Vers la fin du rêve européen ?

Vers la fin du rêve européen ?

Alors même que la part de la population mondiale confinée augmente tous les jours, et que depuis nos balcons nous chantons et applaudissons le personnel hospitalier pour leur courageux travail en cette situation de crise, nos pensées sont avec les familles des victimes du virus. Cette crise sanitaire, qui a entraîné de nombreuses pertes humaines, nous rappelle la fragilité de nos institutions et que la survie de notre Europe mère est en danger. 

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Face à cette pandémie sans précédent, il n’y a pas que le rêve américain qui s’affaiblit comme le montre le système sanitaire des États-Unis qui se révèle parfois cruel et antidémocratique dans un pays frappé de plein fouet par le Covid-19. C’est aussi le rêve européen. Un rêve créé autour de valeurs et objectifs communs menacé par le populisme, toujours plus puissant dans certains pays, l’unilatéralisme, ainsi que par une crise économique et sociale qui frappe à notre porte. L’Europe se montre dans toute sa fragilité et à Bruxelles le climat est des plus tendus. La devise de l’Union, « Unie dans la diversité »,  a rarement réussi à mettre tous les États d’accord et les divergences politiques, culturelles, linguistiques des 27 pays de l’UE n’ont jamais cessé de se faire entendre et de remettre en cause le système européen existant. Aujourd’hui, quoique toujours différents les uns des autres, nous affrontons tous le même ennemi. Cependant, cela ne semble pas non plus faire consensus sur la manière d’agir, de s’entraider, de coopérer et d’essayer de combattre le virus. Nous sommes loin de nous sentir « unis ».

Sommes-nous proches de la fin de notre Union Européenne ? L’Union pourra-t-elle faire face à ces difficultés et en sortir renforcée ? Les défis à l’heure actuelle apparaissent nombreux et insurmontables. Ce n’est sans doute pas la première fois que l’Union tremble. Espérons que ce ne sera pas non plus la dernière.

Face à la montée du populisme, l’UE risque de rester immobile 

L’Union européenne, ces derniers temps, a été défiée par de multiples situations difficiles. Nous n’avons pas encore oublié la crise de 2008 qui a marqué l’espace européen dans sa façon de fonctionner et dont certains pays ne se sont toujours par relevés. Le terrorisme et la crise migratoire ont aussi mis l’Europe à l’épreuve. Parfois c’est par l’inertie et l’inactivité que les problèmes ont pu être dépassés, sans pour autant être résolus. Le Brexit enfin, conclu le 31 janvier 2020, a confirmé la sortie d’un membre important de l’Union en mettant en avant la possibilité pour tout pays de suivre sa propre volonté et de récupérer sa pleine souveraineté s’il le souhaite. La peur d’une réaction en chaîne ne s’est pas concrétisée, au contraire, l’Union Européenne semblait avoir gagné en confiance et en appui. Effectivement, les citoyens des 27 pays membres,  après avoir observé l’impact déstabilisant du Brexit sur la politique britannique, ont été dissuadés du désir de faire sécession avec l’UE. 

Or, le ravage qu’a causé le nouveau virus depuis le mois de février a remis l’Europe à genoux en provoquant toute une série de difficultés, cette fois touchant, de manière variable, tous les membres de l’Union 27bis.

Premièrement, il y a la question du populisme. Fin janvier, l’une des régions les plus prospères d’Italie, l’Émilie-Romagne tenait ses élections régionales, d’une grande importance pour sa  gestion interne, mais aussi pour le renforcement (ou non) de la coalition au pouvoir dans le pays. Cette région, qui affiche un taux de chômage de 5,9% (contre 9,7% sur le plan national) et une croissance de 2,2% selon les données du journal Le Monde, longtemps bastion inexpugnable de la gauche, risquait de tomber dans les mains du populisme chapeauté par le parti de La Ligue¹. Cela ne s’est pas produit, notamment grâce au mouvement politique des « sardines ». Ce mouvement antifasciste populaire, créé par des jeunes pour encourager la population à se mobiliser contre le populisme et au souverainisme de l’extrême-droite italienne incarnée par la figure du politicien Matteo Salvini, joua un rôle primordial en rassemblant dans plusieurs places italiennes et mondiales, plusieurs milliers de personnes, serrées comme des sardines dans une boîte, réunies de façon pacifique contre la haine et l’extrémisme. Un signe sans doute positif pour l’Italie et pour l’Europe, mais pas suffisant.

