush a envoyé l’USCGC Healy, le plus grand brise-glace américain, réaliser une série d’observations scientifiques et cartographier les limites du plateau sous-marin de l’Alaska, données qui pourront servir à de futures revendications. Mais au-delà, cette expédition est surtout une réponse claire à l’expédition russe qui s’était tenue quelques mois auparavant. L’année suivante, Georges W. Bush décide de relancer l’extraction pétrolière en Alaska en délivrant plusieurs centaines de licences d’exploitation et de forage dans la ZEE [7] de l’Alaska, notamment en mer de Beaufort et en mer des Tchouktches, ce qui témoigne d’une nouvelle volonté de la part des États-Unis de tirer profit des ressources arctiques.

Mais c’est surtout l’administration Obama qui entérine le retour États-Unis dans la zone, retour qui transparaît clairement dans la multiplication des stratégies des administrations nationales : Directive présidentielle sur la sécurité du territoire national en 2009, Stratégie nationale pour la région arctique en 2013, Stratégie arctique de Défense la même année, Feuille de route arctique de l’US Navy pour la période 2014-2030  , et enfin une nouvelle stratégie arctique de Défense en 2016. Dès 2012, les États-Unis initient une rencontre annuelle des hauts représentants militaires des nations arctiques pour tenter d’esquisser une coopération régionale sur les questions militaires, mais le projet échouera face à la montée des tensions américano-russes à la suite de la crise en Ukraine. En 2013, la dérive de la plate-forme offshore Kulluk de la société pétrolière Shell marque les consciences et rappelle l’échouage du pétrolier américain Exxon Valdez dans la même zone en 1989. Cet accident sert de révélateur aux États-Unis qui comprennent qu’ils peuvent jouer un rôle de leader dans l’émergence de nouvelles normes de protection de l’environnement.

Remorquage de la plateforme pétrolière offshore Kulluk en 2013.

Dès lors, les initiatives américaines se multiplient. Dans les mois qui suivent l’accident, la Stratégie nationale pour la région arctique distingue cinq piliers : la préservation des intérêts sécuritaires américains, la revendication de la liberté de naviguer, la protection de l’environnement, la réponse aux besoins des populations autochtones et enfin le renforcement de la recherche scientifique dans l’espace arctique, le tout dans le cadre d’un multilatéralisme renforcé. La Stratégie souligne également, une fois encore, la nécessité de la ratification de la convention de Montego Bay par le Sénat, pour permettre enfin aux États-Unis de demander une extension de leur ZEE. Dans le sillage de cette ligne directrice, B. Obama organise en 2015 la conférence d’Anchorage sur l’Arctique. Ce sommet, qui a réuni près de vingt pays différents dont les huit membres du Conseil de l’Arctique, a constitué une réelle tentative pour Washington de reprendre le leadership sur les questions arctiques, mais a également été l’occasion, pour la première fois dans l’histoire américaine, d’une visite de l’Alaska par un président en exercice. La même année, les États-Unis créent le Forum annuel des garde-côtes en Arctique, pour renforcer la coopération sécuritaire boréale. Mais l’apogée de cette implication en Arctique intervient avec la présidence américaine du Conseil de l’Arctique, entre 2015 et 2017. En effet, si l’Alaska reste l’élément fondamental de la stratégie américaine en Arctique, Washington a complètement renouvelé son approche du Conseil de l’Arctique, qui est véritablement devenu le deuxième pilier de sa diplomatie polaire. En effet, isolés au sein de l’Arctic 5, les États-Unis ont redécouvert les avantages de l’organisation, fondée en 1996 malgré leurs réticences, et au sein de laquelle ils déploient désormais une diplomatie active. Cette revalorisation du Conseil de l’Arctique permet à Washington de s’appuyer pour les questions arctiques sur ses traditionnels alliés à l’instar de l’UE, de la France ou du Royaume-Uni, membres observateurs favorables à la liberté de navigation, mais également de rallier les oubliés de l’Arctic 5, vexés d’avoir été mis à l’écart par le club des puissances bordant l’océan Arctique, c’est-à-dire l’Islande, la Suède et la Finlande. La présidence américaine du Conseil de l’Arctique s’est ainsi close sur l’accord de Fairbanks, en Alaska en mai 2017, qui prévoit une augmentation de la coopération scientifique internationale ainsi qu’un renforcement du Conseil de l’Arctique. À cette occasion, R. Tillerson, le premier Secrétaire d’État de D. Trump, a d’ailleurs réaffirmé l’engagement de son pays dans la coopération régionale en Arctique. Les États-Unis, de contempteurs du Conseil de l’Arctique sont donc devenus ses défenseurs, voyant en lui un outil de promotion d’une gouvernance ouverte de la région, plutôt que repliée autour des cinq puissances riveraines.

