Ordre international et changement climatique

Ordre international et changement climatique

Le sommet de Copenhague de 2009 a confirmé le basculement du pouvoir autour du couple Etats-Unis – Chine. M. Obama s’est d’abord entretenu pendant près d’une heure avec M. Wen, le premier ministre chinois. Ils ont ensuite été rejoints par le président brésilien Lula da Silva, le premier ministre indien Manmohan Singh et le président sud-africain Jacob Zuma. Ces discussions parallèles ont débouché sur un accord non contraignant préservant la souveraineté des Etats. Le sommet de Copenhague était censé définir les grands principes et engagements que les Etats devaient respecter pour lutter contre le réchauffement climatique, mais il a aussi et surtout révélé un nouvel équilibre, le G2 Etats-Unis-Chine.

Le changement climatique influence donc les relations internationales, les échanges entre les Etats, et les nouveaux schémas de puissance. D’après le GIEC, le changement climatique renvoie à tout changement de climat dans le temps, qu’il soit dû à la variabilité naturelle ou aux activités humaines. Par sa dimension planétaire et son caractère intergénérationnel, le changement climatique est l’un des défis majeurs contemporains. Il s’agit donc d’endiguer collectivement le dérèglement climatique en cours.

Le poids des émergents

Le décollage économique de nouvelles puissances, les BRICS (Brésil, Russie, Inde, Chine et Afrique du Sud) se caractérise notamment par une augmentation de leur émission de gaz à effet de serre (GES), et donc à une accélération du réchauffement climatique. En 1970, la part des BRICS dans les émissions mondiales de GES était de 24,6 %, et celle des pays de l’OCDE était de 57,3 %. En 2005, ceux des BRICS atteignaient 34,3 % du total mondial, ceux de l’OCDE 39,8 %. En 2050, les rejets mondiaux pourraient provenir à 36,6% des BRICS, et à 32,9% de la zone OCDE. Leur poids n’est pas plus seulement important, mais déterminant dans la lutte contre le réchauffement climatique.

Si l’on prend le cas de la Chine, sa politique à la fin du XXe siècle se caractérisait selon Benjamin Gilman, président du Comité des relations internationales de la Chambre des représentants des Etats-Unis, par la politique des « “Trois non” :

  • Pas d’obligations pour la Chine,
  • Pas d’engagements volontaires par la Chine
  • Pas de négociations futures astreignantes pour la Chine ».

A l’occasion de la COP (Conference of Parties) de Copenhague, Ed Miliband, secrétaire d’Etat à l’énergie et au changement climatique au Royaume-Uni, a accusé la Chine et d’autres pays en développement d’« exercer un chantage sur le monde », et Mark Lynas, négociateur pour les Maldives, a affirmé que la Chine avait « fait échouer les efforts pour obtenir un accord mondial ». Cependant, en tant que première émettrice de gaz à effets de serre, seconde productrice et consommatrice d’énergie, la Chine doit aussi être vue comme une « puissance environnementale » [1]. Sans action décisive chinoise, les efforts des autres pays seraient vains, la Chine étant désormais au centre de la réussite de la coopération mondiale. Or, les effets du changement climatique sont de plus en plus importants en Chine, d’où une prise de conscience de la part du gouvernement, qui le conduit à faire évoluer sa politique. L’Organisation mondiale de la Santé évalue à près de 400 000 les décès prématurés chaque année à cause de la très mauvaise qualité de l’air. Pour le 13e plan quinquennal 2016/2020, la Chine a prévu une politique de transition vers un modèle dit “bas carbone” avec la mise en place d’un marché national du carbone pour plus de 8 000 entreprises.

Quant au Brésil, le pays est l’un des principaux producteurs nets de gaz à effets de serre notamment à cause de la déforestation amazonienne. Le pays refusait toute limitation de ces émissions, s’appuyant notamment sur la Convention Climat de 1994 qui consacre le principe de « responsabilités communes mais différenciées ». L’approche brésilienne de la gouvernance du changement climatique a évolué depuis le début du XXIe siècle : par exemple en 2002, le Congrès approuvait le programme Proinfa (Programa de Incentivos às Fontes Alternativas de Energia Elétrica) pour aider les producteurs indépendants ayant recours aux énergies renouvelables pour augmenter leur part dans le réseau national. Il se déroule en deux phases : 

  1. Installation d’infrastructures énergétiques capables de produire 3 300 mégawatts d’électricité, soit à peine 1% de la production électrique du pays en 2002
  2. Augmentation de 10% de la part de ces énergies

Quoi qu’il en soit, les nouveaux émergents par leur poids économique et leur développement influencent le changement climatique et se trouvent donc de fait au cœur des enjeux.