En plein milieu de la crise sanitaire, le populisme fait son retour à grande vitesse, non pas qu’il avait disparu, évidemment, il était resté plus silencieux que d’habitude dans l’attente du moment idéal pour une nouvelle apparition.

D’ailleurs on le sait, populisme semble rimer avec « fake news », d’autant plus que dans le contexte du coronavirus, la désinformation est monnaie courante à la télévision, dans les journaux et sur les réseaux sociaux. À cet égard, en effet, le directeur de l’OMS a déclaré que l’épidémie du coronavirus était aussi une  «infodémie» : «We’re not just fighting an epidemic, we’re fighting an infodemic». 

À cela s’ajoute la tendance du populisme à profiter d’une situation de faiblesse de la population pour faire de la propagande électorale, en jouant sur les sentiments et la précarité des citoyens pour renforcer leur sentiment d’appartenance nationale qui est contre les élites et contre l’Union Européenne. C’est ce qui se passe en Italie et dans bien d’autres pays, où, de surcroît, les leaders politiques populistes ont tardé à reconnaître la menace du virus et à prendre des mesures pour endiguer sa propagation en critiquant ouvertement les gouvernements qui n’ont pas agi de la même manière. On peut aussi voir qu’à la Maison Blanche, le président Trump a reçu des critiques tant du côté des républicains que du côté des démocrates en pleine période électorale, pour avoir minimisé la crise et accumulé du retard dans la prise de décision.

Pour revenir  à l’Europe, ce qui a sans doute attiré davantage l’attention, en dehors du nombre de contaminations qui ne cesse malheureusement d’augmenter, a été la réaction du premier ministre hongrois. Viktor Orban, chef du parti Fidesz à la tête de la Hongrie depuis 2010 est déjà célèbre pour avoir établi la première « démocratie illibérale »², en remettant en question l’état de droit et certaines autres valeurs propres à une démocratie libérale telles que la pluralité de la presse ou l’indépendance de la justice.

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Le Premier ministre hongrois Viktor Orban, en poste depuis 2010.

En 2018, la Commission Européenne a enclenché l’article 7 en signe d’ultimatum contre la Hongrie sur la base du non-respect des valeurs fondamentales exprimées à l’article 2, parmi lesquelles on retrouve la démocratie, l’état de droit, la liberté, les droits de l’homme. Ceci est le seul instrument que l’Union possède pour «punir ses mauvais élèves», étant donné que l’expulsion d’un pays n’est pas prévue par les traités constitutifs de l’Union. Par ailleurs, il avait été aussi mis en place quelques mois auparavant contre la Pologne.  La procédure prévoit la privation du droit de vote du pays à l’intérieur du Conseil de l’UE et un suivi particulier et attentif de l’UE sur l’évolution et la correction du comportement du pays en question. Non seulement la procédure n’a pas abouti prouvant ainsi l’inefficacité des outils européens à aborder «un risque clair de violation grave »³ des valeurs européennes, mais elle a aussi affaibli les relations entre  Bruxelles et Budapest et en aggravant la situation, in fine empirée par la crise actuelle. Le 30 mars, face au coronavirus, l’appel à des mesures exceptionnelles a poussé Orban à s’attribuer les pleins pouvoirs pour lutter contre la pandémie. S’il est vrai que presque tous les autres pays ont dû adopter des dispositions extraordinaires, celles-ci ont été et continuent d’être explicitement temporaires, alors que ce n’est pas le cas de la Hongrie. Dans le pays, le Premier ministre pourrait gouverner en légiférant sur tout ce qu’il souhaite, autant qu’il le souhaite, aucune période n’ayant été définie.

