La crise nord-coréenne : une pierre dans le jardin de la politique du désarmement

La crise nord-coréenne : une pierre dans le jardin de la politique du désarmement

Les événements récents survenus dans la péninsule coréenne ont de quoi inquiéter. Le dimanche 3 septembre 2017, les pays voisins de la Corée du Nord ont observé une secousse sismique élevée au nord de la frontière entre les deux Corées, de l’ordre de 6,4 sur l’échelle de Richter. Quelques heures après, la Corée du Nord a officiellement annoncé avoir réalisé un essai d’une bombe thermonucléaire, sensiblement plus puissante que les deux exemplaires employés au Japon en 1945. Cet essai peut être mis en relation avec les sept tests de missiles balistiques effectués par le régime nord-coréen depuis le début de l’année, démontrant que le régime Kim Jong-Un a franchi un seuil technologique décisif, rendant crédible son affirmation que la Corée du Nord est une puissance nucléaire. Les pays voisins de la Corée du Nord ont condamné l’attaque, mais ce sont les déclarations du président américain Donald Trump qui attisent les craintes ; ce dernier ayant fait du désarmement  nucléaire de la Corée du Nord un des dossiers forts du début de sa présidence.

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Une situation grave

Le risque d’un accrochage militaire entre la Corée du Nord et ses voisins, auxquels s’ajoutent les Etats-Unis, n’a jamais été aussi élevé depuis la destruction de la corvette sud-coréenne Cheonan par un sous-marin nord-coréen en mars 2010. La gravité de ce risque peut s’expliquer par le besoin de reconnaissance des deux principaux acteurs de ce dossier. Kim Jong-Un, décrit comme un jeune jouvenceau téléguidé par les apparatchiks du régime lors de son arrivée au pouvoir en 2011, a montré une détermination inébranlable pour l’acquisition de l’arme nucléaire. Quelques mois après son arrivée au pouvoir, la Corée du Nord a procédé à une révision de sa Constitution, en y affirmant publiquement son statut de puissance nucléaire. Pour le régime nord-coréen, dont  le P.I.B. est estimé à une trentaine de milliards d’euros (soit moins que le seul budget français de la défense), l’arme nucléaire représente une sorte d’ « assurance-vie » du régime, le mettant à l’abri d’une chute similaire à celle de Saddam Hussein. L’arme nucléaire serait également l’outil permettant à la Corée du Nord d’être sur un pied d’égalité vis-à-vis des Etats-Unis, mais également de ses puissants voisins, Chine en tête. En ce sens, elle s’inscrit dans la même « stratégie du faible au fort » que celle du Général de Gaulle ; une superpuissance ne s’attaquerait pas à une puissance moyenne ou faible si cette dernière possédait l’arme nucléaire. Ce besoin de reconnaissance du leader nord-coréen couplé à un sentiment d’être assiégé par ses adversaires a conduit la Corée du Nord à ce qu’elle est aujourd’hui : un État doté de l’arme nucléaire. Toutefois, il reste à savoir si la Corée du Nord a les moyens techniques de miniaturiser une arme pour qu’elle puisse embarquer dans un missile. La capacité des missiles nord-coréens à pouvoir atteindre le continent américain demeure également sujette à caution.

De l’autre côté de l’échiquier, la problématique est similaire. Bien qu’à la tête de la première puissance militaire et économique au monde, le pouvoir du président américain n’a jamais été aussi affaibli qu’aujourd’hui. De l’enquête visant à déterminer si le Président Trump a pu bénéficier d’un soutien extérieur pour sa campagne à l’indignation suscitée par sa réaction  à l’attaque de Charlottesville, l’exécutif américain est empêtré dans toute une série d’affaires affectant son leadership. Ainsi, le Président est de plus en plus coupé des principaux élus du Parti Républicain, choqués ou déçus par le magnat de l’immobilier non familier des codes politiques de Washington. Et même si sa base électorale ne faiblit pas, le mécontentement croît au sein de la population américaine ; un sondage daté du 6 août dernier ne donnait à Donald Trump que 33 % d’opinions favorables. Dès lors, la tentation de relancer sa présidence en montrant une fermeté sur le plan de la politique extérieure est grande pour Donald Trump. Homme de médias, ce dernier sait mieux que quiconque que s’affirmer comme un leader fort et ferme pourrait rassurer les Américains. À ce titre, la politique extérieure constitue le meilleur terrain pour la construction de cette image de fermeté, étant donné l’engourdissement actuel de la politique intérieure américaine, tant au Congrès qu’au sein de l’Administration.

