Un mur à la frontière entre l’Autriche et la Slovénie : info ou intox ?
Fin octobre, de nombreux médias ont affirmé que l’Autriche allait construire un mur le long de sa frontière méridionale avec la Slovénie afin d’endiguer le flux continu de réfugiés.
Ces médias s’appuient sur une déclaration de la ministre autrichienne de l’Intérieur, Johanna Miki-Leitner, selon laquelle une barrière devrait être érigée au sud du pays pour contrer et contrôler l’arrivée massive de réfugiés transitant par la désormais célèbre « route des Balkans ». En outre, la ministre de l’Intérieur a reçu le soutien de son collègue et ministre de la Défense, Gerard Klug.
Sur la base de ces deux déclarations des ministres autrichiens, on a conclu que l’Autriche allait construire une barrière.
Les observateurs se sont alors empressés de dessiner un nouveau trait rouge aux frontières d’un pays de l’Union européenne. En effet, l’Europe méridionale et les Balkans se hérissent de barbelés et de barrières en tout genre à mesure que les centaines de milliers de réfugiés continuent à arriver depuis la Turquie via la Grèce. Les références au rideau de fer se sont multipliées déplorant que, 26 ans après la chute du mur de Berlin, des murs soient de nouveau érigés en Europe.
Bien qu’il ne s’agisse aucunement d’une nouvelle Guerre Froide, on admet que le seul fait de construire des murs et encore plus de rétablir des contrôles aux frontières comme l’ont fait entre autres l’Allemagne et la France, portent un coup dur au projet européen basé notamment sur la libre-circulation des personnes.
La résonance particulière des propos de la ministre Miki-Leitner en Europe se comprend par le fait que la construction d’une barrière entre l’Autriche et la Slovénie constituerait un précédent lourd de conséquences. En effet, même si la Hongrie a construit une barrière avec la Serbie, cette dernière n’est pas membre de l’Union. En revanche, la Slovénie est à la fois membre de l’Union et de l’espace Schengen: une frontière austro-slovène fermée serait donc une première.
Pourtant, le 28 octobre dernier, le chancelier autrichien Werner Faymann s’est désolidarisé des propos de ses ministres en faisant une déclaration commune avec le président de la Commission européenne, Jean-Claude Juncker, déclarant que « Nous ne croyons pas que le problème actuel des réfugiés, la crise des réfugiés qui concerne tout le monde en Europe, puisse être résolu par la construction de barrières ou de murs. ».
On peut donc dire que, non, l’Autriche n’envisage pas à l’heure actuelle de construire un mur à sa frontière avec la Slovénie. Mais ce désaveu clair de la part du chef de gouvernement autrichien n’a pas rencontré la même attention de la part des médias européens que les déclarations précédentes de ses ministres.
Alors, ne s’agirait-il que d’un simple épisode de cacophonie ministérielle comme on en trouve souvent dans les gouvernements de coalition ?
Pas si simple, car cet épisode contient des enseignements sur les situations politiques des pays exposés à une arrivée massive et continue de réfugiés sur leur territoire.
Revenons d’abord sur la composition du gouvernement autrichien. Werner Faymann est le Bundeskanzler (Chancelier fédéral) de la République d’Autriche depuis 2008, date à laquelle il prend la tête du SPÖ (Sozialdemokratische Partei Österreichs, Parti social-démocrate d’Autriche). Il forme alors un gouvernement de coalition avec l’autre grand parti traditionnel autrichien, le parti chrétien-démocrate de l’ÖVP (Österreichische Volkspartei). En 2013, cette Große Koalition rouge-noire (les couleurs du SPÖ et de l’ÖVP), si caractéristique des pays germaniques, est reconduite pour un nouveau mandat, c’est le gouvernement Faymann II.
L’épisode d’une communication contradictoire autour de ce projet de mur avec la Slovénie relèverait donc des dissensions internes à la coalition. Toutefois, on ne peut établir une dichotomie claire entre un ÖVP partisan d’une ligne dure (et donc de l’érection d’un mur au sud) et un SPÖ favorable à une politique d’accueil (sans mur au sud). En effet, le ministre de la Défense, Gerard Klug, est membre du parti social-démocrate et il a pourtant soutenu sa collègue de l’Intérieur.
La question de la politique d’asile à adopter est donc sujette à des débats à l’intérieur des partis formant la coalition gouvernementale. L’ÖVP se distingue en insistant sur le besoin d’introduire une dimension répressive plus importante dans le contrôle des flux migratoires. De son côté, le SPÖ, bien que globalement tenant d’une ligne de compromis, connaît quelques voix discordantes celles-ci se voulant pragmatiques, elles appellent à mieux contrôler les flux migratoires quitte à construire un mur allant à l’encontre des principes fondateurs du projet européen.