Inutile de dire que ce geste extrême a été rapproché d’un coup d’État par certains, à une dictature (la première corona-dictature) par d’autres, ou encore à une « mise en quarantaine de la démocratie ». Cela tombe pile au moment où les manifestations ne sont pas possibles, les rassemblements de plusieurs personnes étant interdits et l’Union Européenne se trouve à moitié paralysée, ayant bien d’autres priorités que d’investiguer et d’agir face aux choix autoritaires d’Orban. Une fois la pandémie passée le sujet reviendra peut-être à la Une, ce qui nous invite à réfléchir sur les véritables pouvoirs de contrainte de l’Europe ainsi que sur le risque représenté et en même temps provoqué par sa fragilité.

Une Union marquée par l’unilatéralisme 

L’Union Européenne n’a pas vu arriver la pandémie. Plusieurs pays se sont trouvés mal préparés en termes matériels (approvisionnement de masques, personnel sanitaire, médicaments, respirateurs) et politico-juridiques (décisions à prendre, respect des lois, mesures barrières) qu’on peut expliquer par le caractère inédit du virus et d’une telle situation. En très peu de temps, d’abord l’Italie et puis l’Espagne, ont ressenti l’impact du virus sur leur territoire. Cela n’a pas suffi à alarmer les pays voisins afin qu’ils décident de la mise en place de mesures de confinement au plus vite. La panique a dominé la période allant de la fin février à la mi-mars et tout d’un coup les frontières de l’Europe se sont fermées, la plupart des vols ont été annulés et les voyages interdits.

L’espace Schengen s’est clôturé le 16 mars pour une durée minimale de 30 jours suite à une décision collective au sein de la Commission Européenne. Pour la première fois depuis la mise en œuvre de cet espace garant de libre échange, de la libre circulation des biens et des personnes et de concurrence libre et non faussée (1985) et dans le cadre d’une émergence sanitaire,  les barrières entre pays se sont rehaussées, les contrôles aux frontières ont été rétablis. Mais si cette décision semble avoir été prise par la voix de la consultation et du consensus, cela n’a pas été le cas pour les autres mesures à entreprendre. Il n’y a pas eu de directives européennes lancées pour permettre à chaque pays de suivre des règles précises afin de prévenir et combattre le virus.

La Commission, le Parlement et le Conseil auraient pu suivre les procédures législatives ordinaires selon l’article 168 Traité sur le fonctionnement de l’UE (TFUE),  mais cette pratique est connue pour être lente et plutôt inefficace dans un contexte caractérisé par les opinions divergentes des membres de l’UE. L’article 168, par ailleurs, déclare la responsabilité primaire des États à légiférer dans le domaine de la santé publique, ce qui illustre pourquoi l’Union a laissé ses membres décider eux-mêmes. Cependant, pour beaucoup aujourd’hui il paraît évident que la réponse au virus ne peut avoir de sens qu’à l’échelle du continent, voire du monde. Comme la concertation et la coordination des politiques entre les États membres tardent toujours à venir, nous pouvons douter de la compétence des institutions européennes dans la manière où elles existent aujourd’hui. 

 S’il est vrai que les pays ont des populations hétéroclites,  une économie différente, une courbe des cas de contaminations qui avance à une vitesse distincte et que certains pays sont plus touchés que d’autres, jamais comme aujourd’hui l’unilatéralisme ne s’est montré aussi fort. Le tribut à payer pourrait se révéler très lourd justement à cause de l’absence d’anticipation et de coordination et aujourd’hui plus que jamais, il ne s’agit pas seulement de protéger un pays financièrement, mais de sauver des vies, car les choix peuvent être fatals non seulement pour leur impact économique mais aussi très concrètement pour la vie des personnes. La Suède et les Pays Bas, par exemple, refusent de passer à une quarantaine complète en soutenant que les mesures draconiennes ne sont pas assez efficaces par rapport à leur impact sur la société, alors qu’aujourd’hui les études scientifiques semblent désormais confirmer que le confinement sur le long terme est la solution à adopter pour aplatir la fameuse courbe de la contagion.

Toutefois, il est encore tôt pour pouvoir juger les mesures adoptées par les différents pays. Ce ne sera qu’en aval, une fois la situation retournée à sa normalité, que nous pourrons faire un retour pertinent sur ce qui aurait dû être fait, ce qui a fonctionné correctement ou, au contraire, ce qui a entravé la lutte contre le virus.