R. Tillerson, Secrétaire d’État de D. Trump, et T. Soini, Ministre finlandais des Affaires étrangères, lors de l’accord de Fairbanks en 2017.

La rupture Trump

L’accession au pouvoir d’un président climatosceptique, agressif et unilatéraliste a cependant profondément bousculé les équilibres géopolitiques en Arctique, marquant une véritable rupture dans une région où la coopération domine et où le changement climatique fait consensus.

Si quatre mois après son investiture en janvier, son Secrétaire d’État a clos la présidence américaine du Conseil de l’Arctique en mai dans la droite ligne de ce qu’avait fait B. Obama, D. Trump n’a pas tardé à imposer sa propre stratégie en Arctique. La Stratégie nationale de sécurité américaine, publiée dès la première année de son mandat, fait de la domination énergétique le deuxième pilier de la sécurité américaine, ce qui confère une importance toute particulière à la production pétrolière et gazière dans la politique du président. Alors que l’ère Obama voyait l’Arctique comme une zone à préserver, l’administration actuelle voit davantage la région comme une zone d’exploitation des ressources pétrolières sur le modèle norvégien. Le changement de vocable est ainsi particulièrement révélateur. Si B. Obama utilisait les notions de protection de l’environnement et d’écologie, D. Trump, lui, préfère celle de développement durable, notion élastique qui associe la protection de l’environnement au développement économique qui constitue le cœur de la politique nationale du milliardaire. D. Trump a ainsi relancé l’exploitation des ressources fossiles en Alaska, production encouragée par une rentabilité croissante grâce à deux facteurs simultanés : l’augmentation des cours du baril [8] et la réduction des coûts de production grâce au progrès technique. Cette croissance de la rentabilité est telle que même une partie du pétrole offshore est devenu intéressant à exploiter.

Outre l’énergie, la présidence de D. Trump marque le retour des enjeux sécuritaires en Arctique. Ainsi, fin 2018, l’exercice otanien Trident Juncture a réuni près de 51 000 militaires issus de trente-et-un pays différents en Norvège pour un entraînement collectif. Cette véritable démonstration de force était conçue comme une réponse à la surmilitarisation de l’Arctique russe par Moscou, puisque la Russie est le seul pays du Conseil de l’Arctique à ne pas appartenir à l’OTAN. En outre, cet exercice dédié aux zones polaires a mis en évidence le retour des enjeux militaires dans la région. Ce sont également les tensions croissantes avec la Russie qui ont présidé à la réactivation de la Deuxième Flotte des États-Unis dans l’Atlantique nord et l’océan Arctique en juillet 2018, opérationnelle dès le 31 décembre 2019.

Le dernier exemple en date de la réaffirmation de la puissance américaine dans la région – et l’un des plus révélateur – est le refus de M. Pompeo, second secrétaire d’État de D. Trump, de signer la déclaration commune de Rovaniemi en Finlande, qui clôturait la présidence finlandaise du Conseil de l’Arctique, une première dans l’histoire du forum intergouvernemental. En effet, M. Pompeo, fidèle à la ligne climatosceptique de son administration, rejetait toute mention du changement climatique dans le texte final, notion qui avait pourtant fait consensus jusqu’ici au Conseil de l’Arctique. Cet épisode a conclu un sommet pour le moins agité, lors duquel le secrétaire d’État américain a fustigé nommément les manœuvres militaires russes et l’ingérence économique chinoise dans la région, notamment par le biais de nombreux investissements en Islande, au Groenland, mais surtout en Russie. L’agressivité du discours du chef de la diplomatie américaine avait aussi pour but de concrétiser, aux yeux du monde entier, le retour des États-Unis dans l’espace boréal. En refusant une coopération efficace depuis la fin de la guerre froide au Conseil de l’Arctique, D. Trump a injecté de la realpolitik dans un organe technico-scientifique et a braqué les projecteurs sur la Chine, discret membre observateur au Conseil mais qui, ces dernières années, a su multiplier les outils pour étendre son influence au septentrion.

