Ressources énergétiques et rivalités sino-japonaises en Afrique

Ressources énergétiques et rivalités sino-japonaises en Afrique

Au sortir de la Guerre Froide, tandis que la communauté internationale se concentre sur les pays de l’ex-bloc soviétique, l’Asie commence à porter un regard plus attentif sur le continent africain. Le développement accéléré des économies asiatiques, couplé à une raréfaction des ressources énergétiques, oblige la Chine et le Japon à se tourner de plus en plus vers de nouveaux partenaires comme l’Afrique. Dans le cadre de notre étude, il faut entendre le terme d’« énergie » du point de vue de ses « sources primaires », c’est-à-dire l’aspect sous lequel la nature livre un potentiel énergétique brut, comme les hydrocarbures, l’uranium, ou encore la biomasse. Que représente l’Afrique dans la quête d’énergie des deux puissances ?

Si l’Afrique, par sa richesse en ressources énergétiques, est devenue un continent fortement convoité et le terrain où s’expriment les rivalités entre les puissances chinoise et japonaise, elle a également pris une place de taille dans les stratégies internationales des deux pays.

L’Afrique : une terre riche en ressources exploitées à travers deux stratégies d’implantation

Tandis que la pauvreté, la guerre, le terrorisme et la fragilité des institutions politiques sont autant d’obstacles à une mise en valeur efficace de l’énergie africaine, la Chine et le Japon se veulent être des contributeurs au développement du continent afin de bénéficier d’un accès privilégié aux énergies dont il regorge. La stratégie qu’ils adoptent pour s’y implanter diffère toutefois d’un acteur à l’autre.

Ressources africaines, convoitises chinoises et japonaises

Comprendre les relations entre Chine, Japon et Afrique demande d’aller au-delà d’un schéma binaire d’offre et de demande car chaque pays a une situation spécifique. Le Japon a une dépendance de l’ordre de 27 % à l’énergie nucléaire[1], mais ne détient aucune source d’uranium. Cela en fait le premier pays importateur d’uranium au monde. Ses ressources en pétrole et en gaz sont quant à elles très faibles. En 2012, le Japon est troisième importateur mondial de pétrole et premier en gaz. Après la crise de Fukushima, le Japon a tenté de se retourner vers le pétrole et le gaz, et de diversifier ses sources. La Chine, elle, produit des ressources énergétiques, mais ses besoins sans cesse croissants la rendent dépendante de l’extérieur. Au début du siècle, elle avait lancé la construction de vingt-six réacteurs. Cependant, en 2010 la quantité de pétrole importée dépassait celle produite. L’importation de gaz est significative, 29% des utilisations en 2015. La diversité des situations africaines est représentée dans une carte représentant producteurs et intensité de leur production.

Crédits carte : Agathe Cerin et Nada Guerrier

 

L’énergie africaine est de qualité, peu chère, et facile d’accès : les Africains l’utilisent peu et sont ouverts aux investissements étrangers. En outre, des chercheurs prêtent à l’Afrique des perspectives de découverte importantes. Cela explique l’attractivité pour des pays aux besoins croissants comme la Chine et le Japon.

 

Deux stratégies d’accès aux énergies

 

Afin d’avoir accès aux énergies africaines, ces derniers mettent en œuvre une politique d’aide publique au développement (APD) en Afrique extrêmement généreuse à travers des processus comme la Conférence internationale de Tokyo sur le développement de l’Afrique (Tokyo International Conference on African Development, TICAD) ou le Forum sur la coopération sino-africaine (Forum on China-Africa Cooperation, FOCAC). L’aide financière asiatique octroyée pendant ces sommets alimente la confiance des dirigeants africains et constitue un levier permettant au Japon et à la Chine de s’assurer un accès aux ressources énergétiques et aux marchés locaux. C’est notamment la Chine, dont le concept central de la politique extérieure est celui d’un partenariat « gagnant-gagnant », qui entend bénéficier d’un retour des APD. En outre, contrairement à Tokyo, Pékin s’efforce de pénétrer directement le marché énergétique local grâce à de nombreux investissements (IDE) et aux délocalisations d’entreprises qui envoient des employés chinois afin d’exploiter les énergies africaines. La mine d’uranium de Husab en Namibie (quatrième plus grand gisement d’uranium au monde), que le géant du nucléaire chinois China General Nuclear contrôle à 90 %, en est une des nombreuses illustrations[2].