Une crise qui n’est plus seulement sanitaire mais de plus en plus économique et sociale  

Au lendemain de la Seconde Guerre Mondiale et dans le contexte toujours plus évident d’une séparation du monde en deux blocs amenant à la Guerre Froide, le 5 juin 1947, le général Marshall prononçait ces mots : « Je n’ai pas besoin de vous dire que la situation du monde est très grave. Le remède consiste dans la rupture du cercle vicieux en restaurant la confiance des Européens dans le futur économique de leurs pays et de l’Europe entière ». 

En octroyant une aide de 17 milliards de dollars et en créant l’Organisation Européenne de Coopération Économique (OECE), le Plan Marshall permit à une partie de l’Europe d’instaurer un climat économique favorable qui contribua au boom économique et à l’installation de bases solides pour la construction européenne. Aujourd’hui ce discours est saisissant d’actualité.  Les références au Plan Marshall abondent, en le prenant comme exemple d’un programme qui devrait être imité pour assurer le bien être de l’identité européenne et reconstituer un contexte économique positif pour toute l’Europe. 

En effet, on en parle désormais depuis plusieurs jours, la crise actuelle n’est pas que sanitaire mais de plus en plus économique et sociale. Le confinement a conduit à la fermeture de presque toutes les activités en provoquant de ce fait une augmentation conséquente du niveau de chômage. Le marché financier, les entreprises et le budget de l’État sont également touchés. La Banque Centrale Européenne estime que le PIB de l’UE pourrait avoir connu une baisse de 5% entre février et mars et que si les mesures de confinement continuent jusqu’en juin, l’Europe pourrait expérimenter une crise comparable à la récession de 2009.

Beaucoup de pays, vis-à-vis de leurs citoyens, semblent vouloir jouer la carte du « whatever it takes », mettre en place tout ce qui est nécessaire pour les protéger: de la baisse des impôts à l’octroi d’une indemnisation supplémentaire, de la distribution de bons d’achat pour les courses, à l’intervention de caisses spéciales etc. Ils reprennent donc les mots de l’ancien président de la BCE, Mario Draghi, prononcés en 2012 pour contrer la crise de la zone euro et faire repartir l’économie. Cependant, les États les plus économiquement instables et surendettés (l’Italie, l’Espagne et la France, cette dernière était endettée à 95% du PIB en 2018) commencent déjà à ressentir le poids d’un tel engagement du budget public et font appel à une aide supplémentaire qui devrait venir de l’Union Européenne. Or, sur la question économique l’Union se trouve aussi divisée.

D’un côté, lundi 23 mars les Ministres des Finances de l’UE, ont suspendu temporairement la «règle d’or» de 1993 et le Pacte de Stabilité de 1997 concernant le déficit public qui ne devrait pas être supérieur à 3% et la dette qui ne devrait pas dépasser 60% du PIB des pays. L’assouplissement des règles a été bien accueilli par les pays méditerranéens qui peuvent davantage investir sur leurs systèmes sanitaires et recourir aux dépenses publiques pour aider les citoyens, ce qui augmenterait également la dette nationale. Un fonds d’investissement pour soutenir les systèmes de santé, les entreprises et les travailleurs européens a également été créé à l’échelle de l’UE et l’Union compte utiliser d’autres fonds déjà existants (Fonds de Solidarité de l’UE, Fonds Européen d’Ajustement à la Mondialisation) pour répondre aux besoins économiques des pays membres. Cependant, ces mesures ont tardé à arriver ou ne sont arrivées qu’à partir du moment où l’Europe s’est rendue compte de la nature commune de la difficulté liée à cette crise. L’Italie et l’Espagne, depuis longtemps en première ligne contre le virus, se sont senties jusque-là abandonnées. Cela a contribué à former une coalition de 9 pays de l’Europe du Sud (comprenant donc l’Italie et l’Espagne, mais aussi la France et le Portugal, entre autres) qui privilégie la création de « coronabonds », des titres de dette émis dans la zone euro pour permettre aux membres les plus endettés de se financer plus facilement sur le marché. Cette possibilité est écartée par les pays moins endettés comme l’Allemagne ou les Pays Bas, par peur qu’un endettement encore plus élevé des pays du Sud puisse déstabiliser la zone euro et la faire plonger dans une crise ultérieure, ou par désaccord avec une politique d’aide aux pays déjà endettés au-dessus de la norme.

