Comment Federica Mogherini existe-t-elle sur la scène internationale ?
Le 6 décembre dernier, à la suite de la déclaration du Président américain Donald Trump sur la reconnaissance de Jérusalem comme capitale de l’État d’Israël, les réactions des chefs d’États et de gouvernement ont été nombreuses. L’une des premières a été celle de Federica Mogherini, la Haute représentante de l’Union européenne pour les affaires étrangères et la politique de sécurité. Cette dernière s’est positionnée contre la capitale unique et pour la solution à deux États avec Jérusalem comme capitale israélienne et palestinienne. Ce n’est pas la première fois que celle qui occupe le poste équivalant à un ministre des affaires étrangères de l’Union réagit aussi rapidement à l’actualité, rappelant à chaque fois la légitimité de l’Union européenne à s’exprimer sur des problématiques extra-européennes. Néanmoins la politique étrangère reste du domaine des high politics, domaine de souveraineté que les États n’ont pas intérêt à se déléguer à l’Union.
Ainsi, la Haute représentante a peu de marge de manœuvre entre le mandat qui lui est conféré dans le droit par la Politique Étrangère et de Sécurité Commune (PESC, Titre V du Traité sur l’Union européenne et Partie V du Traité sur le Fonctionnement de l’Union européenne), d’une part, et l’enjeu de conciliation de 28 États membres qui veulent garder une main souveraine sur leur politique étrangère, de l’autre.
Se positionner sur des dossiers clés plutôt que se disperser
La réaction de la Haute représentante à la déclaration de Trump ne doit pas être prise comme un excès d’orgueil ou l’expression d’une volonté absolue d’être entendue sur les sujets de politique internationale, mais bien comme un positionnement sur cette question pour en faire un des dossiers centraux dont la Haute Représentation est en charge. Depuis cette annonce, de nombreuses déclarations ont été faites par la Haute représentante et le Service de l’Action Extérieure de l’Union dans le but de redémarrer le processus de paix entre Israéliens et Palestiniens. Ce positionnement est marqué par des mots forts, comme l’affirmation non-négociable que Jérusalem doit être, selon Federica Mogherini, la capitale des deux États qui devraient ressortir des accords de paix, et par de nombreuses conférences organisées pour faire de l’Union européenne la puissance médiatrice qui réussit à relancer le processus de paix. Elle a rencontré publiquement, depuis le 7 décembre, plusieurs délégations israéliennes et palestiniennes, l’Office de secours et de travaux des Nations unies pour les réfugiés de Palestine dans le Proche-Orient (UNRWA) et Mahmoud Abbas, à Bruxelles.
Le fait de Federica Mogherini se concentre sur une poignée de dossiers sur un temps limité en public crée une réelle visibilité de son service. Cette stratégie est celle que Mogherini a adoptée dès son arrivée en novembre 2014 : en matière de politique extérieure, elle est très active sur le dossier iranien, sur la promotion de l’Union comme puissance spatiale, sur les relations avec les pays des Balkans dans un but d’intégration future, ou encore sur l’immigration illégale vers l’Union européenne.
Se montrer pour exister ?
Federica Mogherini est seulement la seconde Haute représentante, poste qui n’a été créé qu’en 2009, mais elle est pourtant devenue en quelques années une des figures les plus emblématiques de l’Union. Pour cela, elle et son service sont extrêmement actifs sur les réseaux sociaux. Entre tweets quotidiens, discours filmés, sous-titrés et systématiquement publiés sur les réseaux sociaux, et vidéos à visée pédagogique, la patte de Mogherini est sa forte exposition médiatique. Derrière cette forte médiatisation et l’utilisation de technologies principalement utilisées par des jeunes mais qui se démocratisent, son objectif est clairement affiché. Il s’agit de donner de la légitimité démocratique à l’action extérieure de l’Union. Devant les caméras, elle envoie un message à destination des Européens : l’Union européenne est une force diplomatique sur laquelle il faut compter à l’international. Elle cherche ainsi à montrer que son mandat est tributaire des citoyens, qui se saisiront du sujet en exerçant leur droit de vote aux prochaines élections européennes.
Déléguer pour se légitimer
En mai 2017, lors de son discours à la conférence sur l’état de l’Union organisée par l’Institut universitaire européen de Florence, la Haute représentante exprimait sa fierté vis-à-vis de la place grandissante de l’Union européenne sur la scène des relations internationales. Elle a à cette occasion reconnu le rôle des États membres de l’Union dans ce succès. En effet, si Federica Mogherini a été très active dans les relations de l’Union avec les autres organisations internationales, représentant en personne l’Union lors de rencontres et de conférences avec l’Organisation des Nations Unies (ONU), l’Association des Nations d’Asie du Sud-Est (ASEAN) ou encore l’Union Africaine. Cependant, elle a rappelé que son principal canal d’action était les États membres. Effectivement, la scène politique internationale demeure aujourd’hui largement interétatique, les traités internationaux et les grands évènement regroupant principalement des chefs d’États et de gouvernement. Consciente que son pouvoir lui est conféré par les États membres et que sa position lui offre moins de marge de manœuvre que celle d’un chef d’État, elle a généralisé l’usage de l’émissariat. Au lieu de se rendre elle-même à des conférences interétatiques où elle aurait eu peu de place dans la discussion, ou lors de visites de certains chefs d’États européens à l’étranger, elle donne à ces dirigeants une fonction d’émissaire de l’Union européenne. Cela permet au “chef d’État-émissaire” de représenter les intérêts de l’Union lors de ces événements en plus de son propre intérêt national, et à la représentation de l’Union de bénéficier de tout le poids de l’État en question sur la scène internationale. Selon elle, en plus de faire exister l’Union à l’extérieur de ses frontières de manière systématique en limitant les coût de la représentation, cela instaure un lien de confiance entre l’Union et ses membres, qui ont un retour sur le pouvoir qu’ils confèrent à l’institution et les pousse à plus de confiance en elle.
Depuis sa prise de fonction en 2014, la Haute représentante est devenue une des personnalités de l’Union européenne les plus actives sur la scène internationale. Avec peu de moyens, elle a réussi à faire exister l’Union sur de nombreux sujets de politique extérieure, ce qui lui a permis de faire avancer le dossier principal de son mandat, renforcer les relations avec les pays des Balkans pour que leur candidature à l’entrée dans l’Union soit inopposable. Son action lui permet aussi de revendiquer avec succès une légitimité à intervenir sur des sujets touchant aux plus hautes sphères de la souveraineté nationale des États membres : la politique étrangère. Moins d’un an et demi avant les prochaines élections européennes, qui signeront sans doute la fin de son mandat à la Commission européenne, la question reste de savoir si cet effort d’existence sur la scène internationale se traduira dans la participation des citoyens européens.
Rémy Gendraud
Bibliographie
European Union External Service’s website’s Frontpage
https://eeas.europa.eu/headquarters/headquarters-homepage_fr
« Our global partners ask for a strong EU » – Mogherini at State of the Union conference, European Union External Service’s website
European Union External Service’s website’s
Compte Twitter de Federica Mogherini
https://twitter.com/federicamog
Compte Twitter de l’European Union External Service
Compte Facebook de Federica Mogherini
https://www.facebook.com/f.mogherini/
Compte Facebook de l’European Union External Service
https://www.facebook.com/EuropeanExternalActionService/
Journal officiel de l’Union européenne, C 115, 09 mai 2008
http://eur-lex.europa.eu/legal-content/FR/ALL/?uri=OJ:C:2008:115:TOC
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