L’Afrique : un terrain où s’expriment les rivalités entre les deux puissances

Nous avons donc deux puissances aux ambitions similaires sur un terrain clairement défini. Malgré des stratégies parfois différentes, on ne peut s’étonner de voir se former des situations de cohabitation et parfois de face à face entre les deux pays sur le terrain africain.

Des projets communs sources de rivalités

Chinois et Japonais dirigent tous deux leurs investissements vers les pays riches en énergie, ce qui peut mener à des situations de cohabitation, voire de rivalités. Prenons l’exemple de l’Algérie, grand producteur de pétrole. Chine et Japon ont tenté d’en pénétrer le marché en fournissant des services. En 2006, l’Algérie a attribué à deux consortiums, l’un chinois, l’autre japonais, le projet de construction d’une grande autoroute appelée « autoroute Est-Ouest ». Chaque consortium a hérité de son propre tronçon. Selon S. Michel et M. Beuret[3] la construction aurait été l’occasion d’une rivalité pour la qualité. Un autre exemple serait celui du Niger, riche en uranium. Le Japon y est présent depuis un accord avec AREVA et une société nigérienne en 1974. La Chine depuis 2007 en collaboration avec le Niger. Il est intéressant d’étudier le moment de renouvellement des contrats : en janvier 2007, juste avant l’obtention par la Chine de la mine d’Azelik, le pays avait fait un don de 500 000 tonnes de maïs au gouvernement nigérien. Le même jour, une délégation japonaise était en visite officielle au Ministère nigérien de l’énergie. Cette proximité entre Chine et Japon n’a jamais mené à un conflit, mais n’en est pas moins une preuve de concurrence forte entre les deux états.

Des positions stratégiques qui se font face : le cas de Djibouti

A travers l’exemple des bases aéronavales chinoises et japonaises installées à Djibouti, nous constatons que les ambitions des deux puissances se confrontent parfois de manière directe sur le terrain africain. C’est à Djibouti, carrefour stratégique permettant l’accès à la mer Rouge et à l’Océan Indien et par où transite chaque année 10 % du transport pétrolier par voie maritime, que les troupes japonaises (les « Forces d’autodéfense », FAD), et chinoises ont ouvert leur première base hors de leur frontière. Le choix du lieu n’est pas anodin étant donné qu’il permet la surveillance d’une zone cruciale pour l’approvisionnement énergétique des deux puissances. En effet, c’est autour du détroit de Bad el Mandeb que transitent près de neuf dixièmes des importations énergétiques de l’archipel et Tokyo est soucieux de lutter contre la piraterie qui sévit dans la région. De même, notons que grâce à l’ouverture de sa base en août 2017, Pékin peut, d’une part, sécuriser l’accès aux infrastructures (oléoduc et ligne de chemin de fer) construites à Djibouti et permettant l’acheminement des énergies depuis l’intérieur du continent et, d’autre part, assurer le bon développement du projet des nouvelles routes de la soie maritimes qui passe par cette région.

Transposition des rivalités de puissance entre Chine et Japon en Afrique autour des énergies

Ces deux puissances témoignent donc d’ambitions sur le terrain africain qui débouchent parfois sur des rivalités. Elles n’hésitent pas à appuyer leurs positions sur un relai diplomatique soutenu, ce qui témoigne d’ambitions dépassant le terrain africain et révèle une stratégie de quête énergétique plus large.

La diplomatie comme soutien à l’exploitation de l’énergie africaine

Les relations diplomatiques entre Chine, Japon et pays africains témoignent des quêtes d’énergie des deux puissances. Nous avons évoqué le TICAD, existant depuis 1993, et le FOCAC, équivalent sino-africain qui existe depuis 2000, des sommets visant à réaffirmer et approfondir les collaborations entre les pays. Lorsqu’Oussama Ben Laden se réfugie au Soudan en 1991, le pays est critiqué par la communauté internationale, mais défendu au Conseil de Sécurité par la Chine. Après le début de la guerre du Darfour en 2003, le président soudanais s’oppose au déploiement de troupes onusiennes, ce que Hu Jintao, président chinois de l’époque soutient. Par ce soutien répété au Soudan, la Chine appuie sa position dans le pays et son approvisionnement en ressources énergétiques, le Soudan étant depuis plusieurs décennies un de ses principaux partenaires commerciaux en Afrique, et le seul pays l’autorisant à produire du pétrole avec ses propres installations. Des relations diplomatiques importantes avec l’Afrique pourraient aussi permettre la réalisation d’autres ambitions énergétiques, en Asie cette-fois.