D’ailleurs, le regain d’intérêt américain plus spécifique pour le Groenland depuis 2019 trahit à la fois le réengagement américain dans la zone et la concurrence avec Pékin. D. Trump, adepte des stratégies diplomatiques hétérodoxes, a par exemple surpris les chancelleries en proposant à la Première ministre danoise, M. Frederiksen, d’acheter le Groenland. Si cette proposition « absurde » – comme l’a qualifiée cette dernière – peut prêter à sourire, elle n’en a pas moins provoqué un incident diplomatique puisque D. Trump, vexé par ce refus, a aussitôt annulé une visite d’État à Copenhague, pourtant allié de longue date. Cet épisode ubuesque traduit cependant un regain d’intérêt pour l’île danoise, confirmé par le projet d’ouverture d’un consulat américain à Nuuk, capitale groenlandaise. Avec ce poste diplomatique les États-Unis rejoindront les cinq autres puissances arctiques qui bénéficient déjà d’une représentation diplomatique sur l’île : le Canada, la Norvège, la Suède, la Finlande et l’Islande qui en possède même deux. Au-delà, l’ouverture de ce consulat américain permettra à Washington de traiter plus directement avec Nuuk sans passer par Copenhague, d’améliorer sa connaissance du terrain et donc de mieux saisir les opportunités qui lui seront offertes, tout en renforçant la coopération américano-danoise, notamment après l’incident diplomatique de 2019. Ce poste diplomatique a donc pour principale mission de favoriser et de faciliter les investissements américains sur une île convoitée par la Chine. En effet, ce regain d’intérêt précis pour le Groenland est en réalité une réaction à la politique d’investissement de Pékin puisque la Chine a construit trois aéroports sur l’île et a mené une véritable politique de prise de participation capitalistique dans nombre d’entreprises de la région. L’offre de rachat par les autorités chinoises d’une ancienne base militaire danoise au Groenland, rejetée par Copenhague, a constitué de fait un électrochoc pour les États-Unis qui ont pris conscience de la nécessité de réinvestir le Groenland, d’autant plus que l’île possède la deuxième réserve de terres rares après la Chine, ressource indispensable pour la composition des appareils technologiques. La visite du vice-président M. Pence en septembre 2019 en Islande, deux mois après les désaccords de Rovaniemi, et qui avait pour but de multiplier les partenariats avec l’État insulaire s’inscrit dans la même perspective de réaction à l’extension de l’influence chinoise en Arctique.

Mais il ne faut cependant pas surinterpréter la rupture Trump dans la politique américaine sur l’Arctique. Le président américain a pris pour habitude de bousculer les codes policés de la diplomatie internationale, affiche son climatoscepticisme régulièrement, et mène une compétition économique et géopolitique contre la Chine. La crise qui a secoué le Conseil de l’Arctique, et plus généralement la rhétorique agressive de D. Trump sur les problématiques polaires, s’inscrivent donc dans un contexte plus large et ne sont que les expressions conjoncturelles des grandes tendances politiques qui sont celles de l’administration Trump.

L’accélération de la course à l’Arctique au milieu des années 2000 et les prises de position de plus en plus affirmées de la part de Moscou ont ainsi conduit les États-Unis à se réengager progressivement au pôle Nord. Conscientes des faiblesses américaines après une décennie et demie de retrait, les administrations Bush et Obama avaient opté pour un réinvestissement prudent de la région, privilégiant la coopération à la confrontation. Mais depuis 2017, le refus de toute coopération régionale, la multiplication des opérations militaires, ou encore l’incident diplomatique avec le Danemark sont autant d’indicateurs d’un virage plus agressif de la part des États-Unis dans leurs revendications en Arctique.