Ce besoin de reconnaissance de la part des deux acteurs clés du différend actuel est problématique, car il accroît le facteur de risque de conflit en Asie du nord-est. L’Histoire est pourtant riche d’enseignements pouvant être appliqués à la situation actuelle en Corée. C’est pour laver l’affront infligé à l’Allemagne par le « diktat » de Versailles qu’Adolf Hitler a entrepris une politique extérieure agressive afin de redonner à l’Allemagne un statut de puissance, au point de déclencher la Seconde Guerre Mondiale. L’Italie fasciste de l’époque s’est notamment alliée à l’Allemagne nazie dans le but d’acquérir un statut de puissance, qui avait été rudement mis à mal par l’échec des revendications territoriales italiennes dans les Balkans au sortir de la Première Guerre Mondiale, ainsi que par la défaite cuisante d’Adoua en 1896 face aux Ethiopiens. Frustré de voir le tonnage de sa marine limité par le Traité de Washington de 1922, le Japon considéra que son statut de puissance avait été suffisamment écorné pour justifier une opération de bombardement sur la base navale de Pearl Harbor. Ces précédents historiques peuvent démontrer que des gouvernements assoiffés de reconnaissance, tant auprès de leurs pairs étrangers et que de leurs populations, peuvent conduire au conflit.

Dès lors, la perspective d’un dialogue entre les Etats-Unis et la Corée du Nord semble s’éloigner de jours en jours. Aucun des deux dirigeants ne semble prêt à faire les concessions nécessaires à la tenue d’un dialogue. Les Etats-Unis ont défini comme préalable à toute discussion le désarmement nucléaire de la Corée du Nord. À l’inverse, Pyongyang fait de sa reconnaissance comme État détenteur de l’arme nucléaire ainsi que l’arrêt des manœuvres militaires conjointes entre Corée du Sud et les Etats-Unis les deux conditions sine qua non de tout dialogue bilatéral.

 

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Deux graffitis de l’Australien Lush Sux à Vienne. Ils représentent le président américain Donald Trump et le président nord-coréen Kim Jong-un, échangeant leurs coiffures. ©Bwag/Wikimedia

Cette tension ne s’est pas démentie lors de la soixante-douzième session de l’Assemblée Générale des Nations Unies du 19 septembre dernier. Habituellement le cadre de déclarations policées et consensuelles, plusieurs déclarations faisant état de menaces militaires directes ont été émises à la tribune. Le Président américain a menacé de « détruire totalement » la Corée du Nord si cette dernière continuait de menacer les États-Unis et leurs alliés. Le ministre nord-coréen des Affaires Étrangères Ri Yong-Ho a énoncé le caractère « inévitable » d’un envoi de missiles balistiques sur le territoire des États-Unis. Au même moment, les forces armées américaines conduisaient une série d’opérations de « réassurance » auprès de la Corée du Sud, impliquant la participation de bombardiers stratégiques américains. La Corée du Nord riposta en déclarant qu’elle « envisageait » de conduire un essai nucléaire dans l’océan Pacifique.

La quête d’une sortie de crise

Toutefois, les positions extrêmes énoncées tant par la Corée du Nord que par les États-Unis ont été largement critiquées. Le président sud-coréen Moon Jae-In appelait ce jeudi 20 septembre à une baisse des tensions afin d’éviter un « affrontement militaire accidentel ». Le lendemain, le ministre chinois des Affaires Étrangères Wang Yi rappelait que la Chine partageait pleinement « l’objectif de dénucléariser la péninsule par le dialogue », emboîtant le pas à la Russie appelant les États-Unis et la Corée du Nord à la « retenue ». Ces déclarations peuvent laisser à penser qu’une issue à la crise par le dialogue n’est pas totalement écartée. Le Secrétaire américain à la Défense James Mattis, ancien général des Marines, a ainsi rappelé le 30 août dernier qu’un règlement diplomatique à la crise « ne sera jamais exclu », contredisant ainsi son propre Président. Surtout, les Etats-Unis et la Corée du Nord ne sont pas les seuls à décider de l’issue du conflit qui les oppose. D’autres acteurs significatifs sont à prendre en compte dans l’équation de la sortie de crise.

Hormis les Etats-Unis, deux États également dotés de l’arme nucléaire sont parties prenantes dans la séquence nord-coréenne avec bien entendu la Chine, qui se situe en première ligne. Cette dernière jouissait avant l’arrivée de Kim Jong-Un au pouvoir d’une influence significative auprès du régime nord-coréen. Depuis, les relations se sont envenimées. La Chine reproche à la Corée du Nord un comportement excessif, pouvant nuire à la stabilité tant recherchée par Pékin. La Chine ne veut pas avoir la présence de soldats américains directement à ses frontières. Cela accentuerait la pression que Pékin subit déjà dans son environnement proche. En effet, l’accès au grand large de Pékin est obstrué par plusieurs « chaînes d’îles », telles que le Japon, les Philippines ou Taiwan. Tous ces États sont de près ou de loin proches des Etats-Unis, avec lesquels ces pays entretiennent d’étroites relations bilatérales dans les domaines de la défense et de la politique étrangère. Même si les Philippines ont semblé pendant un temps tourner le dos aux Etats-Unis, les impératifs de la lutte contre l’Organisation de l’Etat islamique ont rapproché le président philippin Duterte des Etats-Unis. En effet, l’actuel locataire de la Maison Blanche n’est plus si opposé à la politique répressive conduite aux Philippines que cela était le cas sous Barack Obama. Afin d’éviter un renforcement de l’angoisse de Pékin d’avoir son accès à la haute mer obstrué par les Etats-Unis et leurs alliés, Pékin se doit d’éviter la chute du régime nord-coréen, ce qui nécessite une retombée des tensions dans la péninsule coréenne. La Russie pourrait également accompagner les efforts de la Chine pour un début de dialogue entre la Corée du Nord et ses voisins. Cela pourrait donner à la politique étrangère du Kremlin un aspect plus pacificateur qu’il ne l’est aujourd’hui, à l’approche du deuxième anniversaire de l’intervention militaire russe en Syrie, afin de maintenir au pouvoir Bashar Al-Assad, sans oublier le conflit ukrainien qui perdure. En bref, les deux pays ont un intérêt à user de leur influence auprès du Kim Jong-Un afin de baisser les tensions. Car même si l’influence de Pékin a été fortement réduite à Pyongyang, cette dernière demeure sensiblement plus forte que celle de la Corée du Sud, du Japon ou des Etats-Unis.

