Les mouvements de contestation issus de la jeunesse se développent en Afrique, notamment depuis le Printemps Arabe qui a débuté en décembre 2010 en Tunisie. On observe ainsi l’émergence de « Filimbi » (coup de sifflet) en République Démocratique du Congo, « Y’en a marre » au Sénégal et de « Balai Citoyen » au Burkina Faso. Ces mouvements tentent de se rassembler pour favoriser une prise de parole et pour exercer une influence plus forte à l’échelle nationale, voire régionale.
Ancrés dans une tradition de révolte héritée des années 1990, ils se caractérisent aujourd’hui par la diversité des moyens utilisés pour faire entendre leurs voix. Les jeunes se réapproprient l’espace public (rassemblements, concerts de rap, graffitis) mais aussi l’usage des moyens de communication plus modernes, à travers des sites internet et les réseaux sociaux. Cela leur permet de revendiquer des changements politiques qui répondraient davantage à leurs attentes. Ces différents mouvements participent d’une volonté des jeunes de devenir des acteurs citoyens de leur pays. Bien que l’alternance politique et le respect de la démocratie soient les principaux enjeux de leur lutte, l’environnement, la paix et l’éthique sont aussi des objets de leurs revendications. Le mouvement Balai Citoyen est un exemple fondamental des mouvements de jeunesse en Afrique, grâce au rôle clef qu’il a joué durant la chute de Blaise Compaoré en 2014.
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Etat des lieux de la jeunesse burkinabée
Le Burkina Faso compte environ vingt millions d’habitants en juillet 2017. La société est multi-ethnique et multi-religieuse. Les moins de 24 ans représentent presque 65 % de la population totale, avec 44,9 % compris entre 0 et 14 ans, et 20 % entre 15 et 24 ans, 17 ans étant l’âge moyen. A la naissance, l’espérance de vie moyenne est d’environ 56 ans. Enfin, 43 % des hommes et 29 % des femmes sont alphabétisés[1].
La jeunesse burkinabée citadine est plus exposée au chômage que le reste de la population active, bien qu’elle soit plus instruite en moyenne. Elle occupe des emplois moins rémunérateurs et se tourne principalement vers le secteur informel, le secteur public ne recrutant pratiquement plus (en 2015, 665 000 personnes ont postulé aux 10 000 places ouvertes dans la fonction publique par le gouvernement). Pourtant, la baisse progressive de la natalité au Burkina Faso représente une réelle opportunité pour la jeunesse d’acquérir plus facilement des emplois stables et rentables, tout en ayant en moyenne moins de personnes à charge au sein d’un foyer[2]. Mais si les taux de chômage restent assez faibles, entre 2 et 4 %[3] de la population, ils ne prennent pas en compte les sous-emplois. L’Organisation Internationale du Travail (OIT) définit les personnes en situation de sous-emploi comme travaillant à temps partiel, mais désirant travailler plus longtemps, et étant disponibles pour le faire. Il peut aussi s’agir de personnes ayant une occupation à temps partiel mais qui peuvent pâtir de chômage technique. Ainsi, selon l’Observatoire National de l’Emploi et de la Formation, le sous-emploi atteignait 26,7 % en 2012. Cela justifiait donc la mise en place d’un Programme Spécial de Création d’Emplois (PSCE) entre 2012 et 2014, favorisant la formation et l’insertion professionnelle des jeunes.
Pourtant, cela semble loin d’être suffisant, et la jeunesse burkinabée est la première touchée par le chômage et le sous-emploi. Ainsi, 63,76 % des 15-34 ans sont au chômage, alors que cette classe d’âge représente plus d’un tiers de la population (35 %)[4]. Par ailleurs, le chômage touche plus durement les jeunes urbains, tandis que les jeunes ruraux sont surtout concernés par le problème du sous-emploi, lié aux conditions météorologiques. De plus, ce sont surtout les jeunes diplômés qui ont des difficultés à trouver en emploi. Ainsi, une part importante de la jeunesse est diplômée mais désœuvrée, ou exposée au chômage technique, en milieu urbain et rural. Or, l’Organisation Internationale du Travail met régulièrement en garde les gouvernements et organisations internationales contre la hausse du chômage, qui entraîne une hausse de l’instabilité et des risques pour l’ordre public.