Des intérêts régionaux encore flous pour les États-Unis

Si les États-Unis ont longtemps dédaigné l’Arctique, c’est aussi parce que leurs intérêts, aussi bien les ressources pétrolières et gazières que le PNO, n’y sont pas aussi prononcés qu’on pourrait le croire.

La question des ressources fossiles

L’intérêt le plus évident des États-Unis en Alaska est la production pétrolière et gazière, notamment en mer de Beaufort, au nord de l’État. Cette mer renferme de grandes réserves fossiles, dont l’ampleur exacte reste indéterminée, et qui sont exploitées par des plateformes offshore depuis les années 1980, mais uniquement l’hiver, pour éviter de gêner la reproduction des baleines. On estime ainsi que le nord-ouest de l’Arctique concentre à lui seul près d’un quart des réserves d’hydrocarbures restant à découvrir dans le monde [9], ce qui renforce la querelle frontalière qui oppose Washington à Ottawa en mer de Beaufort. De même, l’Arctique représenterait 13% des de la totalité des réserves pétrolières mondiales et près de 30% du gaz planétaire. Le champ pétrolifère de Prudhoe Bay en mer de Beaufort, est ainsi l’exemple paradigmatique de l’exploitation des ressources fossiles de l’océan Arctique. Découvert en 1968 et exploité par la British Petroleum depuis 1977, Prudhoe Bay a été le plus grand champ des États-Unis dans les années 1990, à tel point que cette seule plateforme a nécessité la construction de l’oléoduc trans-Alaska de 1 280 kilomètres de long pour acheminer le pétrole depuis l’Arctique jusqu’aux côtes sud de l’État, baignées par une mer libre de glace toute l’année, ce qui facilite son transport vers la métropole.

Oléoduc trans-Alaska entre Valdez et Prudhoe Bay, en service depuis 1977.

Même si la production de Prudhoe Bay s’est considérablement réduite depuis, elle reste conséquente et les grandes réserves de gaz du puits sont, elles, encore inexploitées pour l’instant, ce qui justifie la construction en cours d’un gazoduc transalaskain. L’Alaska est également riche en terres rares, en zinc que l’on extrait depuis les années 1990 et en gaz naturel, dont l’extraction est plus ancienne (dès 1961 dans la péninsule de Kenai par exemple). Si la présence de ressources fossiles en Alaska est donc indiscutable, de nombreux facteurs externes empêchent encore une exploitation réellement rentable. D’abord, les prospections sont difficiles à mener et demandent des investissements conséquents pour des résultats incertains. Or, lorsque les cours du pétrole diminuent, les revenus des compagnies pétrolières suivent la même courbe descendante, et celles-ci voient par conséquent leur capacité d’investissement se réduire, ce qui les conduit à limiter leurs sondages. On voit donc que les prospections sont particulièrement incertaines car dépendantes des soubresauts du cours de Brent, dont la volatilité est importante. De plus, le doute plane sur le volume réel de pétrole en Alaska, et les diverses études menées ne donnent pas toujours les mêmes chiffres, voire se contredisent. Mais après les recherches et les forages, la rentabilité du pétrole finalement extrait n’est pas plus garantie que celle de la prospection. En effet, le pétrole arctique est bien plus cher à produire que le pétrole issu d’autres puits dans le monde. D’abord, l’extraction pétrolière au pôle Nord exige du matériel de très haute technologie, et donc coûteux, car les puits ne sont accessibles que très difficilement. Ensuite, les gisements de pétrole sont souvent très éloignés de la côte, ce qui pose le problème du transport, alors même que 80% des réserves pétrolifères arctiques se trouvent en mer. Or, le statut juridique du pôle Nord est encore incertain puisque les États-Unis n’ont pas signé la Convention de Montego Bay et ont un différend territorial en mer de Beaufort avec le Canada. Et l’on sait que les acteurs économiques sont traditionnellement réticents à investir dans des zones au statut juridique flou.