D’autres acteurs qui se font entendre

Il semblerait logique que les pays les plus touchés par les effets du réchauffement climatique soient ceux qui ont le plus de voix sur la scène internationale. Ce n’était pas vraiment le cas lors du Protocole de Kyoto, où les entités formées englobaient des pays convergents en certains points mais aux intérêts environnementaux très différents :

  • JUSSCANNZ, composé du Japon, les Etats-Unis, la Suisse, le Canada, la Norvège et la Nouvelle-Zélande
  • Union Européenne
  • EIT, pour les pays d’Europe centrale et orientale et les anciennes Républiques de l’ex-URSS
  • G77 + Chine, groupe très hétérogène avec les pays de l’OPEP qui ne souhaitaient pas une réduction des émissions de CO2, des pays très sensibles au changement climatique comme le Bangladesh, et enfin les poids lourds qui ont dominé les négociations, la Chine, le Brésil et l’Inde.

Or, depuis octobre 2015, et à l’occasion de la COP21 de Paris, un nouveau groupe, le V20, a été formé pour rassembler les pays qui se disent les plus vulnérables au changement climatique : on retrouve le Bangladesh, avec l’Afghanistan, l’Éthiopie, le Ghana, les Maldives ou le Népal. Le but est d’avoir plus de poids dans les négociations face aux géants que sont par exemple la Chine ou les Etats-Unis.

La COP de Paris a finalement débouché sur un accord engageant 195 Etats à réduire leurs émissions de GES. Les contributions des Etats signataires devraient permettre de stabiliser le réchauffement climatique lié aux activités humaines en dessous de 2°C d’ici 2100, par rapport à la température de l’ère préindustrielle entre 1861 et 1880.

Toutefois, malgré les évolutions, le poids grandissant des émergents dans le réchauffement climatique et dans les négociations internationales sur le climat, les changements ont peu d’impact.

Des évolutions limitées

D’abord parce que les grands pollueurs ont du mal à s’engager dans la lutte contre le réchauffement climatique et restent donc en retrait.

Ensuite parce que les effets sont limités. En témoignent les résultats de la COP 22 à Marrakech. Le pays hôte voulait placer l’Afrique au cœur de l’accord. Dans les faits, les résultats ne sont pas satisfaisants, laissant le continent dans sa position de retardataire. Le Maroc souhaitait plus de fonds pour financer les projets d’adaptation, comme les constructions de digues et les surélévations d’habitats. Concernant le « Triple A », « Adaptation de l’Agriculture Africaine », aucun consensus n’a été trouvé concernant la nécessité de réformer l’agriculture. L’adaptation reçoit uniquement 16% des fonds climat alors que les agriculteurs africains sont parmi les plus touchés par le changement.

Avec cet exemple, on ne voit pas seulement l’oubli d’une partie de la surface de la Terre, mais aussi l’effacement de certaines puissances, comme la France. Le pays soutenait le Maroc mais ni la France, ni le pays organisateur n’ont pu se faire entendre et arriver à un accord concret sur ce point.

Les avancées concrètes se font donc attendre, comme certaines ONG et certains activistes le répètent : « La COP a cette capacité à produire une sorte d’abstraction, on parle d’un problème extrêmement concret pour des millions, des centaines de millions de personnes comme si c’était quelque chose de très abstrait et sans conséquence dramatique. Nous, on va dans les COP pour faire un petit pas de côté et ramener dans les négociations les questions qui ne sont pas traitées » selon Nicolas Haeringer, chargé de campagne pour 350.org.

La persistance des grands

La prise de conscience du changement climatique serait le fait des grandes puissances. Selon Roqueplo en 1997, le problème a réellement touché les gouvernements sur la scène internationale au milieu des années 1980, notamment par la sensibilisation aux problèmes de pollution transfrontalières, en Europe après l’accident de Tchernobyl en 1986 et par la prise de conscience des Etats-Unis après la vague de sécheresse de mai-juin 1988 au Texas. Ainsi, en 1989, le changement climatique était à l’ordre du jour au G7 de Paris (Allemagne de l’Ouest, Canada, Etats-Unis, France, Italie, Japon, Royaume-Uni  et Commission européenne). Le changement climatique a donc initialement reflété l’équilibre international avec le jeu des grandes puissances.

Aujourd’hui encore, le réchauffement climatique s’explique surtout par les grandes puissances. Les consommations d’énergie sont encore très inégalement réparties au niveau mondial, ce qui donne des arguments aux pays émergents pour ne pas s’impliquer autant que les pays développés dans la lutte contre le réchauffement climatique. En 2006, 50% de l’énergie était absorbée par 15 % de la population mondiale, essentiellement par les habitants des pays de l’OCDE. Le niveau d’émission de GES par habitant est huit fois plus élevé aux États-Unis que la moyenne mondiale. Les grands restent les grands, et l’équilibre garde d’une certaine manière ses formes antérieures.  