Avant, cette jeunesse, nombreuse et délaissée, n’était pour autant pas ignorée par les gouvernements successifs. Différentes politiques avaient été mises en place en faveur des jeunes, mais il s’agissait de mesures pour contrôler et canaliser cette force vive. En témoigne le rapport sur la politique nationale de jeunesse fait par le Ministère de la jeunesse et de l’emploi publié en août 2008[5], lorsque Blaise Compaoré était encore au pouvoir. Le but du document était de démontrer que le gouvernement de Compaoré était le meilleur pour la jeunesse, en le comparant avec les régimes passés, et en les critiquant. Il met ainsi en avant le fait que la domination coloniale ait fait disparaître la société traditionnelle et la jeunesse qui y était associée. La vie associative dépendait alors exclusivement des organisations religieuses. Après l’indépendance, des commissariats ou comités étaient en charge des questions de la jeunesse. Le rapport enlève aussi toute légitimité aux périodes dites d’exception selon les termes du rapport, dont celle entre 1983 et 1987 lorsque Thomas Sankara était au pouvoir. Les seules actions en faveur de la jeunesse auraient été celles faites pour que les jeunes adhèrent au mouvement du gouvernement en place.
Aussi, le ministère expliquait les différentes « structures d’encadrement de la jeunesse », à savoir le Ministère de la Jeunesse et de l’Emploi, les centres culturels, les Maisons des Jeunes et de la Culture, les espaces d’écoute et de dialogue des jeunes et les Associations de jeunesse, puisque « l’encadrement de la jeunesse constitue un puissant moyen de canalisation de son énergie créatrice ». Ces structures dépendaient toutes du gouvernement et visaient à garantir la stabilité de la jeunesse, pour éviter qu’elle s’élève contre le pouvoir en place. Le Ministère assure vouloir, selon la volonté du président Compaoré, développer l’engagement citoyen et politique de la jeunesse, mais seulement dans ces structures. En fait, tout le document prend acte du constat selon lequel la jeunesse est une ressource humaine en pleine expansion, porteuse de croissance et de développement, mais aussi une potentielle source de tensions. Le gouvernement de Blaise Compaoré avait conscience de la nécessité de prêter attention à la jeunesse pour qu’elle ne se retourne pas contre lui. En ce sens, différents symboles étaient mis en avant, comme la création d’un Ministère chargé exclusivement de la jeunesse et de l’emploi en janvier 2006.
Blaise Comparoé, alors président du Burkina Faso, lors des élections présidentielles du 25 Novembre 2010
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Il est aussi intéressant de voir les dangers auxquels serait exposée la jeunesse selon le gouvernement de Compaoré : outre le sous-emploi, l’analphabétisme, les maladies endémiques, les infections par les IST et le VIH, l’influence négative des médias est également pointée du doigt. Les médias et les réseaux sociaux conduisent à ce qui est appelé la « dégradation des mœurs », pouvant être un risque pour la paix sociale. Au contraire, Compaoré promouvait un « nouveau type de jeune », dont les caractéristiques allaient de l’intégrité (loyauté absolue envers le pays) à l’engagement, celui-ci devant être compris comme engagement pour le pays et son gouvernement. Compaoré avait conscience du poids de la jeunesse dans sa société mais aussi de l’utilisation accrue des médias par celle-ci. Il voulait donc les diaboliser, et il avait raison, puisque ce sont essentiellement les jeunes par les réseaux sociaux et les médias qui conduiront à sa chute en 2014.