Il faut encore ajouter qu’à des températures très basses comme on en trouve au-dessus du cercle polaire, des réactions chimiques peuvent nuire à la qualité des hydrocarbures. De plus, la production pétrolière dans ces zones peut être soumise à des ruptures saisonnières, notamment lorsque les glaces isolent la plateforme offshore de tout contact avec la côte. Enfin, ces dernières années un autre critère menace l’industrie pétrolière : la résistance des associations écologistes et des populations locales. Exemple des difficultés des compagnies pétrolières en Arctique, l’abandon par Shell, en 2015, des forages controversés en Alaska. L’entreprise anglo-néerlandaise a ainsi expliqué que les gisements pétrolifères étaient trop profonds et contenaient une quantité insuffisante d’hydrocarbures pour légitimer la poursuite des recherches.

Contentieux territorial entre les États-Unis et le Canada en mer de Beaufort.

La succession contradictoire des autorisations puis des interdictions de forage illustre parfaitement les hésitations et les tergiversations du gouvernement américain. Ainsi, la baisse de la production de Prudhoe Bay a renforcé la pression de la part du Parlement pour ouvrir l’Arctic National Wildlife Refuge, constitué en 1960 et étendu en 1980 par J. Carter à l’extraction pétrolière, demandes auxquelles D. Trump a accédé après des années de refus par B. Obama. De même, en 2007, G.W. Bush avait ainsi autorisé l’exploitation des ressources fossiles dans la baie de Bristol, au large des îles Aléoutiennes, avant finalement de les interdire. On voit donc que Washington peine à clairement déterminer ses intérêts pétroliers en Alaska.

Le pétrole alaskain est donc certes un enjeu, mais sa rentabilité reste pour l’instant trop douteuse pour inciter le gouvernement américain à déployer une stratégie réellement ambitieuse à court terme, d’autant plus que les États-Unis, premiers producteurs de pétrole [10] et exportateurs depuis très récemment [11], n’ont pas besoin de pétrole. Leur pétrole métropolitain, bien moins coûteux, éclipse donc pour l’instant le pétrole arctique.

La problématique du passage du Nord-Ouest

L’autre grand intérêt des États-Unis est le PNO, route maritime souvent présentée comme prometteuse pour la navigation commerciale internationale. Ce passage possède en effet de nombreux avantages, dont la réduction du temps de voyage. Alors qu’un trajet New York – Tokyo via le canal de Panama compte 18 200 km, le même trajet via le PNO couvre une distance de 14 000 km. Le PNO permettrait donc une économie de temps et de carburant, en théorie du moins, et offrirait aux États-Unis un nouvel itinéraire pour l’évacuation du pétrole produit en Alaska, autant de raisons qui expliquent l’augmentation du trafic dans l’archipel nordique canadien. Alors qu’aucun bateau n’avait franchi les détroits gelés du nord du Canada en 1982, ils étaient trois l’année suivante. L’accélération de la fonte des glaces, liée au réchauffement climatique a favorisé l’expansion du trafic. En 2012, on comptait ainsi 30 bateaux qui avaient réalisé la traversée de l’Alaska à New York par le nord. Le PNO, selon la vision portée par les États-Unis, permettrait également une économie des droits de douane payés à Panama, très élevés. En outre, le PNO offrirait des trajets plus rentables car il permettrait le passage de navires de plus gros tonnages que les bateaux Suezmax et Panamax, formatés pour pouvoir passer dans les canaux égyptien et panaméen, et qui transporteraient ainsi plus de marchandises en un seul voyage. De plus, le matériel actuel permet déjà de franchir des glaces d’un mètre d’épaisseur, rendant superflue une fonte totale de la banquise.

Marqueur de cet enjeu, la controverse juridique qui oppose Washington à Ottawa trahit les intérêts des puissances arctiques vis-à-vis de cette future route. Ainsi, le Canada considère les détroits de son archipel comme relevant de ses eaux intérieures, ce qui lui donnerait la possibilité d’imposer des droits de douane ou de bloquer le passage. À l’inverse, les États-Unis considèrent que ces détroits relèvent des eaux internationales dans lesquelles s’applique la liberté de navigation la plus absolue. En 1969, le tanker étatsunien Manhattan avait ainsi forcé le PNO pour évacuer le pétrole alaskain, ce qui avait relancé le litige. En 1985, le même problème se pose mais le Premier ministre canadien d’alors, B. Mulroney, sans moyen d’intercepter le brise-glace USCGC Polar Sea, ne pouvait que constater son impuissance, et a finalement autorisé le navire américain à franchir le PNO.

