La crise politique en République Démocratique du Congo, dernier épisode d’une instabilité chronique
La crise politique en République Démocratique du Congo (RDC) a débuté en septembre 2016 avec des manifestations à Kinshasa faisant plusieurs morts. Il paraissait alors évident pour les milliers de manifestants hostiles à Joseph Kabila, président au pouvoir, que ce dernier allait enfreindre la Constitution en briguant un troisième mandat. Le 20 décembre, date de la fin officielle du mandat présidentiel, Kabila a effectivement annoncé le report sine die de l’élection présidentielle. Ce n’est que le 31 décembre, que les négociations entreprises pour régler cette crise politique ont abouti à un accord avec Kabila. Élaboré avec la médiation de l’Église catholique, des membres du gouvernement et de l’opposition, cet accord prévoit le retrait du Président et la tenue d’élections avant fin 2017.
Si ces élections ont lieu, elles permettront potentiellement la première transition politique par les urnes depuis l’indépendance du pays en 1960. Moise Katumbi s’est déjà déclaré candidat pour les élections présidentielles prévues en 2017. Cet homme politique populaire de l’opposition, fréquemment emprisonné pour son activisme, est à l’origine de la fondation de « Front citoyen 2016 ». Cette coalition formée en décembre 2016, qui rassemble l’opposition et la société civile congolaise, s’est engagée pour le respect du calendrier électoral.
Au-delà du problème de la tenue des élections, celui qui prendra la tête du pays sera confronté aux défis politique, humanitaire et économique que connaît aujourd’hui la RDC. La RDC est pourtant le deuxième pays le plus vaste d’Afrique, et l’un des plus richement doté en ressources naturelles. Le Congo abrite en effet 47% des réserves mondiales de cobalt, 30% des réserves de diamant, 10% du cuivre, en plus de quantités très importantes d’or, de manganèse et de coltan. Pourtant, parmi les 184 pays étudiés par le FMI, la RDC était en 2013 le deuxième pays ayant le PIB parité pouvoir d’achat/habitant le plus faible, et ses exportations sont inférieures à celle du Cambodge selon la Banque Mondiale (12 milliards de dollars contre 10 milliards). Cela s’explique par la très forte instabilité de la moitié Est du pays, due à des conflits qui durent depuis 20 ans. Cette instabilité est notamment provoquée par les voisins de la RDC à savoir l’Ouganda et surtout le Rwanda. Pourtant, à eux deux, ces pays ne représentent qu’un dixième de la superficie du Congo, moins de la moitié de sa population, et font eux-mêmes face à des groupes armés sur leur territoire. Il est donc naturel de s’interroger sur les causes de la déstabilisation de ce pays au potentiel immense par des pays voisins bien plus modestes en théorie, et ayant eux-mêmes des difficultés à imposer leur souveraineté sur l’ensemble de leur territoire. Ces causes sont à chercher d’une part dans un certain legs historique, et d’autre part dans un contexte d’instabilité profonde de la région des Grands Lacs.
La colonisation et les guerres du Congo
Le Congo obtient son indépendance de la Belgique en 1960, dont il a été une colonie à partir du Congrès de Berlin de 1885. Cette période de colonisation a eu une influence déterminante sur la situation actuelle du pays. La période suivant l’indépendance est déjà marquée par une forte instabilité, notamment du fait des velléités séparatistes, appuyées par la Belgique. La situation est en partie stabilisée en 1965, avec l’arrivée au pouvoir de Mobutu Sese Seko, qui gouverne le pays jusqu’en 1997. Mais même durant sa présidence, l’agitation est forte et il ne parvient à se maintenir au pouvoir que grâce à la coercition et à la division. « Ainsi, même les épisodes de paix apparente, notamment sous le régime de Mobutu au cours des années 1970 et 1980, ont été rendus possibles non pas grâce à la réussite d’un processus de paix, mais par une répression du mécontentement de la population » (Rapport de la Commission économique pour l’Afrique des Nations Unies, 2015).
En octobre 1996 éclate une rébellion à caractère ethnique au Kivu, dans l’Est du Congo. Un des facteurs déclenchants est la remise en question, par le gouvernement de la nationalité des Banyamulenge. Ce sont des Tutsis d’origine rwandaise vivant en majorité au Kivu. Leur rébellion se place rapidement sous le leadership de Laurent-Désiré Kabila. Ce dernier a été choisi par les puissants sponsors étrangers de la rébellion, au premier rang desquels le Rwanda et l’Ouganda. C’est le début de la Première guerre du Congo.
