Dans la nuit du mardi 8 novembre au mercredi 9 novembre, les Etats-Unis ont choisi le candidat républicain Donald Trump pour être leur 45e président. Après trois débats ayant pourtant unanimement tourné en faveur d’Hillary Clinton au détriment de Trump, la première puissance mondiale a choisi d’aller vers ce qui n’est pas moins qu’une révolution en élisant un homme sans la moindre expérience politique. Cependant, si tous les regards sont tournés vers l’avenir du géant américain, reste à évaluer les politiques publiques du dernier candidat démocrate ayant atteint la Maison Blanche, à savoir Barack Obama. En 2008, Barack Obama, alors sénateur de l’Illinois, avait obtenu l’investiture démocrate, supplantant ainsi celle qu’il a soutenue avec ardeur durant les derniers mois, Hillary Clinton. Homme afro-américain, jeune et grand orateur, son profil politique ne divergeait de celui d’Hillary –plus âgée et ancienne première dame- que sur la forme. Statistiquement, selon le journaliste Gary Young, Obama aurait voté comme Clinton au Sénat quatre-vingt-dix pour cent du temps. Au-delà du symbole du “cool” que le président Obama a incarné pendant ses huit ans à la tête de la plus grande puissance mondiale, il reste un dirigeant, un commandeur des forces armées et un initiateur de politiques publiques qui méritent d’être évaluées. L’élection de Donald Trump ne peut se restreindre à un vote de sanction contre les démocrates et Barack Obama (qui conserve un taux de popularité de 54%), mais il est clair que le scepticisme face aux décisions de ce dernier -notamment en matière de politique étrangère- ont joué un rôle dans le résultat de cette nuit historique. A la suite d’une politique étrangère agressive et d’une invasion brutale du Moyen-Orient par George W. Bush, Barack Obama était attendu sur ses décisions dans cette région du monde, ayant vanté sa capacité à se faire vecteur de changement. Si la volonté de retrait des troupes d’Irak et d’Afghanistan s’annonçait comme un tournant dans la politique étrangère multipolaire des Etats-Unis, peut-on réellement dire que le Président Obama a été à la hauteur de l’image du pacifiste qu’il a tenté de véhiculer? Dans quel état Barack Obama laisse-t-il le monde?
Obama et son “mic drop”. Source : Tumblr
- Le rétablissement des relations diplomatiques avec Cuba, symbole avéré, conséquences différées?
Le 17 décembre 2014, Barack Obama et Raul Castro ont confirmé le rétablissement des relations diplomatiques entre leurs deux pays, rompues depuis 1961. Il y a plus de 50 ans, le gouvernement américain avait en effet tenté de débarquer plus d’un millier d’exilés cubains recrutés par la CIA afin de renverser le gouvernement de Fidel Castro qui affichait un intérêt croissant pour l’URSS. Cette opération, baptisée débarquement de la Baie des Cochons, s’était non seulement soldée par un échec mais avait également conduit à créer une atmosphère glaciale entre les deux pays, Castro ayant considéré le débarquement comme une trahison de Kennedy. Cette opération est une cause avérée de la crise des missiles de Cuba de 1962 et avait poussé Castro à s’afficher ouvertement comme pro-soviétique.
Ce nouveau rapprochement aurait été favorisé selon Ben Rhodes –conseiller national adjoint pour les Communications stratégiques et les Discours pour les Etats-Unis- par la rencontre de Raul Castro et de Barack Obama lors des funérailles de Nelson Mandela. Le président américain, conscient du soutien apporté par le peuple cubain dans la lutte anti-apartheid, avait alors fait un premier pas vers le président cubain en lui serrant la main lors de la cérémonie. Selon les déclarations, ce geste aurait donné le signal au président Castro d’une possible réouverture des relations entre Cuba et les Etats-Unis, alors dans une dynamique assumée de smart power. Tenu secret jusqu’aux annonces simultanées de la Havane et de Washington, ce rapprochement diplomatique – qualifié sans exagération d’historique – a suscité une large émotion et provoqué l’enthousiasme bien au-delà du continent américain. “Todos somos americanos” a d’ailleurs rappelé le président Obama à la fin de son discours.