Genèse de Balai Citoyen
Le premier slogan de Balai Citoyen : « Notre nombre est notre force ! » est particulièrement éloquent. Il témoigne de la volonté du mouvement citoyen de se réapproprier les questions politiques qui le concernent, au nom de la démocratie. Ce slogan est complété par un deuxième : « Ensemble on n’est jamais seul ! ». De fait, ce que Balai Citoyen propose, c’est d’unir toutes les forces, peu importe l’origine urbaine ou rurale, l’âge, le diplôme, la religion, l’ethnie. A cet égard, l’image de chaque brindille composant le balai est très symbolique, et donne sa force au mouvement. La réussite du projet est ainsi liée à la cohésion et à l’unité de ses membres. Par ailleurs, les membres de Balai Citoyen sont encouragés à « cultiver l’esprit de solidarité et de fraternité ». En ce sens, le recrutement et la sensibilisation au mouvement sont des missions stratégiques importantes des membres de Balai Citoyen. Ceux-ci doivent s’investir localement et favoriser la solidarité au sein de la société burkinabée. Enfin, le mouvement est ouvert à toutes et à tous, et les membres doivent être en mesure d’expliquer le fonctionnement et le mode de recrutement à chaque personne qui en ferait la demande.
D’un point de vue organisationnel, Balai Citoyen est divisé en « Club Cibal », composé d’au moins dix « citoyen.es balayeurs.ses ». Le regroupement des membres du club Cibal se fait selon des critères géographiques (par quartier ou arrondissement par exemple) ou par centre d’intérêt commun (travail, université, religion commune, etc.). Chaque club dispose d’un porte-parole et d’un responsable chargé de l’organisation. Les différents clubs sont coordonnés par le « point focal », désigné par l’Assemblée des Clubs Cibal. Il permet de mettre en œuvre les différentes actions et d’harmoniser l’organisation. Il recueille les comptes rendus d’activités des clubs. Le point focal est par ailleurs en contact permanent avec la coordination nationale du mouvement. D’autre part, les Clubs Cibal ne sont pas autorisés à participer aux campagnes électorales d’un parti politique, même si les membres ont individuellement le droit de militer dans un parti, à l’exception des membres du bureau. Cela permet au mouvement de garder son indépendance politique et de conserver une attitude critique à l’égard des différents partis politiques. L’indépendance financière est en outre primordiale pour permettre l’autonomie des Clubs. C’est pourquoi ils ne sont pas autorisés à recevoir des « financements partisans » et doivent recourir aux contributions internes. Enfin, la communication dépend des chargés de communication de la coordination nationale, qui sont consultés avant les prises de position publiques de chaque Club. Les liens de solidarités entre Clubs Cibal sont encouragés, les actions des uns devant être soutenues par les autres.
Après sa création officielle en 2013, le Balai Citoyen se développe grâce aux réseaux sociaux (Facebook, Twitter et YouTube), en organisant des évènements pour mobiliser les Burkinabés contre le gouvernement de Compaoré. Mais seulement 2 % de la population a accès au numérique, d’où la nécessité d’élargir les moyens d’action par des marches, des manifestations populaires, des concerts, des projections de films, mais aussi une sorte de démarchage « door-to-door ». Le but est d’obtenir une « fourmis-magna », c’est-à-dire une coordination pour que les citoyens manifestent en même temps pour faire chuter Compaoré. Le 28 octobre 2014, un million de personnes se retrouvent ainsi dans la rue pour s’opposer à la révision constitutionnelle voulue par Compaoré[6], sous l’appel de l’opposition du président, des syndicats et du Balai Citoyen. Ce mouvement de grève générale a duré quatre jours, débouchant sur des affrontements violents contre les forces de l’ordre et faisant une trentaine de morts. Le 30 octobre, après l’appel du Balai Citoyen et du Front progressiste sankariste, les manifestants ont pris d’assaut l’Assemblée nationale qui devait ce jour-là examiner le projet de loi. Le même jour, Honoré Traoré, chef de l’Armée, proclame l’état de siège et la dissolution du gouvernement. Le lendemain, Compaoré annonce sa démission et quitte le pays pour la Côte d’Ivoire.