On peut observer que dans ce moment de crise, certains pays ont tendance à ne penser qu’à leurs intérêts. Toutefois, il est impensable d’agir ainsi dans un système fondé sur la coopération et l’interdépendance. Pour évaluer les dispositions à prendre, il faut souligner sans doute que sur le long terme, si un membre de l’UE souffre, toute l’Union souffre. 

La crise européenne, notamment entre Nord et Sud, se joue, de manière originale, à travers l’envoi de lettres. Le politicien italien et représentant permanent de l’Italie auprès de l’UE en 2016 Carlo Calenda, et plusieurs autres maires et gouverneurs italiens ont adressé ainsi une lettre à la fin du mois de mars à l’Allemagne. Ils ont souligné que l’Europe est actuellement face à un défi existentiel, n’ayant pas les moyens pour réagir de manière unie, « si elle ne montre pas qu’elle existe, elle cessera d’exister ». Le but de la lettre est de réveiller l’esprit solidaire allemand pour que ce pays,  chef de file de l’UE, abandonne son apparent nationalisme et rejoigne les 9 pays du Sud dans l’idée de donner vie à un plan d’urgence pour la survie de l’Europe et des systèmes sanitaires, économiques et sociaux de ses membres.

Le Président de l’Allemagne Frank-Walter Steinmeier, dans son discours de Pâques a invité les citoyens allemands à montrer plus de solidarité avec les autres, notamment avec l’Europe, peut-être une indication que les leaders allemands ont entendu le message. Ensuite, le 2 avril 2020 la Présidente de la Commission Européenne Ursula Von der Leyen a exprimé son regret auprès de l’Italie en reconnaissant le manque de solidarité de l’UE dans une lettre intitulée « Je vous présente mes excuses, nous sommes avec vous » et en essayant de calmer une situation de fracture qui risquait de dégénérer.

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La présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen.

Enfin, la réponse du Président du Conseil des Ministres italien Giuseppe Conte qui est revenue sur ce que l’UE peut faire non seulement pour l’Italie mais pour garantir l’existence, voire la survie, et le bon fonctionnement de l’UE. Les défis qui se posent sont d’abord politiques et sociaux avant d’être économiques et la solidarité entre les pays est ce qui peut assurer l’avenir de l’Europe. La lettre a aussi accueilli positivement la récente proposition du plan « Sure » qui prévoit une aide de 100 milliards d’euros surtout pour lutter contre le chômage et financer ceux qui sont restés sans travail.

En bref, les choses avancent, il paraît y avoir de plus en plus de propositions et de programmes, néanmoins le consensus est loin d’être atteint et les positions divergentes demeurent au sein même de l’Union notamment autour d’instruments tels que les European Recovery Bonds.

Un manque de solidarité ressenti parmi plusieurs membres de l’Union

Le manque de solidarité européenne ne se manifeste pas seulement dans l’économie mais dans bien d’autres secteurs, en premier lieu celui de la santé publique, le plus ravagé par la pandémie. Par ailleurs, dans les médias, les références aux envois de civils, militaires et matériel en provenance de Cuba, de Russie ou encore de Chine se multiplient grâce aux négociations qui se jouent surtout par le rôle des ambassades dans le monde. La nouvelle « diplomatie des masques » pourrait sans doute être remise en question dans son véritable intérêt, que beaucoup traduisent comme une stratégie d’image et de soft power agressif, ainsi qu’une instrumentalisation de la crise. Dans tous les cas, que ce soit une stratégie ou une sincère solidarité, des pays comme l’Italie et l’Espagne ont besoin de cette aide et l’accueillent évidemment avec enthousiasme.