Cependant, la question se pose des réalisations concrètes mises en place à la suite de cette réconciliation médiatique. Si la famille Obama pourra se targuer d’une belle photo de famille sur le sol cubain en mars 2016, quels ont été les véritables bénéfices pour les populations cubaines et étasuniennes?
De toute évidence, l’embargo était le premier obstacle majeur à surmonter afin d’entériner cette pacification. Barack Obama a d’ailleurs reconnu lui-même que cet embargo n’avait pas été efficace. Le but à l’époque était de fragiliser le régime mis en place après la révolution de 1959 en coupant l’accès au marché étasunien, premier débouché économique pour les Cubains. Changement “notable” -quoiqu’une fois de plus hautement symbolique- la résolution du 26 octobre 2016 présentée à l’assemblée générale de l’Organisation des Nations Unies et ayant pour objet la levée de l’embargo sur Cuba a vu les Etats-Unis s’abstenir lors du vote. Cette résolution est votée chaque année depuis 1992 et n’avait jamais donné lieu à autre chose qu’un vote “contre” de la part du géant américain. Cependant, l’aval du congrès est une condition sine qua non pour l’allègement des sanctions imposées par l’embargo. Or, cet aval n’a pas été recueilli par l’administration Obama, notamment du fait de la volonté inconditionnelle de Paul Ryan (leader républicain au Congrès) de maintenir cet embargo. Si les cigares et le rhum cubains sont plus facilement accessibles sur le marché américain, si les touristes étasuniens peuvent plus facilement aller visiter la Havane, l’impact économique sur la population cubaine est faible et ne satisfait pas cette dernière. Les conditions de travail sont toujours largement dictées par le régime, le PIB n’a connu une croissance que de 1,3% en 2015 et les libertés continuent à faire défaut sur le sol de l’État insulaire. Malgré la réouverture des deux ambassades et les quelques gestes symboliques qui contribuent à écrire le nom de Barack Obama dans l’histoire des relations diplomatiques entre les deux Etats, les effets de ce rapprochement restent attendus.
- Le bourbier du Moyen-Orient, quand le recul fait s’enfoncer les Etats-Unis
En 2012, Barack Obama annonçait que la guerre en Afghanistan serait terminée en 2014. En 2014, donc, il déclarait à la presse : “Today, American forces no longer patrol Afghan villages or valleys. Our troops are not engaged in major ground combat against the Taliban. Those missions now belong to Afghans, who are fully responsible for securing their country.” (Aujourd’hui, les forces américaines ne patrouillent plus dans les villages ou les vallées afghans. Nos troupes ne sont pas impliquées dans les batailles majeures contre les Talibans sur le terrain. Ces missions sont maintenant celles des Afghans, qui sont entièrement responsables de la sécurisation de leur pays). Obama choisissait alors de tirer les leçons des erreurs du passé, en ne reproduisant pas le processus de “regime change” (remplacement d’un régime par un autre, objectif mené par les Etats-Unis à plusieurs reprises par un soutien essentiellement militaire, dirigé par la CIA) comme en Libye et en Syrie. Dans ces deux derniers cas, l’erreur principale avait été d’aider à combattre et à mettre fin au régime en place sans pour autant fournir tant les soutiens économiques qu’humains nécessaires à la reconstruction d’une administration d’Etat forte et efficace. Dans la même logique que celle de Robert Gates, secrétaire américain de la défense de 2009 à 2011, le président choisissait la prudence avec une question en tête : “Shouldn’t we finish up the two wars we have before we look for another?” (Ne devrions-nous pas en finir avec les deux guerres que nous avons déjà avant de nous intéresser à une autre?) La situation en ayant découlé est celle qu’on connaît : un refus réitéré du président américain de s’engager frontalement dans le conflit syrien. En ce qui concerne l’Afghanistan, le président Obama a créé la surprise en annonçant lors de l’été 2016 qu’il conserverait des forces américaines sur le sol afghan, à hauteur de 8 400 soldats, du fait de la situation sécuritaire précaire et du maintien de la menace constituée par les Talibans.