Dans une interview pour Thinking Africa[7], Sams’k le Jah, résume ainsi les trois temps de la révolution : la prise de conscience pour organiser la jeunesse dès 2013 ; la mobilisation des citoyens; et enfin l’action finale du 28 au 31 octobre 2014
Le Balai a donc été un des acteurs de la mobilisation contre le régime de Compaoré, pour concentrer les forces et pousser à la désobéissance civile. Selon Vincent Bonnecase[8], il a été l’organisation « la plus audible face au projet de changement de constitution ». Le mouvement n’a pas agi seul mais a été un acteur majeur dans le mouvement populaire, par son travail depuis plus d’un an pour mobiliser les citoyens.
Balai Citoyen face à de grands enjeux actuels
Le Balai Citoyen n’a pas disparu avec la chute de Blaise Compaoré. Comme le disait Sams’K le Jah, cofondateur du Balai, le 12 novembre 2014, « L’un des objectifs du Balai était donc d’amener Blaise Compaoré et ses camarades à respecter le peuple. Mais ce qui est important de préciser, c’est que le Balai Citoyen n’a pas été créé contre Blaise Compaoré. Il a été créé contre la mal gouvernance, et contre tout ce qu’on a appelé les déchets, les saletés. Blaise Compaoré est parti, mais il y a un gros travail à faire pour l’assainissement dans la gestion de la chose publique, l’assainissement dans la mentalité des Burkinabés ; parce que notre rêve, c’est d’arriver à créer ce nouveau Burkinabé respectueux des autres, respectueux d’un certain nombre de valeurs »[9]. Le Balai continue ainsi d’agir et se positionne sur les grands enjeux qui se posent après le départ de Compaoré.
Le Balai s’oppose à la domination extérieure et souhaite la pleine indépendance du Burkina Faso et des nations africaines. Ces dénonciations du néocolonialisme concernent aujourd’hui deux aspects principaux : la lutte contre l’ingérence économique et le droit de faire justice soi-même.
D’un point de vue économique, le Balai s’est positionné contre l’utilisation du Franc CFA par le Burkina Faso et plus largement par tous les pays d’Afrique qui utilisent encore cette monnaie. Cet engagement récent a été dévoilé au grand jour par un communiqué du Balai à l’occasion de la visite d’Emmanuel Macron au Burkina Faso fin novembre 2017. Dans un communiqué écrit avec d’autres organisations et associations burkinabées[10], les militants rappellent la prise en main de leur destin après « l’historique insurrection populaire d’Octobre 2014 ». Or, la monnaie franc CFA, héritage de la colonisation, ayant survécu « à la décolonisation et même à la création d’une monnaie unique européenne », serait le symbole de la persistance d’une relation de domination, paternaliste et asymétrique entre la France et les pays de la zone franc CFA. Une partie des réserves de ces Etats se trouve à la Banque de France, donc les banques centrales des pays de la zone CFA n’ont pas toute la main sur leurs propres réserves… Or, la monnaie est censée être « un signe d’indépendance ». Balai Citoyen se positionne ainsi contre cette « domination monétaire » et demande la sortie du système. Le porte-parole du Balai Guy Hervé Kam rappelle que « aujourd’hui, dans son ensemble, le peuple africain ne veut plus du franc CFA »[11]. Il appelle donc la France à respecter cette volonté africaine et à ne mettre « aucune bâton dans les roues de cette volonté de changement ».