Ces derniers jours, l’Albanie, l’Ukraine ou encore le Qatar, entre autres, ont aussi envoyé du personnel à l’aide des hôpitaux de la Botte, ce qui contribue à faire en sorte que la population se pose une question : « où sont les pays européens dans tout cela ? » étant donné que l’aide et la solidarité semblent continuer de venir de l’extérieur.

Alors que sur les réseaux sociaux le nombre d’eurosceptiques s’accroît dans les pays les plus touchés par le virus, nous entendons la voix des citoyens critiquer l’Europe et défendre le Brexit en espérant que le modèle sera imité par leurs nations une fois l’urgence sanitaire terminée. Cela n’échappe pas aux velléités populistes, ce qui entraîne un cercle vicieux anti-européiste. Et c’est justement pour cela que l’UE devrait se réveiller vite, car moins elle montre de coopération et de solidarité, plus la population s’éloigne de l’idéal européen et moins elle est efficace, plus le populisme exploite sa fragilité pour faire sa propagande. Bref, moins on est unis, plus la crise va peser lourd et pas seulement sur les finances publiques et privées mais aussi sur la politique, voire la démocratie de tous nos pays.

Quelques lueurs d’espoir dans une situation qui demeure sombre 

Après tous les bémols mentionnés, on peut néanmoins relever quelques notes positives. Malgré la fracture interne sur les questions économiques, les mesures à adopter ainsi que le manque de solidarité en termes d’envoi de matériel entre pays membres de l’UE, qu’on peut essayer de comprendre par le fait que l’UE est en ce moment le cœur de la pandémie, il y a cependant quelques épisodes dignes d’être précisés. 

Ainsi, l’Allemagne prend en charge des patients italiens et français gravement atteints par le coronavirus. D’autres transferts ont aussi eu lieu par voie terrestre ou aérienne vers le Luxembourg, ce qui montre qu’en réalité la coopération n’est sans doute pas aussi développée qu’elle devrait l’être, mais elle n’est pas non plus nulle et elle se matérialise en passant par d’autres voies, notamment par la société civile et les individus eux-mêmes. En outre, le Portugal vient de régulariser les immigrés en attente d’un titre de séjour ainsi que les demandeurs d’asile pour les protéger face à la propagation de la pandémie. Bien qu’elle soit temporaire, cette mesure vise à garantir l’accès aux soins médicaux en cas de symptômes et à la possibilité de bénéficier des politiques de protection de l’emploi même pour les populations les plus démunies, en attente d’une régularisation officielle de leur situation qui ne pourra avoir lieu qu’à la fin de l’urgence sanitaire. 

Cette nouvelle a été saluée favorablement par tous les défenseurs des droits de l’homme dans le monde en regardant le Portugal comme un modèle à imiter. En effet, malheureusement la décision n’a été prise qu’à l’échelle nationale, l’Union Européenne ne s’étant pas prononcée sur des mesures de ce type qui pourraient être adoptées partout sur son territoire. Les très nombreux camps de réfugiés en France ou en Grèce, entre autres, demeurent exposés au danger du virus et les migrants sont abandonnés par une Communauté qui n’est pas encore prête à assumer sa responsabilité en termes de droits de l’homme, dans une situation aussi grave que celle que nous sommes en train de vivre aujourd’hui. 

En conclusion, la nouvelle pandémie se présente à l’UE comme un défi mais aussi comme une opportunité de réfléchir à ce qui ne fonctionne pas dans notre chère mère Europe. Toutefois, le rêve européen cultivé pendant des années, capable de résister à la crise économique, au terrorisme, à la crise migratoire, pourrait ne pas survivre au coronavirus et se briser en morceaux pour toujours. Aura-t-il fallu une crise sanitaire mondiale pour mettre fin à un projet d’Europe politiquement et économiquement unie et solidaire ? Aujourd’hui, à deux doigts d’un possible éclatement, rien ne peut être affirmé avec certitude, tout pouvant être remis en cause. L’Europe doit surmonter plusieurs obstacles pour prouver son efficacité, autrement dit, c’est par une intervention concrète et par la prise de décisions que l’UE  pourra enfin garantir sa survie. Son inertie et absence de consensus et de solidarité face à des problèmes communs risquent de ne faire qu’aggraver la montée en puissance des populismes. 