D’une certaine façon, Obama déçoit. Il déçoit les familles qui s’attendaient à voir les combattants rentrer chez eux dès 2014, il déçoit la communauté internationale également. François Hollande se sent probablement toujours trahi par le volte-face du président américain, qui lui avait promis un soutien pour agir en Syrie après les attaques chimiques à Damas en 2015, avant de décider de reporter les frappes en demandant au préalable l’avis du Congrès au motif qu’il: “N’y a pas de coalition internationale pour une intervention en Syrie, pas de majorité au Conseil de sécurité, pas de soutien dans l’opinion, il faut au moins que j’ai l’aval du Congrès, car je ne suis pas George W. Bush” (voir Le Monde “L’été où la France a presque fait la guerre en Syrie (3/3)”). Se pose ici la question du lien entre ce retournement de situation et les alliances entretenues entre le régime syrien et Téhéran. La révélation de négociations secrètes pour un accord sur le nucléaire iranien remet en cause la volonté désintéressée d’Obama de ne pas refaire les erreurs de son prédécesseur. L’hypothèse d’une accalmie américaine sur le dossier syrien visant à limiter les risques d’un retrait de l’Iran des négociations n’est en effet pas improbable.
- Un accord avec l’Iran, seulement sur le papier ?
Autre événement marquant du second mandat du Président Obama en matière de politique étrangère, le rapprochement historique avec l’Iran, après de longues années de rupture du dialogue diplomatique.
A la suite de la révolution iranienne de 1979, mais surtout de la prise d’otage à l’ambassade américaine de Téhéran par des étudiants iraniens, soutenus par le régime, les États-Unis, alors dirigés par Jimmy Carter décident de rompre toute relation diplomatique avec la République islamique d’Iran. Les Américains imposent de lourdes sanctions économiques à l’Iran (gel d’avoirs, embargo sur le pétrole, interdiction de visas pour les ressortissants iraniens, blocage sur les exports en armement). Au tournant du millénaire, les relations ne s’améliorent guère, et dans son discours sur l’État de l’Union, le 29 janvier 2002, George W. Bush parlera d’un Axe du Mal – Axis of Evil – pour désigner la Corée du Nord, l’Irak, mais aussi l’Iran. Il accuse ces pays de soutenir et de financer le terrorisme, et de chercher à se doter de l’arme nucléaire. Les relations se dégradent davantage en 2007, suite au rapport publié par le National Intelligence Council, qui fait état d’un programme clandestin de développement de l’arme nucléaire en Iran en 2003, en violation du Traité de Non-Prolifération des Armes nucléaires (TNP). L’Iran se voit alors imposer de sévères sanctions, provoquant une dévaluation de la monnaie iranienne (le riyal) et une hausse importante de l’inflation.
Ce n’est qu’à partir de 2013 que les pourparlers reprennent réellement entre l’Iran et les États-Unis. Cela s’explique par l’élection en novembre d’un nouveau président relativement modéré, Hassan Rohani. Il ne cache pas sa volonté d’entretenir de meilleures relations avec les États-Unis, grâce à une politique « d’interaction constructive » afin d’alléger les sanctions imposées à l’Iran depuis des décennies. Alors que son principal allié, la Syrie, fait face à des tensions, il ambitionne de faire de l’Iran une grande puissance régionale, mais cela nécessite un redressement de l’économie du pays, faisant face à une inflation grandissante. Un accord préliminaire visant à empêcher le développement du nucléaire en Iran est signé cette même année, en échange de la réduction des sanctions imposées notamment par les États-Unis, l’ONU, et l’Europe.