Mais ici aussi les intérêts américains quant au PNO sont à nuancer. La route du nord-ouest est en effet particulièrement onéreuse à l’usage. Une utilisation récurrente rendrait nécessaire d’énormes infrastructures logistiques : construction de ports de relâche saisonniers, de points de ravitaillement, de bases de secours pour les navires en détresse, nombreux dans cette région, de navires à coques renforcées, mais aussi élargissement des flottes de brise-glaces pour accompagner les navires, création de flottes aériennes d’avions de reconnaissance pour guider les bateaux parmi les méandres archipélagiques canadiens et les glaces, construction de stations météorologiques etc. Ces coûts structurels d’exploitation du PNO le rendent donc considérablement moins compétitif que la route actuelle qui passe par le détroit centraméricain, ce qui explique que les États-Unis n’aient pas favorisé l’établissement d’une route maritime polaire pour le moment. Par ailleurs, comme pour les investissements pétroliers, l’incertitude juridique qui règne sur le statut du PNO (eaux intérieures canadiennes ou internationales) freine les investisseurs potentiels et empêche la mise en valeur du passage. Comme eux, les assureurs, au vu de la dangerosité du PNO, refusent d’assurer les navires qui l’emprunteraient. Enfin, les Inuits du Nunavut et du Nunavik au Canada tentent d’obtenir l’instauration d’un droit de péage pour financer leurs communautés traditionnelles, ce qui achève de dégrader la compétitivité du PNO. Dernier argument qui montre que l’archipel canadien n’est pas encore un enjeu majeur : la fonte des glaces. En effet, les scientifiques estiment qu’en raison de l’inclinaison de la rotation de la Terre, la côte russe, et donc la RMN, fond bien plus rapidement que le PNO. Certains considèrent même que le centre du pôle Nord aura fondu avant les côtes canadiennes, ce qui rendrait obsolète le PNO avant même son ouverture. Les routes arctiques, bien qu’empruntables, ne seront donc pas à court terme des autoroutes du commerce international, et se limiteront plus probablement à un trafic de destination ou de cabotage. En réalité, les revendications américaines sur la liberté du PNO relèvent davantage de la crainte de former un précédent en laissant le Canada faire plutôt que d’un réel intérêt pour cette nouvelle route. Washington redoute ainsi que l’imposition de la vision souverainiste du Canada au nord-ouest (et celle de la Russie au nord-est) n’entraîne une fermeture mondiale des détroits stratégiques pour le commerce international dont dépend grandement l’économie américaine. Les États-Unis considèrent donc l’Alaska, mais également le PNO et la RMN comme trois points parmi une succession de détroits et de canaux clefs qui structurent l’« océan global » [12].

On voit donc qu’au sujet du pétrole comme pour le passage du Nord-Ouest, les intérêts américains en Arctique ne sont pas aussi certains que la vision d’une « course à l’Arctique » pourrait le laisser penser. Ainsi, à la question « L’Arctique est-il vraiment stratégique ? », M. Foucher répondait « Oui pour la Russie, pas pour les autres », ce qui montre bien la relativité des intérêts américains en Arctique et peut expliquer pourquoi le regain d’intérêt des États-Unis pour leur territoire arctique est si récent et si progressif.