L’opposition à la domination extérieure concerne aussi les enjeux juridiques auxquels est confrontés le Burkina Faso. Dans son adresse au président français, le Balai dénonce la position française, « frein à la justice » burkinabée concernant François Compaoré, suspecté dans l’assassinat du journaliste Norbert Zongo. Il demande l’extradition du frère de l’ancien président pour qu’il soit jugé dans son pays. Le Balai demande aussi l’accès aux archives concernant l’assassinat de Thomas Sankara, puisque « des informations collectées, il ressort des faisceaux d’indices sur une probable responsabilité de la France ». Sankara est une référence pour le mouvement, qui a organisé les 26 et 27 octobre dernier un « colloque international sur l’héritage de Thomas Sankara », à l’occasion du 30e anniversaire de son assassinat. Dans son discours inaugural, Guy Hervé Kam disait « la figure du Capitaine Sankara constitue aujourd’hui l’une des références historiques incontournables et indéniables pour la jeunesse burkinabée, la jeunesse africaine et la jeunesse mondiale »[12]. Sankara y était décrit comme un « grand visionnaire, fils d’Afrique ». « Tuer Sankara, des milliers de Sankara naîtront » disait Sankara, et les jeunes du Balai Citoyen se perçoivent comme ces « milliers de Sankara ».
D’une manière plus générale, le Balai Citoyen demande justice, et notamment une justice politique contre les arrestations et la répression des mouvements de jeunesse et de contestation. Balai Citoyen, Y’en a marre et Filimbi s’étaient rencontrés le 15 mars 2015 à Kinshasa pour réfléchir ensemble et organiser des actions de sensibilisation communes. Mais certains participants avaient alors été arrêtés par la police congolaise. Libérés avant leurs camarades de Filimbi, les mouvements burkinabé et sénégalais étaient restés mobilisés pour la libération de leurs camarades congolais, obtenue sous la pression congolaise et des deux mouvements. Ainsi, cet exemple d’action montre deux valeurs que veut défendre Balai Citoyen :
- La justice, faite selon les lois constitutionnelles, avec le droit à un avocat et à la présomption d’innocence.
- L’engagement au-delà des frontières pour soutenir les mouvements d’émancipation dans d’autres pays. C’est pour cela que Balai Citoyen soutient les mouvements de contestation au Togo : « C’est un devoir militant pour nous de soutenir le peuple frère du Togo en lutte contre un système inique de 50 ans. Cette solidarité militante est aussi l’une des voies que nous montre le premier cibal Thomas Sankara » disait Kam.
Les changements entrepris par Balai Citoyen constituent de fait une « révolution » dans la société burkinabée. Cette organisation de la société civile se revendique de la lutte menée par Thomas Sankara, notamment autour de l’idée de « révolution ». Le terme de révolution semble alors adapté au mouvement populaire, puisqu’il a effectivement contribué à renverser le régime de Compaoré, tout en permettant une transformation non négligeable de la société burkinabée. Par ailleurs, les valeurs de solidarité, d’égalité, de fraternité et de justice mises en avant par Balai Citoyen donnent un élan révolutionnaire au mouvement, dans lequel le peuple est au cœur du projet. Ainsi, l’idée de révolution est centrale dans la dialectique de Balai Citoyen. En témoigne d’abord le documentaire « Place à la révolution », réalisé par Kiswendsida Parfait Kaboré, qui retrace le rôle clef joué par le mouvement dans la chute de Blaise Compaoré. Par ailleurs, des conférences « post-insurrectionnelles » sont organisées, durant lesquels les « défis post-insurrectionnels » sont analysés, discutés et anticipés. Le mouvement révolutionnaire semble alors achevé, bien que de nombreuses problématiques n’aient pas encore trouvé de solutions.
En effet, la révolution semble premièrement entravée par le fait que certains membres de l’ancien gouvernement de Blaise Compaoré sont encore au pouvoir. Le Balai a conscience qu’il est difficile de réformer entièrement et rapidement un pays ayant vécu sous la dictature de Blaise Compaoré pendant pratiquement trois décennies, et rappelle qu’il est nécessaire de rester vigilant et protecteur face à la démocratie naissante. Serge Bayala, membre de Balai Citoyen et chargé du recrutement chez les jeunes, déclare dans une interview au journal Le Monde en octobre 2017 que « Vingt-sept ans de collaboration, ça forge une culture de gouvernance, des habitudes qui rendent impossible le changement. Il n’y a rien à espérer de gens qui ont été capables de collaborer avec un acteur qui a participé de façon active à exécuter l’espoir de tout un peuple ».