Il ne  nous reste qu’à espérer que dans une dizaine d’années, nous regarderons cela comme un épisode qui au final aura renforcé notre identité européenne en nous ayant rendus conscients d’être tous égaux face à un problème de grandeur inédite. Enfin, si  nous en sortons, nous en sortirons gagnants, car fondamentalement, en voulant faire confiance à l’un des pères de l’Europe nous pourrions rester optimistes et garder un certain espoir. Selon Jean Monnet, en effet, « l’Europe se fera dans les crises et elle sera la somme des solutions apportées à ces crises ».

En attendant de savoir ce qu’il en sera de l’Europe, restez chez vous!

Sara FATTORI

¹La Ligue est un parti de la droite italienne, connu officiellement sous le nom de  «Ligue Nord pour l’indépendance de la Padanie» depuis la fin des années 80 et le début des années 90. Aujourd’hui son leader est Matteo Salvini et son idéologie se rapproche du populisme, souverainisme, nationalisme et euroscepticisme entre autres.

² Le terme  «démocratie illibérale» ou  «illibéralisme» s’oppose à  «démocratie libérale» en désignant une démocratie qui a perdu certaines de ses qualités libérales, notamment en ce qui concerne la séparations des pouvoirs et de la pluralité de la presse, c’est à dire une situation politique qui menace l’Etat de droit. Il est théorisé dans les années 90 mais adopté concrètement à partir de 2010 en référence aux gouvernements hongrois et polonais.

³Comme exprimé à l’article 7 du Traité sur l’Union Européenne

SOURCES 

  • Benignetti Alessandra, « La lettera di governatori e sindaci alla Germania : « Sugli eurobond comportatevi da grande Paese », in Il Giornale, le 31 mars 2020
  • Bonini Emanuele, « Commissione UE : esiste il rischio della stessa crisi economica del 2009 », in EU News, le 25 mars 2020
  • Cavicchi Stefano, « En Emilie-Romagne, l’extrême droite de Matteo Salvini est battue aux élections régionales », in Le Monde, le 27 janvier 2020
  • Charlton Emma,  «How experts are fighting the coronavirus ‘infodemic’» , in World Economic Forum, le 5 mars 2020
  • Euronews, « Coronavirus pandemic ‘test of our humanity’ , German president says», in Euronews, le 11 avril 2020
  • Gaillard Barthélémy, «Covid-19 : ce que l’Union européenne peut (et ne peut pas) faire », in Toute l’Europe, le 31 mars 2020
  • Galluzzo Marco, « Coronavirus, gli aiuti da Cuba a Mosca. A cosa puntano gli « strani » amici che Roma elogia », in Corriere, le 26 mars 2020
  • Gregori Giovanni, « L’Italia abbandonata dalla madre Europa. Intervista a Franco Frattini sul momento più buio dei nostri giorni », in Sioi, 20 mars 2020
  • Halifa-Legrand Sarah, « L’article 7 contre la Hongrie, une sanction légitime mais risquée », in Nouvelobs, le 9 novembre 2018
  • Lictevout Léo, « Coronavirus : comment l’Union européenne peut-elle éviter une nouvelle crise économique ? », in Toute l’Europe, le 27 mars 2020
  • Maugeri Massimo, « L’Europa divisa sui coronabond. Berlino : « Solidali in altri modi », in AGI, le 30 mars 2020
  • Michelot Martin, «The article 7 proceedings against Poland and Hungary. What concrete effects? », in Notre Europe, Institut Jacques Delor, le 5 juin 2019
  • Ouest-France, « Coronavirus en Italie. Von der Leyen « présente ses excuses » pour le manque de solidarité de l’UE », in Ouest-France, le 2 avril 2020
  • Peron Iris, « Coronavirus : comment trois pays voisins soignent des Français « au cas par cas », in Le Parisien, le 27 mars 2020
  • Varga Thibaut, « Hongrie : Orban obtient les pleins pouvoirs », in Le Figaro, le 31 mars 2020
  • Webber Douglas, «No domino theory: why the European Union will remain together regardless of Brexit», in The National Interest, le 4 février 2020

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