En conclusion, on peut donc affirmer deux choses. D’abord, le désintérêt américain pour l’Arctique et l’Alaska a été réel, rapide et multidimensionnel à partir des années 1990. De multiples raisons, à la fois conjoncturelles et structurelles, peuvent expliquer l’effacement de Washington dans la région, et dont les conséquences se font encore sentir aujourd’hui. Ce désengagement massif souffre cependant une exception : la sécurité nationale, puisque les États-Unis, s’ils ont profondément remodelé leur défense arctique, ont conservé leur assise militaire au pôle Nord. Aussi important que ce retrait ait pu être, il n’est aujourd’hui plus d’actualité. Conscient d’un retard important dans une région qui évolue à un rythme soutenu en raison du changement climatique, les administrations Bush, Obama et Trump ont chacune tenté, à leur manière, de réimposer la voix américaine en Arctique, aussi bien militairement qu’économiquement et diplomatiquement. Si dans un premier temps, Washington a privilégié la coopération et a fait preuve de retenue, le raidissement des relations américano-russes et américano-chinoises sur d’autres dossiers géopolitiques a conduit à une montée des tensions en Arctique, qui est devenu une zone où la compétition redouble d’intensité et les confrontations dominent. Il faut cependant se garder de surinterpréter les tensions liées aux problématiques boréales, le pôle Nord n’étant bien souvent qu’une caisse de résonnance de tensions internationales nées ailleurs sur la planète, mais où la coopération, notamment technique, reste prégnante, ce qu’illustre parfaitement le « triptyque coopération-compétition-rivalité » mis en exergue par Th. Garcin. Encore aujourd’hui, les États-Unis paraissent quelque peu débordés, et peinent à faire émerger des initiatives. Bien souvent, la stratégie américaine en Arctique donne l’impression d’une réaction aux actions des autres puissances plutôt que d’une approche cohérente, structurée et propre à Washington, qui souffre clairement d’un manque de leadership dans la région. Cela peut s’expliquer par l’incapacité des États-Unis à distinguer des intérêts clairs pour eux dans l’espace arctique, et les deux grands enjeux que sont les ressources fossiles et le passage du Nord-Ouest connaissent des limites trop grandes, notamment liées aux coûts, pour inciter D. Trump à se donner les moyens pour réaliser les ambitions américaines énoncées pour l’Arctique.

Alexandre KUBALA


[1] 0,38°C par décennie depuis 1979, soit le double du réchauffement moyen sur l’ensemble du globe (J.-P. Pinot).

[2] GARCIN Thierry, « Où en est la course à l’Arctique ? », in Revue internationale et stratégique, vol. 95, n°3, 2014, pp. 139-147.

[3] CALMELS Christelle, « Les États-Unis et l’Arctique : de l’hibernation à l’engagement », in Politique étrangère, vol. Été, n°2, 2018, pp. 145-157.

[4] Ou Convention des Nations Unies sur le droit de la mer, signée en Jamaïque lors de la troisième conférence éponyme.

[5] Une zone économique exclusive (ZEE) est, d’après le droit de la mer, un espace maritime sur lequel un État côtier exerce des droits souverains en matière d’exploration et d’usage des ressources. Elle s’étend à partir de la ligne de base de l’État jusqu’à 200 milles marins (370,42 km) de ses côtes au maximum, au-delà il s’agit des eaux internationales.

[6]  North American Aerospace Defense Command

[7] « Dans la zone économique exclusive, l’État côtier a :

– des droits souverains aux fins d’exploration et d’exploitation, de conservation et de gestion des ressources naturelles, biologiques ou non biologiques, des fonds marins et de leur sous-sol, ainsi qu’en ce qui concerne d’autres activités tendant à l’exploration et à l’exploitation de la zone à des fins économiques, telles que la production d’énergie à partir de l’eau, des courants et des vents ;

– juridiction en ce qui concerne la mise en place et l’utilisation d’îles artificielles, d’installations et d’ouvrages, la recherche scientifique marine, la protection et la préservation du milieu marin. » (art. 56 de la CNUDM)

« La zone économique exclusive ne s’étend pas au-delà de 200 nautiques [soit 370,4 km] des lignes de base à partir desquelles est mesurée la largeur de la mer territoriale. » (art. 57 de la CNUDM)

[8] Le baril de Brent est ainsi passé de 29$ en février 2016 à 74$ en novembre 2018, avant de se maintenir constamment entre 52 et 64$ jusqu’à la brutale chute liée au Covid-19.

[9] KATHRIN Stephen, « Vers un réchauffement diplomatique ? », Pour la Science, n°508,‎ février 2020, pp. 66-73.

[10] IEA, Key World Energy Statistics, Paris, 2019.

[11] Selon l’US Energy Information Administration.

[12] VANNEY Jean-René, Géographie de l’océan global, Paris, Gordon & Breach, 2002.

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