Ce soutien des voisins du Congo permet à Kabila d’obtenir une victoire militaire rapide sur Mobutu et de prendre le pouvoir en mai 1997.
Mais, alors que l’arrivée au pouvoir de Kabila se fit rapidement et sans effort majeur, sa propre disparition fut également rapide dès lors qu’il eût rompu ses alliances avec le Rwanda et l’Ouganda. En effet, Kabila est obligé de prendre ses distances vis-à-vis de ses anciens alliés, très gourmands en contreparties – notamment le Rwanda – et dont l’ingérence provoque l’hostilité de la population.
Ainsi, le Rwanda et l’Ouganda soutiennent une nouvelle rébellion qui éclate dès 1998 contre Kabila et qui déclenche la Deuxième guerre du Congo. Le régime de Kabila est alors secouru in extremis par les forces de l’Angola, de la Namibie et du Zimbabwe, faisant de ce conflit une « grande guerre africaine » selon Filip Ritjens (1). L’assassinat de Kabila en 2001 puis le couronnement de son fils, Joseph Kabila, n’ont pas mis fin à ces conflits.
Même si la RDC est officiellement en paix depuis les accords de Pretoria de 2003, le pays fait face à une instabilité structurelle et les combats continuent dans le Nord et l’Est du pays. De même, si elles ont depuis longtemps affirmé s’être définitivement retirées du pays, les puissances régionales conservent des troupes en RDC.
Le climat politique est de plus incertain après les élections de fin 2006 qui ont maintenu Joseph Kabila au pouvoir, puisque celui-ci cristallise encore l’opposition. L’agitation politique s’est aggravée après que les chefs d’Etats de la région ont accepté lors du sommet de Luanda d’octobre 2016 que la présidentielle soit reportée de cette année à 2018.
L’incapacité des différents cessez-le-feu et accords de paix à mettre fin aux guerres est révélatrice de problèmes profondément ancrés qui perpétuent les antagonismes entre les groupes, et les relations conflictuelles entre la République démocratique du Congo et ses différents pays voisins.
Les explications structurelles de ces conflits
Cette situation, parfois proche du failed state, s’explique en parti par le passé colonial de la RDC. Denis Cogneau (2) a en effet mis en évidence que la situation actuelle des États africains est grandement déterminée par la colonisation et la façon dont elle a été menée. Ce lien de cause à effet est particulièrement net en ce qui concerne la RDC, tout d’abord parce que la colonisation et les théories racistes sur lesquelles elle se fonde ont souvent fait naître ou exacerbé les tensions entre ethnies. Au Congo, cela s’est traduit par une fracture entre les Banyamulenge et les Banyarwanda, populations venues du Rwanda au XIXème siècle et proches des Tutsis, et des autres groupes ethniques vivant au Congo. Or, ce sont ces tensions qui font éclater les Première et Deuxième guerres du Congo. En effet, à la suite de la guerre civile et du génocide au Rwanda, de nouvelles populations Banyamulenge et Banyarwanda, en plus de celles vivant déjà sur le sol congolais, se sont réfugiées au Congo. Mobutu, jouant sur les antagonismes, en profite pour retirer la citoyenneté à ces populations, espérant que cela lui permette de regagner en popularité. Mais cela a fini par provoquer une révolte de ces ethnies qui a servi de prétexte à l’intervention rwandaise. Les mêmes prétextes sont utilisés lors de la Deuxième guerre du Congo, en 1998.
S’ajoute à cet aspect ethnique la tradition du pouvoir personnel illimité à l’origine de l’instabilité politique qui débouche sur des crises allant jusqu’aux épisodes de guerre de 1996 et 1998. Le principal facteur institutionnel, hérité de l’époque coloniale, à l’origine de cette instabilité est l’instauration d’un État centralisé en RDC, négligeant les autorités locales traditionnelles dont l’apport aurait pu être bénéfique. Cela, se double d’un manque de clarté concernant les pouvoirs des autorités locales en matière de propriété foncière, associé à un État faible et centralisé. La conséquence est donc un vide de pouvoir à l’échelle locale, propice à la l’instabilité politique et à l’accaparement des ressources par divers acteurs non-étatiques.