De l’autre côté de l’échiquier, le Japon et la Corée du Sud se trouvent également en première ligne. Le survol de l’île d’Hokkaido par un missile nord-coréen le 29 août, auquel s’ajoute l’essai nucléaire du 3 septembre ont ravivé les craintes d’un conflit conventionnel au Japon. Seul État ayant subi le feu nucléaire, la perspective d’une guerre en Asie du Nord réveille les traumatismes de la Seconde Guerre mondiale pour la population japonaise. De plus, le gouvernement japonais craint qu’un effondrement du régime nord-coréen ne provoque un afflux massif de migrants sur l’archipel. Ces craintes sont également partagées par la Corée du Sud, à la différence près que cette dernière est directement menacée tant par le conflit militaire ou nucléaire que par ses conséquences. Les commentateurs rappellent souvent que Séoul n’est qu’à 40 km de la frontière avec la Corée du Nord, ce qui la place à portée de tir de l’artillerie nord-coréenne. Dès lors, et même si l’arme nucléaire n’est pas utilisée par Kim Jong-Un, l’armée nord-coréenne peut infliger des dommages considérables à la Corée du Sud. Sur le long-terme, une unification de la péninsule forcée par l’effondrement du régime du nord aurait un coût astronomique, puisqu’il s’agirait d’incorporer une population de vingt-cinq millions d’habitants dans une même unité politique. Concrètement, il faudrait combler les énormes écarts de développement actuels entre les deux pays, tout en procédant à la rééducation politique et sociale de deux populations élevées dans la haine de l’une envers l’autre. Pour toutes ces conséquences, le Japon et la Corée du Sud ne veulent pas d’une guerre avec la Corée du Nord. Dès lors, il serait possible pour Tokyo et Séoul d’essayer d’apaiser l’actuelle politique américaine envers le Nord.

La politique du désarmement affaiblie

Hormis le risque potentiel d’un conflit militaire d’envergure, la principale inquiétude émanant de la crise nord-coréenne concerne la politique actuelle de désarmement nucléaire et conventionnel. Cette dernière devient de moins en moins crédible. Le régime nord-coréen a démontré aux yeux du monde l’incapacité de la communauté internationale à mettre en œuvre une politique de désarmement satisfaisante aux yeux de toutes les parties prenantes. À chaque essai nucléaire ou balistique, la rhétorique reste la même. Tous les pays dénoncent une provocation, et tous appellent à un renforcement des sanctions. Certes, ces dernières sont nécessaires, mais elles ne le sont que si elles permettent un retour de toutes les parties à la table des négociations. Au fur et à mesure que la Corée du Nord accomplit ses progrès technologiques l’amenant vers un arsenal nucléaire crédible, il devient de plus en plus caduc de parler de « désarmement de la péninsule coréenne ». Surtout, cette inquiétude se perçoit du côté des États non dotés de l’arme nucléaire pour l’instant, mais qui y songent de plus en plus. En effet, si un « État voyou », pour reprendre les mots de Donald Trump, parvient à se doter de l’arme nucléaire, quelle serait la conduite de la communauté internationale si un État jouissant de bonnes relations avec les grandes puissances décidait d’acquérir l’arme nucléaire ? De nombreux débats ont éclos en Corée du Sud quant à la perspective de doter le pays de l’arme nucléaire, alors que le pays avait décidé en 1974 de s’interdire toute production d’armes nucléaires. Dans un éditorial daté du 10 août dernier, le Korea Herald affirmait que « le temps était venu d’évaluer les armes nucléaires ». La crise nord-coréenne a tellement atteint la politique globale de désarmement que même un État tel que le Japon, ayant « renoncé » officiellement à la guerre en 1946, a décidé de réinterpréter cette dernière clause en l’élargissant à la défense des pays amis sans que le territoire du Japon ne soit directement menacé. De telles évolutions ne sont pas sans conséquences pour la préservation de la sécurité collective. Le rapport de force redeviendrait alors la valeur cardinale des relations entre les États. Et ce en dépit d’une blague actuellement populaire dans la twittosphère ukrainienne après l’essai nucléaire du dimanche 3 septembre : « Better have one H-Bomb than ten Budapest memorandums ».

 

Louis OUVRY

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