De fait, mener une révolution, mobiliser la jeunesse, encourager de nouvelles valeurs et de nouveaux comportements à l’échelle d’un pays de vingt millions d’habitants dont l’héritage politique dictatorial pèse encore lourdement sur les habitudes de chacun, n’est pas une chose facile. C’est pourquoi l’appel de Souleymane Ouedraogo, Cibal, est particulièrement important. Dans un manifeste intitulé « Je vote et je reste … vigilant ! », publié en novembre 2015, S. Ouedrago rappelle que la démocratie ne se joue pas seulement durant les élections auxquelles les citoyens participent, mais qu’il s’agit véritablement d’une « quête perpétuelle, la vigilance de tous les instants [qui] va demeurer pour rappeler continuellement aux dirigeants leurs engagements, leurs promesses, leurs devoirs vis-à-vis du peuple. Une démocratie participative, une participation citoyenne, des citoyens éclairés, des gouvernants responsables et redevables c’est ce dont le Burkina a besoin pour amorcer un véritable développement dont profiteront avant tout les populations les plus vulnérables. ». La lutte doit donc s’inscrire dans le temps long, mobiliser durablement la jeunesse et le reste de la population, et ne pas perdre de vue ses objectifs de démocratie et de justice sociale, afin que la « révolution » soit véritablement menée à son terme.
Balai Citoyen est un mouvement de jeunesse particulièrement intéressant dans la mesure où il a véritablement oeuvré à la chute du régime de Blaise Compaoré, il y a maintenant plus de trois ans. Il s’agit par ailleurs d’un mouvement qui se veut ancré dans une histoire longue, héritée de la lutte de Thomas Sankara pour l’établissement d’un régime démocratique au Burkina Faso. Enfin, les valeurs de justice, d’équité, et de solidarité revendiquées par le Balai devraient lui assurer le soutien de la population, à condition qu’il continue de faire ses preuves et qu’il demeure intègre. Ainsi, il participera à la mise en place durable de la démocratie et servira d’exemple à d’autres mouvements de jeunesse en Afrique, mais aussi pourquoi pas dans d’autres régions du monde où la jeunesse pourrait se mobiliser contre des gouvernements qui ne répondent pas à ses attentes.
Odile ROMELOT
Lisa VERRIERE
[1] Burkina Faso, The World Factbook, CIA, mis à jour le 14 novembre 2017.
[2] Calvès, Kobiané, 2014
[3] Burkina Faso, World Statistics Pocketbook, United Nations Statistics Division
[4] « Burkina : jeunes, chômeurs et mécontents », Jeune Afrique, Octobre 2015
[5] Ministère de la jeunesse et de l’emploi, Politique nationale de jeunesse, Août 2008
[6] Au pouvoir depuis 1987, Blaise Compaoré souhaitait modifier l’article 37 de la Constitution qui limitait le nombre de mandats possibles pour le président
[7] Interview disponible du Youtube, Sams’k le Jah, Une révolution africaine, la chute de Blaise Compaoré, Thinking Africa
[8] BONNECASE, Vincent, « Sur la chute de Blaise Compaoré. Autorité et colère dans les derniers jours d’un régime », Politique africaine 2015/1 (N° 137)
[9] Propos recueilli par Fulbert Paré, « Sams’K Le Jah, membre du mouvement Balai citoyen : Les choses sont en train d’aller dans le bon sens, ne faisons rien pour que ça se bloque », lefaso.net, 12 novembre 2014
[10] Adresse de la Coalition Ditany- au Président français Emmanuel Macron, Le Balai Citoyen, 24 novembre 2017
[11] Propos reccueillis par Gaëlle Laleix, “Guy Hervé Kam : ‘Le peuple africain ne veut plus du franc CFA’”, RFI, 28 novembre 2017
[12] Discours inaugural du porte-parole du Balai Citoyen Guy Hervé Rommel KAM lors du colloque international sur l’héritage de Thomas Sankara, 26 octobre 2017
Bibliographie
Articles universitaires
AKINDES Francis, ZINA Ousmane Zina « L’État face au mouvement social en Afrique », Revue Projet 2016/6 (N°355), p. 83-88.