Du point de vue économique, l’administration coloniale avait établi un système d’exploitation des ressources nationales pour l’enrichissement personnel des dirigeants. Or, cette pratique qui s’auto-perpétue se poursuit après l’indépendance : le groupe au pouvoir, disposant de la force et de la richesse se maintient en place grâce à un réseau de clientélisme étendu et hiérarchisé soudé par la « politique du ventre » (3). Ainsi, Jean-François Bayart soutient qu’il existe une corrélation entre la détention de positions au sein de l’appareil d’État et l’acquisition de la richesse et il conclut : « l’État postcolonial représente de ce point de vue, une mutation historique des sociétés africaines, à l’échelle de la longue durée : jamais semble-t-il, les dominants n’étaient parvenus à s’y assurer une suprématie économique aussi nette par rapport à ses sujets ». Les ressources sont donc essentiellement utilisées pour satisfaire la minorité au pouvoir. Ainsi, à l’heure actuelle, les guerres restent associées à l’exploitation insuffisamment réglementée du secteur des ressources naturelles, devenu le terrain de concurrence entre différents acteurs qui cherchent à tirer profit du vide juridique et de l’insécurité.
Ces stratégies de captation des ressources, sous une forme pacifique ou violente, sont les conséquences de la structure même de l’économie de la RDC. Héritée de la “mise en valeur des colonies”, elle reste dominée par l’exportation de produits primaires à destination des pays industriels tels que le bois, les productions pétrolières et surtout minières. Ces ressources constituent le support d’enclaves entièrement dépendantes des marchés du Nord et favorisent de plus les pratiques prédatrices de la part des sociétés exploitantes et des pays voisins. La guerre en RDC est ainsi, depuis 1998, largement liée au pillage des ressources. En cause, un budget de l’État trop faible pour imposer sa souveraineté sur l’ensemble du territoire.
Mais les effets de la colonisation sont également pervers dans ce qu’ils ont provoqué comme réaction. En effet, lors de sa prise de pouvoir en 1965, Mobutu tente de se démarquer de l’emprise tant idéologique qu’économique de l’ancien colonisateur. Il décide ainsi la révision des toponymes congolais, renommant notamment son pays Zaïre. Mais surtout, il décide la nationalisation et l’expropriation des entreprises et des appareils de productions détenus par des Belges. Mais bien souvent, ces expropriations sont faites au profit des proches de Mobutu, ce qui ce qui renforce la concentration des richesses dans les mains d’une petite élite proche du pouvoir, et entraîne un effondrement de l’économie. Ainsi, entre 1965 et 1997, le PIB par habitant du Zaïre est divisé par trois (4).
Cette situation est aggravée par la perte du soutien des puissances occidentales à la fin de la Guerre Froide. En particulier, la suspension de l’aide publique au développement octroyée par les deux Grands a engendré une réduction drastique du budget de l’État. Par conséquent, le gouvernement payait et contrôlait mal l’armée, ce qui explique la faible résistance opposée aux rebelles lors de la Première guerre du Congo. De plus, Mobutu ne voulait pas donner à l’armée l’occasion de se rebeller, et laissa donc de la latitude aux unités spéciales et autres militaires pour s’autofinancer. ..
Les conflits en RDC, une situation intrinsèquement liée au contexte régional
La guerre civile au Rwanda, durant laquelle eu lieu le génocide des Tutsis par les Hutus, est en effet une des causes majeures des conflits en RDC. Lorsque les forces tutsis finissent par prendre le pouvoir au Rwanda, des dizaines de milliers de Hutus, parmi lesquels certains ont pris part au massacre des Tutsis, se réfugient au Zaïre. Or, les nouveaux maîtres du Rwanda ne comptent pas laisser s’échapper les génocidaires, d’autant que certains cherchent à préparer la reconquête du pouvoir en installant des bases arrières en RDC. Ainsi, la Première guerre du Congo commence par le « nettoyage » des camps de réfugiés de l’Est du Congo, où sont tués des centaines de Hutus, génocidaires ou non, par les forces rwandaises.
Le génocide a également indirectement permis au Rwanda de se lancer dans la guerre au Congo : une telle opération militaire violant clairement la souveraineté d’un autre État n’a été possible que grâce à la torpeur de la communauté internationale. Celle-ci est due à son sentiment de culpabilité du fait de son incapacité à empêcher le génocide des Tutsis, et la volonté de ne pas sembler se mettre du côté des génocidaires.
Cette volonté de se protéger contre des opposants armés œuvrant depuis le Congo explique le rôle du Rwanda et motive également l’intervention de l’Ouganda, du Burundi ainsi que de l’Angola, tous trois faisant face à des guérillas se servant du Congo comme refuge. De plus, le Burundi avait intérêt à prendre le contrôle de sa frontière avec le Congo puisque le pays était sous le coup d’un embargo depuis un récent coup d’État, et utilisait sa frontière poreuse avec le Congo pour le contourner. Le Congo est donc contaminé par l’instabilité de l’ensemble de la région des Grands Lacs.