C’est en 2014 que les négociations se concrétisent entre les cinq membres du Conseil de Sécurité de l’ONU (auxquels s’ajoute l’Allemagne) et l’Iran afin d’empêcher la République islamique de se doter de l’arme nucléaire. Dans son discours à l’American University de Washington, le Président Obama voit ces négociations comme étant la seule issue possible pour empêcher qu’une guerre n’éclate avec l’Iran : “Let’s not mince words: The choice we face is ultimately between diplomacy and some form of war — maybe not tomorrow, maybe not three months from now, but soon.” (“Ne mâchons pas nos mots : in fine, nous devrons choisir entre la diplomatie et une certaine forme de guerre – peut-être pas demain, peut-être pas dans trois mois, mais bientôt”).
Lire l’article du New York Times reprenant de manière simplifiée les enjeux de l’accord autour du nucléaire iranien (en anglais)
Pourtant, cet accord est sujet à la controverse, et Obama fait face à de nombreuses critiques.
Le camp républicain estime que cet accord constitue une « énorme fraude » du fait que de nombreux détails auraient été tenus secrets, afin d’être adopté par le Congrès.
Un document confidentiel a été divulgué aux journalistes de l’Associated Press, dans lequel il est question que l’Iran remplace ses vieilles centrifugeuses par des machines nettement plus modernes, et ce, au bout de 10 ans, et non au bout des 15 années dont il est question dans les documents rendus publics. Grâce à cela, l’Iran pourrait donc se doter des moyens nécessaires à la fabrication de bombes nucléaires, cinq ans avant l’expiration de l’accord. Cela soulève donc des questions sur la durée de l’accord. Certains estiment que, parce qu’il a fait de cet accord un des points les plus important de sa politique extérieure, Obama se trouve pieds et poings liés face à l’Iran. L’arrestation de marins américains par l’Iran en janvier 2016, le lancement de missiles contre le USS Truman en décembre 2015… Autant de provocations que l’administration d’Obama a tenté de tempérer, pour le bien de l’accord.
De plus, le Leader Suprême, l’Ayatollah Khamenei a déclaré en juin à la télévision nationale qu’il serait une erreur de faire confiance et de coopérer avec les États-Unis : « les Etats-Unis ne mettront jamais fin à leur rôle destructeur ». Si cet accord a effectivement permis d’atténuer la menace nucléaire iranienne, les contentieux entre les États-Unis et l’Iran sont donc loin d’être résolus.
L’élection du Républicain Donald Trump à la Présidence des États-Unis pourrait bien rebattre les cartes dans le domaine de la politique étrangère. S’il soutient le rapprochement avec Cuba, la situation avec l’Iran pourrait bien changer radicalement. Il s’est opposé fermement à l’accord, ainsi qu’à ses termes, et a exprimé son souhait de revenir dessus s’il était élu. Sa campagne a principalement tourné autour de l’idée “America First” (l’Amérique en premier), signifiant un possible retour à l’isolationnisme américain, en revenant sur bon nombre d’accords économiques et militaires signés sous Obama. Les désaccords et déceptions autour de la politique étrangère de Barack Obama, combinés à ceux en matière de politique interne (Obamacare, la régulation du port d’armes) expliquent en partie pourquoi ses discours en faveur d’Hillary Clinton n’ont pas réussi à maintenir le parti Démocrate à la présidence. Obama out.
Yseult de Ferrière
Apolline Ledain
Bibliographie :
The Atlantic – The Obama Doctrine
Le Monde – Le jour où Obama a laissé tomber Hollande
CNN – US changes vote on UN resolution against Cuba embargo
Le Monde – Barack Obama entame une visite historique à Cuba
The White House – Office of the Press secretary, Statement by the President on Afghanistan
CNN – Obama to leave more troops than planned in Afghanistan
The New York Times – Discours d’Obama à l’American University de Washington sur l’Accord avec l’Iran
The New York Times – Iran’s Supreme Leader on America : “Don’t trust, don’t cooperate”
Bloomberg – Iran holds Obama’s foreign policy legacy hostage
Associated Press Exclusive – Documents show less limits on Iran’s nuke work
The Washington Post – Hassan Rouhani : “time to engage”
National Intelligence Council – Iran : Nuclear intentions and capabilities
Council of Foreign Relations – 2016 Elections
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