L’Afrique comme composante des enjeux énergétiques asiatiques

C’est notamment au sujet des contentieux territoriaux en Mer de Chine méridionale, dont les îlots sont riches en énergie, que Pékin et Tokyo tentent d’obtenir le soutien des pays africains afin de légitimer la délimitation de leurs zones économiques exclusives (ZEE). Ainsi, en soulignant l’importance de maintenir « un ordre maritime fondé sur des règles en accord avec les principes du droit international »[4], Shinzo Abe est parvenu à introduire les rivalités régionales qui l’opposent à Pékin dans les discussions des TICAD. En outre, comme le souligne Roland Marchal, chercheur au CNRS, remarquons que trente-neuf pays africains ont soutenu la Chine contre la décision de la Cour de Justice internationale d’implémenter des contrôles en mer de Chine méridionale en 2015[5]. A la lumière de ces exemples, nous comprenons donc que l’Afrique est aujourd’hui une composante à part entière des enjeux énergétiques opposant Chine et Japon, même hors du théâtre africain.

Ainsi nous voyons dans quelle mesure les enjeux de l’énergie africaine peuvent dépasser le terrain africain. Pour la Chine comme pour le Japon, deux pays avec des ambitions de puissance, les pays africains riches en ressources énergétiques sont une cible, entraînant une rivalité dans les stratégies d’implantation. Il n’y a cependant pas que l’énergie africaine qui intéresse la Chine et le Japon en Afrique : le soutien diplomatique des pays africains est également recherché pour appuyer les politiques internationales, dont des quêtes d’énergie sur d’autres terrains. Du côté africain, le bilan est mitigé : d’un côté les pays visés par les ambitions des pays asiatiques sont intégrés dans les stratégies internationales et bénéficient d’aide au développement. D’un autre, tous les pays ne bénéficient pas de ce soutien. Ceux qui en bénéficient perdent la mainmise sur l’action publique et voient leurs ressources tarissables emportées.

 

Agathe Cerin et Nada Guerrier

 

Notes

[1] GERARD, Marie, « Quel modèle énergétique pour le Japon de demain ? », Le Monde, 1er avril 2011.

[2] BROOK Larmer, The New York Times, « Is China the World’s New Colonial Power? » (La Chine est-elle la nouvelle puissance coloniale du Monde ?), 2 mai 2017.

[3] BEURET, Michel, MICHEL, Serge, La Chinafrique : Pékin à la conquête du continent noir, Paris, Grasset & Fasquelle, 2008, 360p.

[4] « Discours du Premier ministre Shinzo ABE – Cérémonie d’ouverture de la TICAD VI », The Government of Japan (site du gouvernement japonais),  27 août 2016.

[5]   MARCHAL, Roland, « L’Afrique, une terre de rivalités pour le Japon et la Chine », conférence en collaboration avec Sciences Po Alumni, la CCI France-Japon, 27 avril 2017.

 

Références bibliographiques

Ouvrages

BEURET, Michel, MICHEL, Serge, La Chinafrique : Pékin à la conquête du continent noir, Paris, Grasset & Fasquelle, 2008, 360p.

DELAMOTTE, Guibourg, GODEMENT, François (dir.), Géopolitique de l’Asie, Paris, Sedes, 2011, 271p.

LUMUMBA-KASONGO, Tukumbi, Japan-Africa Relations (Les relations nippo-africaines), New York, Palgrave MacMillan, 2010, 263p.

Articles papier

ANDROUAIS, Anne, « Japon et Afrique : la genèse de relations économiques », Afrique contemporaine, « Dossier Japon/Afrique », n°212, Hiver 2004, pp. 113-127.

KAMO, Shozo, « De l’engagement économique à l’engagement politique. Les nouvelles orientations de la politique africaine du Japon », Afrique contemporaine, « Dossier Japon/Afrique », n°212, Hiver 2004, pp. 55-61.