Avec l’élection de Donald Trump, la Chine pourrait prendre la tête de la lutte contre le réchauffement climatique, et confirmer sa puissance au niveau international. « La Chine prendra la tête de cette lutte, notamment en participant à toutes les activités liées au drastique changement climatique. Et je pense que la Chine s’impliquera totalement et sérieusement pour lutter contre le changement climatique » selon Liu Qiang, directeur du centre national chinois pour la stratégie climatique et la coopération internationale (NCSC). Reste à savoir quels engagements prendra le gouvernement chinois, et quelles actions seront entreprises pour y parvenir.

Lisa Verriere

[1] Rowlands, 2001, « La gouvernance du changement climatique dans les pays en développement. Rapport sur les politiques internationales et nationales relatives au changement climatique en Chine, au Brésil, en Ethiopie et à Tuvalu »

URL : http://www.afd.fr/jahia/webdav/site/afd/shared/PUBLICATIONS/RECHERCHE/Scientifiques/A-savoir/15-VF-A-Savoir.pdf

Sources: 

Intergovernmental Panel on Climate Change, IPCC Fourth Assessment Report: Climate Change 2007 ; 

URL :https://www.ipcc.ch/publications_and_data/ar4/wg2/fr/spmsd.html

CAIRN, « D’un G8 à l’autre : sécurité énergétique et changement climatique », Jean Lamy, 2006 ;

URL : http://www.cairn.info/revue-politique-etrangere-2006-1-page-131.htm#pa2

« La gouvernance du changement climatique dans les pays en développement. Rapport sur les politiques internationales et nationales relatives au changement climatique en Chine, au Brésil, en Ethiopie et à Tuvalu », David HELD, Eva-Maria NAG, Charles ROGER, Agence française de développement, Décembre 2013 ;

URL : http://www.afd.fr/jahia/webdav/site/afd/shared/PUBLICATIONS/RECHERCHE/Scientifiques/A-savoir/15-VF-A-Savoir.pdf

Constructif, « Le réchauffement climatique : un ‘dilemme du prisonnier’ planétaire », Jean-Paul Maréchal, 2008 ;

URL : http://www.constructif.fr/bibliotheque/2008-11/le-rechauffement-climatique-un-%C2%AB-dilemme-du-prisonnier-%C2%BB-planetaire.html?item_id=2888

CETRI, « Paradoxes du Brésil face aux changements climatiques » ;

URL : http://www.cetri.be/Paradoxes-du-Bresil-face-aux

Connaissances des énergies, fiche pédagogique « COP 21 », Novembre 2016 ;

URL : http://www.connaissancedesenergies.org/fiche-pedagogique/cop21-conference-sur-le-climat-de-paris 

Euronews, « La Chine à la tête de la lutte contre le réchauffement climatique », Beatriz Beiras, 16/11/2016 ;

URL : http://fr.euronews.com/2016/11/16/la-chine-a-la-tete-de-la-lutte-contre-le-rechauffement-climatique

Le Monde, « Les affaires du monde soumises au tandem Chine-Etats-Unis », 19/12/2009 ;

URL : http://www.lemonde.fr/le-rechauffement-climatique/article/2009/12/19/les-affaires-du-monde-soumises-au-tandem-chine-etats-unis_1283085_1270066.html#4PlSPl7V6pCZubTJ.99

RFI, « Climat : ce qu’il faut retenir de la COP22 à Marrakech au Maroc », Fadel Senna 19/11/2016

URL : http://www.rfi.fr/cop22/20161119-maroc-environnement-terre-cop-22-afrique-accord-climat-paris-rechauffement

RFI : « Climat : plus de fonds d’adaptation pour l’agriculture africaine, Claire Fages, 04/11/2016

URL : http://www.rfi.fr/emission/20161104-cop22-plus-fonds-adaptation-agriculture-africaine

La Croix, « Les mots de la COP21 : les acteurs », Julien Duriez, 04/12/2015

URL : http://www.la-croix.com/Ethique/Environnement/Les-mots-de-la-COP21-les-acteurs-2015-12-04-1388767

RSE Magazine, « Energie : la consommation par habitant est très inégale selon les pays, sans surprise », Roxanne Alvis, 16/07/2014

URL : http://www.rse-magazine.com/Energie-la-consommation-par-habitant-est-tres-inegale-selon-les-pays-sans-surprise_a755.html

Map Ecology, « Pollution de l’air: la Chine appliquera de nouvelles normes sur l’essence et le gasoil en 2017 », 26/12/2016

URL : http://mapecology.ma/actualites/pollution-de-lair-chine-appliquera-de-nouvelles-normes-lessence-gasoil-2017/

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