L’instabilité est dans un sens totalement figée, notamment parce que sa persistance est souhaitée par de nombreux acteurs. En effet, le Rwanda et l’Ouganda notamment ont des intérêts économiques à ce que le conflit dure car il facilite les trafics de minerais à la frontière. Ainsi, dans l’est de la RDC, et plus particulièrement dans le Kivu, ont lieu des affrontements qui permettent au Rwanda de continuer à piller les richesses minières. Selon Stefaan Marysse, la valeur des diamants et du coltan pillés par le Rwanda a représenté jusqu’à 6% du PIB de ce pays (soit plus que le budget des forces armées, ce qui signifie que le Rwanda gagne plus d’argent qu’il n’en dépense). L’Ouganda vise plutôt le pétrole des côtes congolaises du Lac Albert. L’instabilité favorise aussi l’armée régulière de la RDC : en se maintenant dans des régions peu accessibles, les soldats en profitent pour se substituer à l’autorité légale, en établissant des droits de passage, en exploitant les ressources, en instaurant des taxes…
Le Congo est donc un pays qui n’arrive pas à faire respecter sa souveraineté, entravé par le poids de l’héritage historique et par l’instabilité régionale. La diminution progressive de l’intensité des conflits a certes permis d’ouvrir des perspectives encourageantes : hausse importante de la production minière, du PIB par habitant, des exportations… Mais, la situation est loin d’être stabilisée, comme le montre la crise politique dans laquelle le pays est plongé depuis la réélection contestée de Joseph Kabila en novembre 2011. Ainsi, en 2015 a eu lieu à Brisbane un congrès de l’Australian Conference Rally on Kongo, durant lequel les intervenants se sont exprimés sur la recherche d’une paix durable à l’horizon 2050…
Arthur BENNET et Elisa TAIWO
1. Filip Ritjens, La grande guerre africaine, instabilité, violence et déclin de l’Etat en Afrique centrale, Paris, Les Belles Lettres, 2012
2. Denis Cogneau, L’Afrique des inégalités : où conduit l’histoire, Paris, Presses de l’ENS, 2007
3. Jean-François Bayart, L’Etat en Afrique : la politique du ventre, Paris, Fayard, 1989
4. Banque Mondiale
Sources :
- Délimitation et démarcation des frontières en Afrique. Considérations générales et études de cas, Commission de l’Union Africaine, Département de Paix et Sécurité, Addis-Abeba, (septembre 2013), p.18-20
- « La dimension économique : la double économie », Revue de l’OCDE sur le développement 4/2003 (no 4) , p. 91-99
- Lendele Kola, Kamanda kimona-mbinga Joseph, « Nature et spécificité de la dollarisation de l’économie congolaise (RDC) », Mondes en développement 2/2005 (no130) , p. 41-62
- Bernard Lugan, L’Afrique réelle 3/2015 (n°63) « Le premier conflit mondial en Afrique de l’Ouest »
- Communiqué de presse de la Cour Internationale de Justice (CIJ) n° 2015/18 du 9 juillet 2015 : Activités armées sur le territoire du Congo (République démocratique du Congo c. Ouganda).
- Orru Jean-François, Pelon Rémi, Gentilhomme Philippe, « Le diamant dans la géopolitique africaine », Afrique contemporaine 1/2007 (n° 221) , p. 173-203
- Conflits en République Démocratique du Congo. Causes, Impacts et implications pour la région des Grands Lacs. Commission économique pour l’Afrique, Nations Unies, Addis-Abeba, Éthiopie, septembre 2015
- La grande guerre africaine, instabilité, violence et déclin de l’Etat en Afrique centrale, Reyntjens Filip, Paris, Les Belles Lettres, 2012
- L’Afrique des inégalités : où conduit l’histoire, Cogneau Denis, Editions rue d’Ulm, 2007
- Rapport final du groupe d’experts sur l’exploitation illégale des ressources naturelles et des autres formes de richesse en RDC, ONU, 2002
- « Regress and war : The case of the DRCongo », Marysse Stefaan, The European Journal of Development Research, 2003
- http://info.arte.tv/fr/republique-democratique-du-congo-les-massacres-continuent-au-nord-kivu consulté le 6/11/2016 à 19h34
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