Articles en ligne

ALBERT, Eleanor, « China in Africa » (La Chine en Afrique), Council on Foreign Relations, 12 juillet 2017. https://www.cfr.org/backgrounder/china-africa

AKIYAMA, Shin.ichi,  ジブチ : 自衛隊の活動拠点、日本人保護施設 政府が検討」Djibouti : Jiei-tai no katsudô kyoten, nipponjin hogo setsubi  seifu ga kentô » – « Djibouti : examen du gouvernement concernant le positionnement des activités des Forces d’auto-défense et les équipements de protection des Japonais »), Mainichi shimbun, 19 novembre 2017. https://mainichi.jp/articles/20171119/ddm/041/010/063000c

AUBENAS, Florence, « En Algérie, l’autoroute la plus chère du monde », Le Monde, 6 aout 2014. http://www.atlasinfo.fr/En-Algerie-l-autoroute-la-plus-chere-du-monde_a54361.html

BROOK, Larmer, « Is China the World’s New Colonial Power? » (La Chine est-elle la nouvelle puissance coloniale du Monde ?),  The New York Times, 2 mai 2017. https://www.nytimes.com/2017/05/02/magazine/ischina-the-worlds-new-colonial-power.html

FERHAT, Yazid, « Autoroute Est-Ouest : Comment les chinois ont pris le chantier selon Thierry Pairault (Radio M) », Maghreb Emergent, 18 mai 2015. http://www.huffpostmaghreb.com/2015/05/18/thierry-pairault-radiom_n_7307038.html

GERARD, Marie, « Quel modèle énergétique pour le Japon de demain ? », Le Monde, 1er avril 2011. http://www.lemonde.fr/japon/article/2011/04/01/quel-modele-energetique-pour-le-japon-de-demain_1501464_1492975.html

KITA, Julien, « L’Aide publique au développement japonaise et l’Afrique : vers un partenariat fructueux ? », Centre Asie Visions de l’Institut français des Relations internationales (IFRI), septembre 2008. https://www.ifri.org/sites/default/files/atoms/files/av10_kita_apd_japonaise_en_afrique_2008.pdf

LEYMARIE, Philippe, « A Djibouti, la première base du Japon à l’étranger depuis 1945 », Le Monde diplomatique, 20 janvier 2011. http://blog.mondediplo.net/2011-01-20-A-Djibouti-la-premiere-base-du-Japon-a-letranger

MEDINA, Jean-Emmanuel, « Japon-Chine : Senkaku/Diaoyu, les enjeux du conflit territorial », Diploweb, 19 décembre 2012, https://www.diploweb.com/Japon-Chine-Senkaku-Diaoyu-les.html

NIQUET, Valérie, « La stratégie africaine de la Chine », Politique étrangère, 2e trimestre 2006. fhttps://www.diplomatie.gouv.fr/IMG/pdf/0805_LastrategieafricainedelaChinedeValerieNiquet.pdf

PAJON, Céline, « Japan’s Security Policy in Africa. The Dawn of a Strategic Approach? » (La politique de sécurité japonaise en Afrique. L’aube d’une approche stratégique ?), Centre Asie Visions de l’Institut français des Relations internationales (IFRI), mai 2017.  http://www.ifri.org/sites/default/files/atoms/files/pajon_japan_security_policy_africa_2017.pdf

SAMSON,    Didier,      « Chine-Soudan,      Diplomatie pétrolière »,      Rfi, novembre 2006.

http://www1.rfi.fr/actufr/articles/083/article_47251.asp

Documentation en ligne

« Discours du Premier ministre Shinzo ABE – Cérémonie d’ouverture de la TICAD VI », The Government of Japan,  27 août 2016, https://www.japan.go.jp/ticad/opening_session_fr.html.

International Energy Statistics                                          (EIA), « Key World Energy Statistics 2017 », 2017.

https://www.eia.gov/beta/international/rankings/#?prodact=26-3&iso=JPN&pid=26&aid=3&tl_id=3A&tl_type=a&cy=2014

Ingall-Niger, Carte minière, 2017. http://www.ingall-niger.org/index.php/carte-miniere  

World nuclear Association, Information Library, http://www.world-nuclear.org/information-library.aspx   

Autres supports de documentation

BAUMGARTNER, Thomas, CHAUDET, Emilie, « La Chine pourrait-elle se transformer par l’Afrique ? », Emission « Du grain à moudre d’été », France Culture, 23 juillet 2015. https://www.franceculture.fr/emissions/dugrain-moudre-d-ete/la-chine-pourrait-elle-se-transformer-par-l-afrique

MARCHAL, Roland, « L’Afrique, une terre de rivalités pour le Japon et la Chine », conférence en collaboration avec Sciences Po Alumni, la CCI France-Japon, 27 avril 2017. http://www.ccifj.or.jp/news-japon/nos-derniersevenements/vue-detail/n/52642/lafrique-une-terre-de-rivalites-pour-le-japon-et-la-chine/

 

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