Les propos des ministres Miki-Leitner et Klug se comprennent également au regard des résultats du FPÖ lors des dernières élections municipales et régionales en Autriche et surtout par la place prépondérante de ce parti dans la vie politique autrichienne. Le FPÖ (Freiheitliche Partei Österreichs, Parti de la Liberté d’Autriche) est le troisième parti d’Autriche, un parti d’extrême-droite qualifié de populiste et qui préfigure à bien des égards la trajectoire prise par d’autres partis d’extrême-droite européens comme le PVV en Hollande ou encore le FN en France. Le FPÖ a participé à des gouvernements de coalition avec l’ÖVP (gouvernements Schüssel I et II ; 2000-2002 ; 2003-2005), il constitue donc un acteur politique potentiel pour le parti conservateur. Autre spécificité autrichienne, le SPÖ a déjà fait des alliances au niveau local avec le FPÖ. L’opposition à l’immigration étant un thème de prédilection du parti populiste, la situation actuelle d’afflux massif de demandeurs d’asile en Autriche et d’épuisement des capacités d’accueil du pays apporte de l’eau au moulin du FPÖ.
Ce sont surtout les résultats obtenus par le FPÖ dans le Land de Haute-Autriche, fin septembre, où il double ses scores par rapport aux dernières élections, qui provoquent des inquiétudes au sein des états-majors des partis de la coalition. Plus encore, le score d’Heinz Christian-Strache, le leader du parti, aux municipales de « Vienne la rouge », où il obtient la seconde place avec un score historique de 32% des suffrages, souligne cette tendance globale et persistante d’une montée du FPÖ.
Toutefois, comprendre les propos de Miki-Leitner et Klug comme une simple manoeuvre politicienne pour contrer la montée du FPÖ ne permet pas de saisir tous les enjeux de ces déclarations.
Il existe un autre niveau d’analyse, européen cette fois-ci, qui pourrait expliquer la raison de ces propos. Lorsque la Hongrie ou encore la Slovénie ont érigé des barrières, elles l’ont fait de manière unilatérale et, dans le cas hongrois, pour signifier leur rejet du principe de solidarité européenne dans la gestion des demandes d’asile. L’Autriche se distingue de son voisin magyar par une position en faveur d’une solution européenne pour faire face à la crise actuelle. Sauf que l’Autriche se trouve à la fois être une voie de passage vers l’Allemagne et une destination pour nombre de demandeurs d’asile, et le pays est clairement dépassé par la situation actuelle : plus d’un triplement des demandes d’asile en un an sans avoir un triplement des capacités d’accueil. Depuis le début de l’année 2015, soit bien avant les grandes vagues d’arrivée de septembre jusqu’à aujourd’hui, bien avant la médiatisation de la photo du corps échoué d’Aylan, l’Autriche avait lancé des appels à ses partenaires européens pour prendre la mesure de la situation. Face au désintérêt manifeste de ses homologues européens, mais aussi dans un souci de trouver des solutions à court-terme -et paradoxalement égoïstes-, l’Autriche a finalement pris des mesures unilatérales. Un exemple fut le « transfert » de nuit, sans en avertir les autorités concernées, de demandeurs d’asile vers la frontière allemande. Des observateurs ont avancé le fait que ces mesures étaient une réponse à la décision tout aussi unilatérale de Berlin de réintroduire ses contrôles aux frontières, notamment avec l’Autriche, une telle mesure ayant été mal acceptée à Vienne.
On peut supposer que les propos de Miki-Leitner aient été un moyen de brandir la menace des mesures unilatérales afin d’attirer l’attention des États-membres de l’UE et obtenir des avancées concrètes. Dans cette perspective, il ne s’agirait que d’une technique assez répandue dans les gouvernements européens, celle du « ballon d’essai » qui consiste à laisser un ministre exprimer une opinion sans engager l’ensemble du gouvernement afin d’observer les réactions et évaluer la possibilité de mettre en oeuvre une telle proposition.
Cet imbroglio autour d’une hypothétique fermeture de la frontière austro-slovène ne serait donc pas innocent. Si aucun mur ne semble pour l’instant en construction au sud de l’Autriche, cette possibilité témoigne tout à la fois de l’échec patent de l’Union européenne à trouver une solution commune viable à la crise actuelle et du poids croissant des partis d’extrême-droite sur les options des partis traditionnels de droite comme de gauche.
Nicolas SAUVAIN
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