BONNECASE, Vincent, « Sur la chute de Blaise Compaoré. Autorité et colère dans les derniers jours d’un régime », Politique africaine 2015/1 (N° 137)
DIALLA Emile, La question de l’emploi des jeunes : une analyse du cas du Burkina Faso,
Institut des Sciences des Sociétés, Ouagadougou
CALVES Anne-Emmanuèle, KOBIANE Jean-François, « Genre et nouvelles dynamiques d’insertion professionnelle chez les jeunes à Ouagadougou », Autrepart 2014/3 (N°71), p. 33-34.
GOROVEI Domnica, « Le rôle des mouvements citoyens dans le processus électoral en Afrique subsaharienne: le cas du « Balai citoyen » », Studia Politica: Romanian Political Science Review XVI, 2016, N° 4, pp. 511-537.
Articles de presse
ANNE Hamidou, « A Ouagadougou, l’espoir avec Balai citoyen », Le Monde Afrique, Avril 2016
COMMEILLAS David, « Coup de Balai citoyen au Burkina Faso », Le Monde Diplomatique, Avril 2015
COULIBALY Nadoun, « Burkina : jeunes, chômeurs et mécontents », Jeune Afrique, Octobre 2015
FRINTZ Anne, La jeunesse burkinabé bouscule la “Françafrique”, Le Monde Diplomatique, Décembre 2014
LALEIX Gaëlle, “Guy Hervé Kam : ‘Le peuple africain ne veut plus du franc CFA’”, RFI, 28 novembre 2017
LE CAM Morgane, « Serge Bayala : ‘Il faut sortir du sankarisme de surface !’ », Le Monde, 15 octobre 2017
PARE Fulbert, « Sams’K Le Jah, membre du mouvement Balai citoyen : Les choses sont en train d’aller dans le bon sens, ne faisons rien pour que ça se bloque », lefaso.net, 12 novembre 2014
Sites officiels
Le Balai Citoyen – http://www.lebalaicitoyen.com/
– Adresse de la Coalition Ditany- au Président français Emmanuel Macron, Le Balai Citoyen 24 novembre 2017
– Discours du porte-parole du Balai citoyen Guy Hervé Rommel KAM, Discours inaugural du colloque international sur l’héritage de Thomas Sankara, Le Balai Citoyen, 26 octobre 2017
– « Je vote et je reste … vigilant ! », Souleymane Ouedraogo, Novembre 2015
Ministère de la jeunesse et de l’emploi, Politique nationale de jeunesse, Août 2008
Observatoire National de l’Emploi et de la Formation (ONEF) – http://www.onef.gov.bf/politique/psce.php
Organisation Internationale du Travail (OIT), « Le chômage va augmenter dans les cinq ans à venir tandis que les inégalités persistent », janvier 2015
The World Fact Book, CIA – https://www.cia.gov/library/publications/the-world-factbook/geos/uv.html
Films, documentaires et reportages
“Burkina Faso : le Balai citoyen fait le grande ménage” – Tous les internets – Arte, URL : https://www.youtube.com/watch?v=3XngUcbDJ_w
Sams’k le Jah, “Une révolution africaine, la chute de Blaise Compaoré”, Thinking Africa, URL : https://www.youtube.com/watch?v=7GKDEG8i17
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